Selon l’agence de notation AM Best, Scor est le quatrième réassureur mondial. En d’autres mots, c’est un poids lourd du secteur. Cependant Scor est sur le point d’être distancé par ses concurrents européens sur le plan environnemental où l’ambition affichée de Scor se heurte encore à la réalité de ses (non)engagements. Cela pose question alors même que Bruno Le Maire a demandé il y a déjà presque deux ans aux acteurs financiers français d’adopter des plans de sortie du charbon.
Retour donc, à l’occasion de son assemblée générale, sur ce que pourrait impliquer l’absence de mesures fortes de la part de Scor pour prendre à bras le corps les changements climatiques. De telles mesures sont en effet urgentes à un moment où même l’AIE annonce qu’aucun nouvel investissement dans les énergies fossiles ne doit être approuvé. La nomination d’un nouveau directeur général semble en effet être le moment parfait pour tourner la page du charbon.
Les contradictions climatiques de Scor
Côté investisseur, Scor a une politique charbon robuste qui fait figure d’exemple. De même, c’est à travers ses engagement internationaux que Scor met en avant son volontarisme climatique : il est déjà membre de la Net-Zero Asset Owner Alliance, et fait maintenant partie du groupe restreint de (ré)assureurs initiateurs de la Net Zero Insurance Alliance.
Cependant, ses engagements net-zéro et ses exclusions charbon semblent peu de choses face à la quasi-absence de mesures concernant le secteur des pétrole et gaz et son expansion : Scor exclut les entreprises tirant plus de 30% de leurs revenus de l’Arctique ou des sables bitumineux, et demande simplement aux autres entreprises d’avoir « un plan de transition d’alignement avec l’Accord de Paris » ou « un plan de réduction de l’intensité carbone de ses activités ». En outre, cela ne s’applique qu’à ses activités d’investissement. Scor peut donc toujours soutenir les nouveaux projets dans le secteur et les entreprises développeuses de tels projets. Cela semble anachronique à un moment où même l’AIE dit qu’aucun nouveau projet dans les énergies fossiles ne doit plus être approuvé.
De même la quasi-absence d’engagements pour ses activités assurantielles est problématique, et… incohérente. Le contraste est en effet saisissant entre Scor l’investisseur, et Scor l’assureur. D’un côté la fin du charbon est actée dans des dates compatibles avec l’Accord de Paris et tout soutien à l’expansion est désormais banni. De l’autre, côté (ré)assureur, seules de maigres mesures concernant les nouveaux projets ont été prises. Rien cependant concernant les développeurs, pas de date de sortie prévue, ni d’exclusion des acteurs les plus dépendants au charbon. En bref, investir dans le charbon, non, mais l’assurer, aucun problème.
Les traités de réassurance comme talon d’Achille
En outre, lorsque l’on se penche sur les maigres engagements pris côté assurance, là encore des failles se font jour. En effet, des mots même de son futur directeur exécutif Laurent Rousseau : « un peu plus de 75% des primes d’assurances brutes », sous forme de traités de réassurance, ne sont pas couvertes. Cela implique donc qu’en dépit de son engagement à ne plus assurer de nouveaux projets de mines et centrales à charbon, Scor pourrait bel et bien être toujours impliqué dans la couverture d’un grand nombre d’entre eux.
Jusqu’à présent Scor pouvait arguer de son incapacité à agir sur ces traités où, par nature, il est plus difficile d’isoler et d’exclure la couverture spécifique de risques liés à des projets ou entreprises du secteur du charbon. La décision de Swiss Re d’avril 2021 montre que Scor a pris du retard. En effet, le réassureur suisse, leader mondial du secteur, a annoncé l’application de sa politique charbon à l’ensemble de ses traités de réassurance d’ici à 2023, et Munich Re et Hannover Re, 2ème et 3ème réassureurs mondiaux s’apprêtent à suivre le mouvement.
Si la réalité du métier de réassureur consiste, comme l’a exprimé Laurent Rousseau, à gérer ce qui peut être mesuré (« what gets measured gets managed »), il semble donc que Scor ait un train de retard sur ses concurrents directs. Ceux-ci estiment maintenant connaître avec suffisamment de détail le contenu de leurs traités de réassurance, et donc les risques intrinsèques qu’ils portent, pour être capable d’en isoler les activités charbon. En d’autres mots, cela pourrait refléter une meilleure mesure des risques auxquels ils sont exposés, ce qui implique donc une meilleure maitrise des risques financiers climatiques.
Si l’on s’en tient au rapport annuel de Scor pour lequel « le défi du métier de réassureur consiste à identifier, sélectionner, évaluer et tarifer le risque », les concurrents de Scor semblent donc avoir pris une longueur d’avance.
Un nouveau directeur exécutif pour impulser une nouvelle dynamique climatique ?
La question qui se pose maintenant est donc de savoir si Scor va rattraper son retard au moment où il est à la croisée des chemins. En effet, au-delà des questions purement climatiques, c’est aussi la rentabilité économique et la solidité financière de Scor qui pourraient poser question à l’avenir. En effet, Scor écrit lui-même que « si la notation de SCOR venait à être abaissée, […] cela se traduirait par une perte de compétitivité pour SCOR » et ce alors même qu’ « un grand nombre des traités de réassurance de SCOR, […] contiennent des clauses relatives à la solidité financière de la Société » (Rapport Universel 2020 de Scor, p.128). Or, l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles pour lesquelles Scor doit indemniser les victimes (+33% entre 2019 et 2020) se fait sentir, et l’impact sur ses performances économiques est important: €483 millions payés en 2020 (coûts bruts), soit deux fois les résultats annuels de Scor (Rapport Universel 2020 de Scor, p.6 et 27).
En d’autres mots, une mauvaise évaluation du risque, ici climatique, auquel Scor est exposé via ses traités de réassurances pourrait impacter fortement le modèle économique de l’entreprise. Il faut donc espérer que Laurent Rousseau, qui doit devenir à l’occasion de l’Assemblée Générale du groupe le nouveau directeur exécutif, remettra Scor sur le chemin du leadership climatique. Réponse en septembre à l’occasion du lancement de la Net-Zero Insurance Alliance où des engagements individuels et collectifs forts de chacun des membres fondateurs de l’alliance seront attendus. C’est le climat qui représentera alors le test décisif de son leadership.