Les 3 grandes banques françaises – BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole – ont alloué plus de US$ 300 milliards aux énergies fossiles depuis l’Accord de Paris. La situation n’est guère meilleure du côté des assureurs et investisseurs français dont la majorité continue d’alimenter l’expansion du secteur pétrolier et gazier. S’ils sont de plus en plus nombreux à s’engager à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 suivant une trajectoire 1,5°C, la plupart continue de nier les conclusions scientifiques. Petit tour d’horizon des faux arguments utilisés par des grands noms de la finance française pour justifier leur inaction climatique.
Le scénario Net Zero de l’AIE : toujours sujet à discussion
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié en 2021 son scénario Net-Zero (NZE) dans lequel elle stipule que, pour limiter le réchauffement à +1,5°C, il ne faut pas de nouveaux champs de pétrole et de gaz. Ce scénario de référence est désormais régulièrement pris en compte par les acteurs financiers.
Pourtant, la majorité de la Place de Paris refuse de reconnaître pleinement sa conclusion la plus immédiate quant à l’arrêt du développement de nouveaux champs, Société Générale refuse en bloc d’évoquer cette mesure ainsi que toute transformation nécessaire sur le court et moyen terme pour le secteur pétrolier et gazier. BNP Paribas considère ce scénario comme l' »un des scenari envisagés » sans « consensus sur un modèle précis » alors même que la banque a longtemps justifié ses actions dans le secteur énergétique en se référant aux scénarios de l’AIE (1) et met en avant l’utilisation du NZE pour évaluer son objectif de réduction de son exposition au pétrole et au gaz.
Surtout, un consensus scientifique existe quant à la nécessité de ne plus développer de nouveaux champs pétroliers et gaziers. En effet, une étude publiée dans Environmental Research et les autres scénarios climatiques qui prévoient une trajectoire de réchauffement à 1,5°C sans reposer sur des volumes massifs d’émissions négatives – ce qui incluent par exemple les scénarios du GIEC ou le One Earth Climate Model développé sur commande de la Net-Zero Asset Owner Alliance – montrent le besoin impérieux de ne plus développer de nouveaux champs et de diminuer rapidement la production pétrolière et gazière.
L’offre et la demande : à quand la fin de la confusion ?
Contrairement à Société Générale ou BNP Paribas, Crédit Agricole reconnaît pleinement le scénario de l’AIE mais soulignait en mai dernier que « de nouveaux gisements de pétrole et de gaz ne sont pas nécessaires si la demande d’hydrocarbure connaît une forte baisse, ce qui n’est pas le cas actuellement« . Autrement dit, il ne sera possible d’agir sur l’offre que si la demande évolue en premier lieu.
De nombreux acteurs financiers – ainsi que les majors pétro-gazières (2) – utilisent un argument similaire. Et pour cause : cette manœuvre rejette entièrement la responsabilité sur les gouvernements et – surtout – sur les consommateurs.
Or, la transition implique de travailler sur l’offre et la demande simultanément. Les acteurs financiers peuvent adopter des mesures sur la demande, par exemple adopter des politiques pour pousser les plus gros consommateurs d’hydrocarbures et d’électricité carbonée, comme les industriels de la sidérurgie, de l’automobile, de l’aviation, à se décarboner. Mais cela ne les dédouane pas d’agir aussi sur l’offre. En matière d’énergie, l’offre crée aussi la demande : une production massive et continue d’hydrocarbures limite le recours aux énergies renouvelables (3)
Crédit Agricole semble cependant sur la bonne voie. Le groupe a indiqué en juin qu’il publiera dans les prochains mois une politique pétrole et gaz visant son “désengagement progressif du secteur pétrole et gaz” et qui sera en ligne avec les recommandations de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), dont les principes Race To Zero contiennent l’arrêt de l’expansion pétrolière et gazière.
Ne plus refuser les évidences au nom de la crise de l’énergie
Les banques n’ont pas l’apanage de la confusion. En la matière, AG2R La Mondiale remporte la palme. L’investisseur a publié sa première politique sur le pétrole et le gaz (4) et une position visant à justifier les mesures prises (la page a été supprimée après notre réaction sur twitter). AG2R La Mondiale annonce des mesures significatives sur les pétrole et gaz non conventionnels mais échoue à reconnaître l’impératif scientifique de mettre un terme à l’expansion pétrolière et gazière. En effet, l’investisseur défend l’idée qu’il faudrait maintenir le niveau de production pétrolière et gazière et développer de nouveaux ”gisements de gaz récemment classés par la Commission européenne comme énergie de transition”, “afin de ne pas déstabiliser de façon trop violente le prix de l’énergie”.
AG2R La Mondiale tente de justifier de nouveaux puits (upstream) par l’inclusion dans la taxonomie européenne de certains projets de production d’électricité à partir de gaz (downstream). Or, non seulement la taxonomie soumet les centrales à gaz à des critères censés limiter particulièrement leur développement, mais son inclusion a été critiquée par le groupe d’investisseurs IIGCC et condamnée par les scientifiques et experts finances durables européens. La stratégie d’AG2R s’inscrit en vérité en opposition aux objectifs climatiques internationaux et à la stratégie énergétique européenne puisque celle-ci repose sur une baisse importante de la consommation gazière d’ici 2030.
L’investisseur va donc bien moins loin que ses pairs notamment MAIF, CNP Assurances, MACIF, Abeille Assurances et Groupama, qui ont tous pris position contre l’expansion pétro-gazière. Si AG2R La Mondiale qualifie leur approche de “brutale”, ces acteurs prennent en réalité uniquement acte de la science.
Alors que la science nous exhorte à à réduire la production d’hydrocarbures, AG2R indique vouloir dialoguer avec les entreprises du secteur afin de les inciter “à stabiliser voire réduire leur production totale de pétrole et gaz”. Or, le directeur général de l’AIE lui-même, Fatih Birol, indique que la crise actuelle est liée à notre dépendance aux énergies fossiles et que la situation impose une réduction – et non un accroissement – de cette dépendance.
En cette période de canicule, l’urgence climatique est plus que jamais visible et le greenwashing dont font preuve un grand nombre d’acteurs financiers français n’est plus tenable. Espérons que les évènements climatiques extrêmes poussent leurs dirigeants et équipes à se saisir pleinement et non plus à moitié du scénario de l’AIE pour exiger de leurs clients un arrêt immédiat de leurs plans d’expansion dans le pétrole et le gaz.