Si les actionnaires sont de plus en plus enclins à utiliser leur droit de vote pour peser dans les décisions de l’entreprise, il a fallu attendre 2020 pour qu’une première résolution sur le climat soit déposée en France, à l’occasion de l’Assemblée générale de Total SE. Historique, celle-ci a envoyé un signal fort à la major pétrolière et gazière française et a opéré une rupture : il y aura un avant et un après.

Longtemps, les actionnaires se sont tus face aux activités dévastatrices et à l’attentisme climatique de l’entreprise, et peu ont osé confronter ses PDG sur leur stratégie de développement. La première tentative de résolution en 2011, alors sur les sables bitumineux, a été avortée avant l’Assemblée Générale en raison, vraisemblablement, des menaces et de la pression de l’entreprise- dirigé à l’époque par Christophe de Margerie- sur ses actionnaires. Après des années de discussions infructueuses, 11 actionnaires ont donc décidé en 2020 de mettre un terme à cette omerta.

Mais alors que les résolutions climat gagnent du terrain, une autre initiative pourrait fragiliser cette dynamique : le Say on Climate. Cette initiative, du fonds spéculatif britannique TCI – The Children’s Investment Fund – consiste à demander aux entreprises de s’engager elles-mêmes à soumettre tous les ans leur stratégie climat au vote de leurs actionnaires. A priori, cela sonne comme une bonne idée en libérant les actionnaires de l’obligation de s’organiser tous les ans pour déposer une nouvelle résolution.

Mais si le Say on Climate a un intérêt pour pousser les entreprises absentes du débat climatique, et qui évoluent dans des contextes réglementaires faibles ou inexistants en matière climatique, ce n’est clairement pas le cas en France ou en Europe. Dans le cas de Total, un Say on Climate est dans le meilleur des cas, une distraction, et dans le pire des cas, une diversion.

Total SE, entreprise du pays de la COP21, a publié son premier rapport sur le climat en 2016. L’entreprise communique déjà beaucoup sur le climat et les actionnaires ont déjà tous les éléments disponibles pour exprimer leur désapprobation à l’égard de la stratégie du groupe, notamment en votant contre la direction et en accompagnant ce vote d’un justificatif. Mais ces justificatifs ne sont souvent rendus publics que des mois après le vote en AG. Dans l’intervalle, il sera difficile de différencier les votes opposés au principe même d’intégrer l’urgence climatique à la stratégie du groupe, et ceux qui sanctionneraient une stratégie manquant d’ambition.

En d’autres termes, Total n’a pas besoin d’être encouragé à communiquer sur sa stratégie climat ; Total a besoin d’être poussé à adopter une stratégie climat compatible avec une trajectoire climatique viable. Or pour cela, seul le dépôt d’une résolution permettra aux actionnaires de définir les termes du débat.

Si la pertinence d’un Say on Climate est incertaine dans le cas de Total, il n’est pas non plus sans risque. En effet, si Total décide de soumettre son ersatz de stratégie climat au vote, il faut s’attendre à ce que les actionnaires décident de voter pour. Les actionnaires votent en majorité en accord avec la direction de l’entreprise, comme le montrent le Say on Pay ou la résolution climat de l’année dernière. Ce vote positif donnera la légitimité à l’entreprise à poursuivre une logique de petits pas. Il ouvrira la voie à de longues années pendant lesquelles Total développera sa capacité dans les renouvelables sans pour autant réduire sa production d’hydrocarbures et ses activités dans les énergies fossiles.

Un autre risque émerge : que certaines entreprises et certains investisseurs prennent la proposition initiale de CIFF et l’affaiblissent en modifiant le calendrier ou en l’appliquant à des secteurs que CIFF n’avait pas prévu à l’origine. Par exemple, le Say on Climate, tel que pensé, demande aux entreprises de soumettre leur stratégie au vote tous les ans. Or, aucun actionnaire n’a contesté le fait que Shell se soit récemment engagé à la soumettre au vote tous les trois ans uniquement. Si sa stratégie climat est adoptée, Shell pourra opposer jusqu’en 2024 toute demande supplémentaire, en se référant au mandat donné en 2021 par ces actionnaires.

Enfin, si les résolutions Say On Climate visent à contraindre les entreprises à soumettre leur stratégie climat au vote, le résultat, lui, n’est pas contraignant. L’entreprise pourrait tout aussi bien choisir d’ignorer le résultat du vote, qu’il soit favorable ou opposé à sa stratégie climat. Ce n’était pas le cas de la résolution climat déposée à l’AG de Total SE en 2020.

S’ils sont sincères et désireux de jouer un rôle actif dans la décarbonation des activités des entreprises dont ils sont actionnaires, les investisseurs doivent déposer leurs propres résolutions climatiques, même quand un Say on Climate est déjà porté, afin d’exprimer explicitement leurs attentes. En complément, ils doivent voter contre certains membres du conseil d’administration pour exprimer leur désaccord avec la stratégie climat.

Notes :