Alors que la COP26 bat son plein et que le secteur financier refuse encore de cranter la fin des soutiens à l’expansion pétro-gazière, Urgewald, Reclaim Finance et 18 autres ONG publient une liste inédite mettant à nu l’industrie pétro-gazière et ses plans climaticides. Le diagnostic est glaçant mais la solution est limpide : que les banques, assureurs et investisseurs cessent de soutenir les entreprises qui continuent d’aggraver la crise climatique. Reclaim Finance recommande à tous les acteurs financiers de s’appuyer sur cette liste pour mettre fin aux soutiens à l’expansion pétro-gazière et sortir au plus vite des hydrocarbures non-conventionnels.

Des plans de développement incompatibles avec les impératifs climatiques

887 entreprises du secteur pétro-gazier sont listées dans la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) publiée aujourd’hui. C’est la 1ère fois qu’une liste aussi exhaustive est mise à disposition du secteur financier. La liste recense notamment les entreprises responsables de 95% de la production de pétrole et de gaz. La quasi-totalité (96.5%) des entreprises du segment upstream listées dans la GOGEL sont impliquées dans le développement de projets de production des réserves existantes ou d’exploration de nouvelles réserves.

Contrairement aux appels répétés des scientifiques, de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et des Nations unies, 539 entreprises sont actuellement en train de développer de nouveaux projets de production au lieu de réduire leur production. La GOGEL estime que 192 milliards de barils équivalent pétrole sont en cours de développement et seront ajoutés aux portefeuilles de production d’ici un à sept ans. A elles seules, une quinzaine d’entreprises sont responsables de plus de la moitié de cette augmentation. Parmi elles, on retrouve les majors pétro-gazières : ExxonMobil, TotalEnergies, Chevron, Shell et BP.

Shell, explorateur de bombes climatiques. Alors que brûler les réserves déjà découvertes suffirait à consommer deux fois le budget carbone (1) restant pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, plus de 350 entreprises listées dans la GOGEL ont investi un total de $168 milliards entre 2019 et 2021. 16 d’entre elles représentent à elles seules la moitié de ce budget. En 3ème position, on retrouve la major néerlandaise Shell avec $2,4 milliards investis ces trois dernières années.

Une part croissante d’hydrocarbures non-conventionnels

 

Selon la GOGEL, Les hydrocarbures non-conventionnels et particulièrement néfastes pour l’environnement et le climat – qu’ils soient issus des sables bitumineux, d’exploitations en eaux très profondes, de l’Arctique, du pétrole et du gaz de schiste, ou encore de pétrole extra lourd ou de gaz de couche – représentent 34% de la production de pétrole et de gaz actuellement. Les non-conventionnels représentent 50% des volumes qui seront développés par les entreprises si elles n’y renoncent pas rapidement. Les hydrocarbures non-conventionnels représentent une part importante des plans de développement des majors. Plus de 30% des barils en cours de développement par TotalEnergies et Shell sont issus d’hydrocarbures non-conventionnels. Dans le cas de BP, Chevron et ExxonMobil, c’est bien plus encore (environ 57%, 68% et 73% respectivement).

La GOGEL démontre qu’il n’est plus possible de répondre à l’urgence climatique sans sanctionner certaines des valeurs et clients préférés de la Place financière française. Il faut que les banques, assureurs et investisseurs arrêtent de tourner autour du pot en essayant de se persuader de leur transition alors que leur stratégie et leurs projets sont clairement incompatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

TotalEnergies, le plus gros expansionniste européen. Aujourd’hui déjà 11 ème plus gros producteur d’hydrocarbures de la planète, et figure parmi les 10 principaux producteurs d’hydrocarbures en Arctique et ultra profonds, et même de de pétrole issu des sables bitumineux. La multinationale française est la 1ère à développer sa production de pétrole et gaz en Europe et la 7ème au niveau mondial. Plus de 32 % de cette nouvelle production est en outre prévue dans des secteurs à impacts extrêmes sur l’environnement, comme les forages en Arctique. Total figure également dans le top 10 des développeurs de terminaux de LNG. 

De quoi doubler la capacité de production de Gaz Naturel Liquéfié 

 

La GOGEL recense 273 entreprises impliquées dans la construction d’infrastructures de transport. Plus de 211,849 kilomètres d’oléoducs et gazoducs sont en cours de construction, de quoi faire la moitié du chemin vers la lune. Si les plans de développement de terminaux GNL prévus aboutissent, ils permettront de doubler la capacité actuelle de liquéfaction et à augmenter les émissions de méthane. Shell et Total font partie des 10 principaux développeurs de terminaux méthaniers au monde. Ces projets sont incompatibles avec les appels des climatologues à réduire au plus vite les émissions de méthane étant donné que leur pouvoir réchauffant pour le climat est 84 fois plus élevé que le CO2 à court terme.

La GOGEL, l’outil pour guider la fin de l’expansion pétro-gazière et la sortie des hydrocarbures non-conventionnels 

 

La GOGEL tombe a pic. A l’exception de la Banque Postale, l’Ircantec, le Crédit Mutuel et la MAIF, les gros acteurs de la Place de Paris n’ont toujours pas pris de mesures pour cesser de soutenir l’expansion pétro-gazière, y compris dans les secteurs les plus nocifs pour l’environnement. Et ce, malgré les avertissements répétés de la communauté scientifique et de l’Agence Internationale de l’Energie, malgré les recommandations de l’ACPR et de l’AMF et celles du Comité scientifique de l’Observatoire de la finance durable. La raison le plus souvent invoquée : le manque de données accessibles et disponibles pour adopter des politiques d’exclusion robustes.

Il sera désormais très facile pour les banques, assureurs et investisseurs de faire le tri entre le greenwashing et les vrais plans de transition des entreprises pétro-gazières. Il n’y a plus d’excuse valable pour continuer à soutenir les entreprises qui s’obstinent à développer des nouveaux projets pétroliers et gaziers à rebours des impératifs climatiques.

La GOGEL fournit un outil clé en main à Bruno Le Maire pour imposer au secteur financier la stratégie de sortie des hydrocarbures non-conventionnels qu’il appelait de ses vœux il y a un an et a glissé sous le tapis depuis. La Global Coal Exit List (GCEL) lancée en 2017 a déjà permis d’accélérer la sortie de la Place de Paris du charbon. La GOGEL peut, elle aussi, permettre aux acteurs financiers d’adopter des politiques robustes sur le pétrole et le gaz. D’ailleurs, elle fait déjà parler d’elle : plusieurs établissements – dont La Banque Postale, Crédit Mutuel et AXA – incluent d’ores et déjà la GOGEL dans leurs politiques pétrole et gaz. Le Comité scientifique de l’Observatoire de la finance durable ainsi que l’ACPR et l’AMF s’appuient également sur la GOGEL dans leurs travaux d’évaluation et de recommandation.

La GOGEL fournit aux banques, assureurs et investisseurs l’outil qui leur permettra de façonner des politiques robustes pour progressivement réduire leurs soutiens au pétrole et au gaz et sanctionner les entreprises qui refusent de se plier aux impératifs climatiques. 

Notes

  1. 726 GtCO2 en utilisant les données Resources 2020 de Rystad, soit presque le double du budget carbone, 400 GtCO2 pour rester sour 1.5°C avec 66% de probabilité d’après le GIEC

Pour aller plus loin :