Les jours sont comptés pour limiter le réchauffement climatique à +1,5°C. Dans un contexte d’urgence climatique, les décisions prises par l’industrie financière d’ici la COP26 à Glasgow façonneront notre avenir commun. Une chose est sûre : les engagements “net zero” ou d’atteinte de la neutralité carbone des institutions financières ne vaudront pas grand-chose tant qu’ils ne sont pas complétés de politiques globales et immédiates de sortie du charbon.
Il ne peut y de transition sans un alignement des acteurs financiers sur un objectif de +1,5°C. Par conséquence, l’augmentation de nombre d’engagements pris par l’industrie financière à atteindre le “zéro émissions” et à s’aligner avec l’Accord de Paris est une excellente nouvelle. Néanmoins, cette transition doit commencer dès maintenant et nécessite donc l’arrêt immédiat de l’expansion des énergies fossiles et une forte réduction de notre dépendance aux secteurs à haute intensité de carbone.
Or, c’est l’inverse qui se produit en ce moment : les annonces – souvent incomplètes et particulièrement vagues – d’objectifs net zéro d’ici 2050 se succèdent, masquant la réticence des institutions financières à prendre dès aujourd’hui des mesures fortes. Alors que l’essentiel des financements et des investissements dans le secteur du charbon doit prendre fin avant 2030, le secteur le plus préjudiciable au climat et à la santé publique continue pourtant d’attirer des milliards de dollars de soutien financier.
Les banques commerciales soutiennent davantage l’industrie du charbon qu’en 2016
De nouvelles recherches menées par Urgewald, Reclaim Finance, Rainforest Action Network, 350.org Japan et 25 autres ONG partenaires, révèlent les noms des financiers et des investisseurs derrière toute l’industrie mondiale du charbon – les 935 entreprises figurant sur la Global Coal Exit List (GCEL).
En 2016, les banques ont accordé 491 milliards de dollars aux entreprises cotées sur la GCEL, à travers des prêts et des services financiers liés à l’émission d’actions et d’obligations. En 2019, ce montant avait atteint 545 milliards de dollars, soit une augmentation de plus de 11 % en 3 ans. Bien que les prêts directs aux entreprises du secteur charbon avait atteint un sommet en 2017 et étaient orientés à la baisse les années suivantes, on observe une augmentation constante des volumes d‘émission d’actions et d’obligations de l’industrie du charbon depuis 2016.
Les investisseurs américains détiennent 59% des investissements institutionnels dans l’industrie du charbon
En janvier 2021, 4 478 investisseurs institutionnels (1) détenaient des investissements d’un montant total de 1,03 billion de dollars, c’est à dire plus de mille milliards de dollars, dans des entreprises impliquées dans la chaîne de valeur du charbon thermique.
Possédant des actions et des obligations à hauteur de 604 milliards de dollars, les investisseurs américains représentent collectivement 59 % des investissements institutionnels dans l’industrie mondiale du charbon. La société américaine de fonds communs de placement Vanguard (86 milliards de dollars) est suivie de près par BlackRock (84 milliards de dollars) : toutes deux représentent 17 % des investissements institutionnels dans l’industrie du charbon mondiale. Chacun des deux gestionnaires américains détient plus de dollars dans l’industrie du charbon que l’ensemble des investisseurs japonais, qui représentent pourtant la deuxième plus grande part des investissements institutionnels dans l’industrie du charbon – avec des avoirs estimés à 82 milliards de dollars. A la troisième place, on retrouve les investisseurs britanniques, dont les participations collectives dans l’industrie du charbon s’élèvent à 47 milliards de dollars.
Les banques japonaises sont les principaux prêteurs, les banques chinoises les principaux émetteurs d’actions et d’obligations
671 banques commerciales ont accordé des prêts à l’industrie du charbon pour un montant total de 316 milliards de dollars au cours des deux dernières années (2). Les trois principaux prêteurs sont les banques japonaises Mizuho (22 milliards de dollars), Sumitomo Mitsui Banking Corporation (21 milliards de dollars) et Mitsubishi UFJ Financial Group (18 milliards de dollars). Les banques japonaises sont les principaux prêteurs de l’industrie du charbon, suivies de près par les banques américaines.
Au cours de la même période, 665 banques commerciales ont contribué à injecter 810 milliards de dollars dans les entreprises figurant sur la Global Coal Exit List par le biais de l‘émission d’actions et d’obligations (3). Les cinq premiers émetteurs d’actions et d’obligations mondiaux sont tous des institutions financières chinoises. Alors que les banques chinoises représentent moins de 6 % du total des prêts à l’industrie du charbon, elles comptent pour 58 % des émissions d’actions et d’obligations. Avec ses services financiers d’émission d’actions et d’obligations, les banques chinoises ont dirigé 467 milliards de dollars vers l’industrie du charbon au cours des deux dernières années. Contrairement aux banques des États-Unis, du Japon et du Royaume-Uni, qui figurent également parmi les plus importants émetteurs d’actions et d’obligations, les banques chinoises tout comme les banques indiennes ont la particularité d’émettre des actions et des obligations presque exclusivement pour des entreprises du secteur charbon basées dans leurs pays respectifs.
La qualité des politiques d’exclusion du charbon fait toujours défaut
Les chiffres précédemment mentionnés donnent une idée de la réalité des engagements des institutions financières en matière de climat. La grande majorité des politiques charbon présente d’importantes lacunes, ce qui rend leur impact presque insignifiant. Selon le Coal Policy Tool qui suit et classe toutes les politiques d’exclusion du charbon annoncées par les institutions financières, 254 institutions financières ont maintenant adopté une politique charbon, mais sur ce total, seules 19 institutions financières ont adopté des politiques « robustes » d’exclusion du charbon.
De plus, même certaines des institutions financières qui se sont engagées à aligner leurs activités sur les objectifs climatiques de l’Accord de Paris et/ou à être à “zéro émissions” d’ici 2050 ont encore un long chemin à parcourir en ce qui concerne leur position sur le charbon.
Nous avons besoin de politiques d’exclusion du charbon solides avec des dates fermes et définitives de sortie du secteur charbon pour le secteur financier. Des assureurs comme AXA, des banques comme le Crédit Mutuel, UniCredit et Desjardins ou des gestionnaires d’actifs comme Ostrum montrent la voie et donnent l’exemple en excluant de leurs portefeuilles la plupart des entreprises figurant sur la Global Coal Exit List.
Toutefois, l’absence de progrès dans la réduction du financement du charbon depuis la COP21 montre la nécessité d’une action publique complémentaire et vigoureuse. Nous saluons le décret du président Biden et l’annonce récente du gouvernement britannique de mettre fin au financement public des combustibles fossiles à l’étranger. Mais les deux administrations doivent également se pencher sur l’incapacité de leur propre secteur financier à prendre des mesures efficaces prenant en compte les enjeux climatiques. Une sortie rapide du financement et des investissements dans le secteur du charbon n’est pas seulement faisable et souhaitable, c’est une question de survie.