Le 3 mars 2021, Rishi Sunak, le Chancelier britannique, a annoncé que le mandat de la Banque d’Angleterre (BoE) serait modifié pour inclure explicitement la durabilité et la compatibilité avec l’objectif britannique d’atteinte de la neutralité carbone. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Quels en seront les impacts concrets ? Et cela pourrait-il contribuer à faire bouger la Banque centrale européenne (BCE) ?

La Banque d’Angleterre : un nouveau mandat ?

À la suite de son annonce, le Chancelier a envoyé deux lettres à la Banque d’Angleterre : une au comité en charge de la politique monétaire et l’autre au comité chargé de garantir la stabilité et la résilience du système financier britannique.

Les deux lettres soulignent l’importance du changement climatique pour les missions des comités, la Banque d’Angleterre devra donc en tenir compte dans ses opérations : a/ dans la conduite de sa politique monétaire ; b/ dans le suivi et la gestion des risques financiers et c/ dans l’adoption de mesures supplémentaires pour favoriser le développement d’un système financier britannique résilient et durable.

Plus précisément, le mandat de la Banque d’Angleterre devra désormais refléter « l’importance de la durabilité environnementale et du passage à l’objectif de neutralité carbone« . Cela ne change rien au principal objectif monétaire de la banque : la stabilité des prix, qui lui impose de maintenir l’inflation à un niveau proche de 2 %. En bref, la Banque d’Angleterre devra prendre en compte les objectifs climatiques et environnementaux du Royaume-Uni et la transition du système financier britannique vers la neutralité carbone lorsqu’elle cherchera à remplir son objectif de stabilité des prix.

En fait, la principale conséquence de cette annonce est de clarifier ce que la Banque d’Angleterre et les autres grandes banques centrales ont déjà reconnu : que la lutte contre le changement climatique fait partie de leur mandat. Il convient de noter que le gouverneur de la banque centrale néerlandaise – Klaas Knot – a récemment déclaré qu' »un climat stable peut être considéré comme une condition préalable importante pour que les banques centrales soient en mesure de remplir leur mandat ». En outre, le jour où Rishi Sunak faisait son annonce, Isabel Schnabel a prononcé un discours soulignant comment et pourquoi « le verdissement » de la BCE était essentiel pour remplir son mandat.

Bien sûr, le changement de mandat de la Banque d’Angleterre est tout de même un grand pas dans la bonne direction : il rend impossible pour la banque centrale et ses dirigeants d’éviter d’agir et accélère la mise en œuvre des mesures.

Quel impact concret ?

Nous connaissons déjà la première mesure qui sera prise par la Banque d’Angleterre. D’ici le quatrième trimestre 2021, elle adaptera son programme d’achat d’actifs de sociétés (CBPS) pour tenir compte de l’impact climatique des émetteurs.

Cette mesure n’est pas totalement nouvelle, le Gouverneur Andrew Bailey ayant indiqué qu’elle était à l’ordre du jour bien avant le changement de mandat. Elle signifie que la banque n’achètera plus – et plus tard se séparera totalement – d’obligations émises par les grands pollueurs et corrigera son biais carbone bien documenté.

L’effet de cette mesure dépendra largement de la métrique utilisée par la banque pour définir quelles entreprises sont « polluantes ». Deux éléments doivent être pris en compte dans ce choix :

  1. Étant donné qu’une réduction drastique de la production d’énergies fossiles est un impératif pour limiter le réchauffement climatique, les entreprises qui ont des plans d’expansion des énergies fossiles ou qui n’ont pas de plan de sortie progressive doivent être exclues. Elles pourraient être réintégrées si elles adoptent des plans crédibles d’alignement sur une trajectoire 1,5°C qui impliquent une élimination complète des activités liées à ces énergies d’ici 2050, ce qu’aucune entreprise du secteur n’a encore fait.
  2. La mesure de l’intensité de carbone souvent utilisée dans les études et promue par les banquiers centraux est insuffisante pour permettre une transition vers la neutralité carbone. Cette transition implique une baisse des émissions absolues. Si l’intensité carbone peut être utilisée à court terme pour réduire de manière significative l’empreinte carbone des achats d’actifs, elle devra être complétée par une trajectoire de réduction des émissions en valeur absolue.

Bien entendu, même une décarbonisation ambitieuse des achats d’actifs reste insuffisante pour remplir le mandat de la Banque d’Angleterre. La banque devrait mettre en œuvre plusieurs autres mesures importantes :

  • Décarboner sa liste de garanties, en excluant les entreprises les plus polluantes et en adaptant les « haircuts » à l’impact climatique ;
  • Utiliser ses opérations de refinancement et son « Term Funding Scheme » pour favoriser la transition, par exemple en mettant en place des opérations de refinancement à taux préférentiel cibler sur la rénovation des bâtiments ;
  • Pousser à l’inclusion des risques liés au climat dans la réglementation financière – notamment en augmentant les exigences de fonds propres pour tenir compte de l’exposition aux secteurs à les plus émetteurs – et à la publication détaillée de l’impact climatique des institutions financières.

Quelles pourraient être les conséquences pour la Banque centrale européenne (BCE) ?

L’évolution de la Banque d’Angleterre devrait être pris en considération par les dirigeants de la BCE qui débattent actuellement de l’opportunité et de la manière d’intégrer le climat dans les opérations de la banque. Plusieurs dirigeants de la BCE ont déjà souligné publiquement qu’il n’est pas nécessaire que la BCE modifie son mandat pour s’aligner sur les objectifs climatiques de l’UE et sur l’accord de Paris.

Ce qui est nouveau, c’est que la Banque d’Angleterre transforme les beaux discours en première actions. A l’opposé, même les dirigeants de la BCE qui sont considérés comme progressistes – comme le Gouverneur français Villeroy de Galhau – suggèrent qu’il faudrait plusieurs années pour faire de même.

En conclusion, s’il reste beaucoup à faire pour la Banque d’Angleterre, son changement de mandat envoie un signal positif qui devrait pousser les autres banques centrales à accélérer leur agenda climatique. La Banque d’Angleterre a maintenant le devoir d’adopter des mesures exemplaires qui réduiront considérablement son empreinte carbone et aligneront toutes ses opérations sur un objectif de neutralité carbone. De l’autre côté de la Manche, la BCE ne peut plus prétendre que plusieurs années sont nécessaires pour agir et doit prendre des mesures immédiates.