Etant donné que la déforestation représente environ 12 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, la protection des forêts est fondamentale pour atteindre l’objectif de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris. Pourtant, la déforestation continue d’augmenter, avec un record de déforestation en Amazonie atteint en 2020. La production de soja est l’un des principaux moteurs de cette déforestation, au même titre que l’élevage de bétail, l’augmentation de la production d’huile de palme et l’industrie du papier. Un nombre croissant d’acteurs – des gouvernements aux entreprises privées, en passant par les institutions financières – ont pris des engagements de zéro déforestation nette, ont recours à la compensation carbone ou se fient à des mécanismes de certification des produits agricoles. Ces efforts peuvent sembler positifs, mais en pratique, leur efficacité pour désamorcer la déforestation est très limitée et ils pourraient avoir des répercussions plus graves que les problèmes qu’ils voulaient résoudre.

« Zéro déforestation nette » vs « zéro déforestation » : un simple mot, d’énormes implications

Zéro déforestation signifie que les zones forestières ne peuvent pas être déboises ou converties, tandis que la zéro déforestation nette inclut la déforestation ou la conversion des forêts dans une zone si une zone équivalente est replantée ailleurs. Si la principale critique de l’approche de la zéro déforestation est son manque de flexibilité, la zéro déforestation nette fait l’objet de multiples critiques portant principalement sur sa mise en œuvre et ses impacts. Certains affirment même que les pratiques liées à des engagements de zéro déforestation nette sont frauduleuses. Des entreprises font valoir des engagements à protéger des forêts qui n’étaient pas menacées, ou échouent à donner des garanties suffisantes quant à leur capacité de protéger réellement celles qui le seraient.

Toutefois, le problème sous-jacent de la zéro déforestation nette vient de l’absence de définition, voire l’impossibilité à s’accorder sur un langage commun et une même compréhension des enjeux : comment définir la forêt, la perte de forêt, la déforestation et même les arbres. Étant donné que la zéro déforestation nette permet de créer de nouvelles forêts – naturelles ou plantées – pour compenser théoriquement la perte de forêts, il serait nécessaire de définir et de mesurer ce qui serait une « superficie équivalente » d’une forêt à compenser.

Il faut tenir compte du fait que les forêts indigènes et les écosystèmes naturels stockent de grandes quantités de « carbone irrécupérable« , un carbone qui, une fois libéré par la destruction des forêts, ne peut pas être restauré assez rapidement pour prévenir les pires effets du changement climatique. En outre, ces écosystèmes jouent un rôle fondamental en tant qu’habitats pour de nombreuses espèces, fournissent des services écosystémiques élémentaires – comme la régulation de l’eau et de la météo – et ont une valeur culturelle essentielle. Toutes ces fonctions ne peuvent pas être remplacées par des plantations.

Comme l’expliquent les chercheurs Brown et Zarin, « les objectifs nets de déforestation assimilent, de manière inhérente et erronée, la valeur de la protection des forêts indigènes à celle de la plantation de nouvelles forêts« . Cela ne signifie pas que le reboisement et la restauration des forêts ne sont pas positifs et ne doivent pas être encouragés lorsqu’ils sont pertinents, mais plutôt qu’ils ne doivent pas être faits pour compenser la destruction des forêts naturelles.

Les certifications ne sont pas non plus un moyen facile de sortir de la déforestation

Les certifications des produits agricoles ont gagné en popularité comme moyen de valider et d’homogénéiser les efforts en vue de meilleures pratiques en termes d’environnement et de justice sociale. Ces efforts sont appréciés, mais ne sont pas une panacée car ils présentent de nombreux inconvénients.

Concernant le soja, il existe deux principaux systèmes de certification : RTRS et Proterra. Le RTRS est considéré comme ayant responsabilisé le plus les pratiques de certains producteurs de soja. Cependant, le soja RTRS reste très minoritaire dans la production mondiale de soja puisque tous les sojas certifiés, par différents mécanismes, ne représentent que 1,5 % à 3 % de la production totale de soja. En outre, si les critères d’éligibilité de ces certifications peuvent être présentés comme ambitieux, ils présentent encore des faiblesses majeures : Les RTRS et Proterra permettent des monocultures à grande échelle qui utilisent d’énormes quantités de pesticides et de ressources hydriques, tout en limitant les possibilités d’emploi. Le RTRS autorise également les OGM.

Le RTRS a trois modalités de certification dont une seule garantie l’absence de soja déforesté. Ces trois modalités sont : la ségrégation, le bilan massique et le bilan matériel du pays. Seule la ségrégation permet de tracer et de séparer complètement les flux pour garantir que 100 % du soja provient de parcelles non converties. Les deux autres modalités permettent au contraire un mélange de soja certifié et non certifié, contribuent à la segmentation du marché et ne règlent pas le problème de la conversion/déforestation : elles sont tout simplement inefficaces. Cependant, la ségrégation représente toujours un très faible volume de soja certifié, car elle est plus coûteuse que l’utilisation d’un système de bilan massique.

Conclusion

Mettre fin à la déforestation n’est pas aussi simple que de s’engager à atteindre des objectifs de zéro déforestation nette ou à mettre en place des systèmes de certification du soja. Les acteurs financiers doivent être conscients des défauts de ces systèmes et agir en conséquence s’ils veulent être pris au sérieux dans leurs engagements concernant la biodiversité, les écosystèmes et le changement climatique. Concernant la production de soja, banques, assureurs et investisseurs doivent exiger des négociants de soja tels que Cargill la révision de leurs contrats avec les producteurs afin d’y intégrer un engagement à ne plus acheter de soja issu de sols convertis après le 1er janvier 2020.