“La vérité c’est que le gaz est bien plus sale que ce qui est communément admis”. C’est avec ces mots qu’Urgewald, ONG allemande spécialiste des enjeux climatiques, introduit son nouveau rapport Taking the Next Step – Pourquoi les assureurs ne doivent pas soutenir de nouvelles infrastructures gazières. Le rapport détaille les impacts encore méconnus du gaz sur le climat et rompt radicalement avec l’idée du gaz comme énergie de transition. Reclaim Finance se joint à Urgewald et dénonce les soutiens d’AXA et des assureurs aux nouveaux projets d’infrastructures gazières, strictement incompatibles avec leurs engagements climatiques et leur mandat de gestionnaires du risque.

Le gaz n’est pas une solution pour le climat

Le gaz, dont l’extraction et la consommation de gaz représentent 25% des émissions de GES mondiales, est souvent présenté comme une alternative propre au charbon. Cette idée est fausse pour au moins deux raisons.

D’une part, d’après le Production Gap Report de 2020 coordonné par les Nations Unies nous devons réduire la production de gaz de 3% par an d’ici à 2030. Tout nouveau développement est donc incompatible avec le budget carbone restant et il nous faudra fermer certains sites avant qu’ils ne soient pleinement exploités.

D’autre part au-delà des effets stricts de l’utilisation du gaz, un élément est trop souvent négligé : les fuites de méthane lors du transport et de la transformation du GNL. Celles-ci, souvent estimées à 2-3% sur l’ensemble du processus pourraient en fait aller jusqu’à 9% du total. Or, le méthane (CH4) a sur une période de 20 ans un impact négatif sur le climat estimé à 86 fois celui du CO2. En d’autres mots, l’exploitation du gaz est bien plus polluante que ce qui est normalement admis.

Ces constats sont d’autant plus inquiétants quUrgewald nous rappelle dans son rapport que la production de gaz ne baisse pas mais augmente d’environ 1% chaque année.

Des infrastructures inutiles qui se multiplient

Fin 2019, ce sont 21 projets d’infrastructures de transport ou de transformation de gaz naturel liquéfié qui sont dans les cartons rien qu’en Europe, dont 6 en construction. Lorsque l’on sait que de telles infrastructures mettent entre 5 et 10 ans à sortir de terre, et que des contrats d’approvisionnements de 20 ans ou plus sont signés avant d’amorcer les travaux, on comprend l’ampleur du désastre : ces projets vont enfermer l‘Europe dans sa dépendance au gaz bien au-delà de ce que permet le respect de l’Accord de Paris.

Ce développement va à l’encontre des engagements climatiques de l’Union Européenne et des tendances actuelles en faveur de la réduction de la consommation en gazqui selon les projections baissera de 13 à 19% d’ici à 2040 et de 75 à 85% d’ici à 2050.

L’inutilité de nouvelles infrastructures est encore plus frappante quand on regarde le taux d’utilisation des infrastructures existantes. D’après linstitut allemand de recherche en économie, DIW, les 28 terminaux d’importations de GNL et les 8 mini-terminaux additionnels existants en Europe ont tourné en moyenne à 25% de leur capacité totale depuis 2012.

Au regard de ces chiffres il n’est donc pas étonnant que les annulations de projets s’enchainent. En plus des facteurs économiques s’ajoutent les risques de réputation à importer du gaz de schiste des Etats-Unis, légaux en cas de participation à des projets d’importation de gaz russe sanctionnés par les Etats-Unis, de poursuites judiciaires par les populations locales. Rien qu’en 2020, Engie a annulé son contrat avec Next Decade, le gouvernement irlandais annulé les projets d’infrastructures à Shannon et Cork, et Uniper a suspendu pour une durée indéfinie ses projets à Wilhelmshaven.

Les assureurs fervents soutiens de l’exploitation gazière

Or, le phénomène risque de s’accentuer puisque le secteur est en train de perdre les soutiens des institutions financières publiques de développement ou d’aide à l’exportation qui annoncent la fin de leurs soutiens à de tels projets gaziers. Dernier en date, le président de la Banque Européenne d’Investissement qui déclarait le 22 janvier 2021: “Gas is over”.

Et pourtant, un secteur refuse pour l’instant de tourner le dos au gaz : celui de l’assurance. Le rapport dUrgewald montre que depuis l’Accord de Paris, au moins 21 acteurs majeurs du monde de l’assurance ont soutenu de tels projets. Que ce soit via l’émission de politiques d’‘assurances ou via l’investissement en actions ou en obligations Urgewald en documente 24 projets en développement et on peut soupçonner que cela ne représente que la partie émergée de l’iceberg.

Parmi eux se trouvent AXA. Nous savions déjà quAXA compte parmi les 15 plus gros assureurs du secteur pétrolier et gazier. Le rapport d’Urgewald nous donne un aperçu de l’implication du géant de l’assurance français dans l’expansion gazière en Europe avec pas moins de 5 projets de développement d’infrastructures gazières depuis la signature de l’Accord de Paris. On peut ainsi mentionner le projet de gazoduc Nordstream 2 ou les activités gazières et projets de développement des entreprises Energinet (Danemark), N.V. Nederlandse (Pays-bas) et de Gasunie et Fluxys (Belgique).

Les soutiens peu scrupuleux d’AXA au secteur gazier

Si on se concentre sur Fluxys, AXA assure par exemple cette dernière via un contrat de couverture des pertes d’exploitation et des dommages. AXA est aussi devenu co-actionnaire d’une joint-venture avec Fluxys. Fluxys, entreprise belge d’importation de GNL via plusieurs terminaux en France, Allemagne et Belgique est problématique à plusieurs égards.

Fluxys entend opérer dans ce secteur sur un horizon de temps incompatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. En effet, alors que l’Europe devrait sortir des énergies fossiles d’ici 2040, Fluxys a un contrat d’approvisionnement avec le Qatar qui prévoit des livraisons jusqu’en 2044. Les émissions induites pas ce contrat s’élèveront à 2.3 gigatones de CO2e sur une période 25 ans – l’équivalent de 3 fois les émissions totales de GES de l’Allemagne pour l’année 2018.

Fluxys a également signé en 2015 un accord d’approvisionnement sur 20 ans avec l’entreprise russe Novatek, pour l’achat annuel de 8 millions de tonnes de GNL produit dans la région du Yamal. Lactivité gazière de Novatek menace le mode de vie des 41 000 populations pastorales Nenets et Yamalo, dont les terres sont accaparées et qui font face à un chômage de masse et des problèmes d’addictions multiples.

AXA doit dire non à l’expansion gazière

Pour résumé, en acceptant d’‘assurer ce type de projets ou d’investir dans ces entreprises, AXA contribue à aggraver la crise climatique actuelle et intente aux droits fondamentaux des populations affectées par l’exploitation des gisements gaziers. Avec une telle politique d’investissement, le risque d’essuyer des pertes financières n’est pas à écarter non plus compte tenu de la sous-utilisation chronique des infrastructures gazières en Europe.

Il est donc urgent qu’AXA, tout comme les autres assureurs européens, arrête dès maintenant d’assurer tout nouveau projet gazier et conditionne ses soutiens aux entreprises à l’arrêt de leur expansion dans ce secteur. Faute de quoi les activistes climatiques auront beau jeu de dénoncer l’hypocrisie d’AXA, membre de la Net-Zero Asset Owner Alliance, en matière climatique.