La Fédération bancaire française (FBF) vient de communiquer des chiffres sur les soutiens des banques françaises aux énergies renouvelables et aux activités qualifiées de “vertes et durables” ainsi qu’aux énergies fossiles afin de démontrer l’engagement et l’action des membres de la fédération en matière climatique (1). En annonçant que les banques françaises sont au service de la transition écologique, la FBF délivre une interprétation trompeuse de leurs soutiens financiers. Reclaim Finance décrypte le vrai du faux.

La déclaration de la FBF arrive deux jours avant la tenue à Paris de la 7ème du Climate Finance Day dont on vous décrypte tous les enjeux dans cet article.

Argument 1 : L’absence de dépendance des banques françaises aux énergies fossiles

La FBF affirme la faiblesse des encours de prêts aux énergies fossiles (€25 milliards, 0,27% du total du bilan des banques françaises, à fin 2021) (2). Il faut d’abord rappeler que le calcul a été effectué à partir de la Global Oil and Gas Exit list (GOGEL) qui ne porte que sur une partie du secteur pétrolier et gazier – rien n’est dit sur la méthode de calcul de l’exposition au charbon. Par ailleurs, les banques françaises soutiennent les entreprises fossiles à travers divers produits et services financiers, comprenant notamment les prêts mais aussi les émissions d’actions et d’obligations. Par ailleurs, ce qui compte est moins les encours que les flux puisque ce sont eux qui façonnent le monde de demain. Notons alors que les banques françaises ont accordé depuis l’adoption de l’Accord de Paris US$130 milliards de financements aux 100 entreprises qui développent le plus de nouveaux projets de charbon et de production et de transport de pétrole et de gaz – soit des projets incompatibles avec l’objectif que se sont données les banques de limiter le réchauffement à 1,5°C (3).

Par ailleurs, la FBF réaffirme son engagement sur les hydrocarbures non conventionnels. Rappelons que celui-ci ne prend en compte que les pétrole et gaz de schiste, les sables bitumineux et le pétrole extra-lourd, une finition bien plus restrictive que celle de l’Observatoire de la Finance Durable (4). Manquent notamment les forages en Arctique ou encore ceux en eaux ultra profondes, un secteur sur lequel sont très impliquées les banques françaises. Entre 2016 et 2021, BNP Paribas est par exemple le premier soutien mondial aux 30 entreprises les plus actives dans les forages en Arctique et aux 30 entreprises les plus actives dans les forages offshore.

Argument 2 : Un financement massif des énergies renouvelables et des activités vertes et durables

La FBF tente de démontrer que les banques françaises soutiennent bien plus les solutions, “les énergies renouvelables et les énergies vertes et durables”, que les sources de pollution, le charbon et les hydrocarbures. La fédération fait ainsi valoir que pour 1€ investi dans le fossile, 4€ le sont dans les énergies renouvelables, les activités vertes et durables. Rappelons tout d’abord que la comparaison ne porte pas sur tous les soutiens aux énergies fossiles contre tous ceux aux énergies renouvelables puisque les évaluations pour les hydrocarbures sont effectuées à partir de la GOGEL qui ne couvre pas l’intégralité de la chaine de valeur.

Pour les prêts, la FBF annonce €100 milliards d’encours verts et durables contre €2 milliards au charbon et €23 milliards aux hydrocarbures. Or, elle note aussi que les énergies renouvelables captent €42 milliards des €100 milliards. Aucune précision n’est apportée sur la teneur des activités qui composent les près de €60 milliards restants. Si on s’en tient au secteur de l’énergie, il faut plutôt comparer les €25 milliards d’encours de financement aux énergies fossiles avec les €42 milliards d’encours de financement aux énergies renouvelables à fin 2021.

Les activités hors bilan, qui comprennent notamment les émissions d’actions ou d’obligations, sont extrêmement importantes pour comparer pleinement les soutiens des banques aux énergies renouvelables contre celles aux énergies fossiles. En effet, quand les émissions d’actions et d’obligations ne servent qu’à une petite partie du financement des énergies renouvelables, elles représentent la moitié des financements totaux aux énergies fossiles (5).

Sur ces activités hors bilan, la FBF tente de nouveau de justifier le ratio de 1 à 4 en présentant €51 milliards de soutiens aux hydrocarbures contre €225 milliards d’arrangement en 2021 pour les obligations vertes. Or, la comparaison relève une fois de plus de la manipulation puisque les obligations vertes ne sont pas dédiées au secteur de l’énergie. En l’état, la FBF ne publie pas d’informations relatives aux obligations vertes pour les énergies renouvelables. Par ailleurs, à noter que rien ne garantit le caractère vert des obligations. BNP Paribas a ainsi soutenu l’émission d’une obligation dite “verte” de US$4 milliards pour un projet d’expansion de l’aéroport de Hong Kong.

Argument 3 : Des travaux permanents pour accélérer vers une transition durable et globale

La FBF promeut par ailleurs l’action des banques à travers la Net Zero Banking Alliance (NZBA). Il est vrai que les banques françaises, à l’exception de Natixis et Crédit Mutuel, ont annoncé des cibles de décarbonation sur plusieurs secteurs énergétiques, certaines en valeur absolue et alignées avec des scénarios 1,5°C. (6).

Cependant, cela ne suffit pas à affirmer que les banques françaises soutiennent pleinement la transition. En effet, l’adoption de cibles de décarbonation et de baisse d’exposition sur les secteurs les plus carbonés ne suffit pas. Elle permet de guider la trajectoire d’un portefeuille mais relève plus de la gestion des risques financiers que d’une approche visant un alignement avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. En effet, non seulement ces cibles ne couvrent pas l’intégralité des activités de financement des banques, mais les acteurs financiers peuvent les atteindre tout en maintenant des financements à des entreprises qui développeraient de nouveaux projets pétroliers et gaziers, lesquels sont incompatibles avec l’objectif 1,5°C.

En effet, une banque peut financer TotalEnergies à travers un prêt général qui contribuera à la forte stratégie d’expansion de la major dans le pétrole et le gaz et donc au développement d’actifs incompatibles avec l’objectif 1,5°C. Par exemple, si le prêt est remboursé avant 2030, ces actifs ne figureront pas au bilan de la banque mais ils continueront bien à émettre au-delà de cette date, grignotant encore du budget carbone ou se transformant en actifs échoués (stranded assets).

Dans le cas de TotalEnergies, les derniers chiffres publiés par la major française montrent que plus de 70% des capex vont aux fossiles et au moins 20% à l’exploration et aux nouveaux puits pétroliers. Donc quand les banques financent TotalEnergies, on se rapproche plus du ratio inverse : “pour 1 euro au renouvelable, 4 vont aux fossiles”, lesquels contribuent en partie au développement de nouveaux projets pétro-gaziers (7).

Il est donc important d’adopter des mesures supplémentaires permettant d’atteindre des baisses immédiates d’émissions dans le monde réel. En juin dernier, le Crédit Agricole a pour cette raison complété l’annonce de ses cibles de décarbonation par un engagement à revoir sa politique pétrole et gaz, et à faire cela en cohérence avec les recommandations de la GFANZ.

Pour pouvoir prétendre accélérer la transition et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 suivant une trajectoire 1,5°C comme l’exige leur engagement à travers la NZBA, les banques françaises doivent certes augmenter leurs soutiens aux énergies renouvelables mais aussi cesser ceux à l’expansion pétrolière et gazière, en conformité avec les critères de l’initiative des Nations Unies Race To Zero, mis à jour en juin dernier

Notes :

  1. Fédération Bancaire Française, Neutralité carbone : les banques françaises accélèrent, 2022.
  2. 2 milliards au charbon, soit 0,02% des encours et 23 milliards aux hydrocarbures, soit 0,25% des encours, à fin 2021.
  3. Chiffre issu de l’édition 2022 du Banking on Climate Chaos, publié par une coalition d’ONG dont Rainforest Action Network et Reclaim Finance. Les données sont issues des soutiens aux énergies fossiles des 6 plus grandes banques françaises, qui correspondent aux 7 banques prises en compte par la FBF dans ses analyses, hormis HSBC Continental Europe.
  4. Observatoire de la Finance Durable, Recommandations du Comité Scientifique et d’Expertise portant sur les hydrocarbures non conventionnels et les stratégies d’alignement, 2021.
  5. Banking on Climate Chaos, 2022. Sur la période 2016-2021, pour les 60 plus grandes banques mondiales, la répartition des soutiens aux énergies fossiles est la suivante : 49% de prêts, 51% d’émission d’obligations et d’actions (page 19).
  6. Outre La Banque Postale, des cibles de décarbonation ont été annoncées par Société Générale, BNP Paribas et Crédit Agricole.
  7. TotalEnergies, 2022 Strategy & Outlook, 2022.