Politique climat : Crédit Mutuel tente de rectifier le tir

Crédit Mutuel Alliance Fédérale vient d’annoncer de nouvelles mesures sur le secteur pétrolier et gazier. Elles complètent la politique annoncée en décembre dernier qui avait été critiquée pour ignorer les entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers, contrairement aux engagements pris par le groupe en 2021. Reclaim Finance salue la volonté du groupe de rectifier le tir mais regrette une approche maladroite qui porte sur la baisse de la production quand l’objectif affiché est l’arrêt de l’expansion pétro-gazière. Surtout, Reclaim Finance déplore l’absence de mesures sur les filiales d’investissements qui pourront continuer de fournir des capitaux qui contribueront aux déploiement de nouveaux projets d’hydrocarbures, comme ceux prévus par TotalEnergies ou ENI.

En 2021, Crédit Mutuel annonçait à deux reprises son intention d’adopter des mesures visant les entreprises avec des stratégies d’expansion dans le secteur du pétrole et du gaz, en complément des mesures annoncées sur les financements de projets et sur les entreprises actives dans les non conventionnels. Mais seules des mesures sur ces deux derniers points ont été intégrées dans la politique finale adoptée en catimini en décembre 2022 (1). Crédit Mutuel vient d’annoncer des mesures complétives : à partir de 2024, les entreprises qui n’affichent pas une baisse de leur production d’hydrocarbures par rapport à la plus faible année de production depuis 2022 ne pourront plus bénéficier de financements ou autres services figurant au bilan consolidé de la banque ou d’opération de marché tendant à les financer (2).

Crédit Mutuel semble vouloir corriger le tir mais se trompe de méthode en adoptant une mesure sur le niveau de production quand le groupe déclare pourtant vouloir lutter contre l’expansion pétrolière et gazière. Demander la baisse de la production d’hydrocarbures est certes pertinent, mais cela doit venir en plus de mesures spécifiques sur l’expansion. De plus, l’absence d’exigence quant au niveau de baisse de la production attendue et au non recours à la vente d’actifs pour l’atteindre ouvre le risque de voir cette approche échouer sur les deux tableaux.

Antoine Laurent, responsable du plaidoyer en France

L’Agence internationale de l’énergie projette dans son scénario NZE visant un réchauffement limité à 1,5°C l’arrêt du développement de nouveaux champs au-delà de ceux ayant obtenu leur décision finale d’investissement (FID) avant 2022. Si elle prend une définition un peu plus extensive, la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) de l’ONG Urgewald permet aussi aux acteurs financiers d’identifier les développeurs pétroliers et gaziers en fonction de leur FID.

Crédit Mutuel Alliance Fédérale avait affirmé vouloir utiliser la GOGEL pour guider sa politique et l’utilise comme base de données pour les autres mesures de sa politique. Pourtant le groupe fait le choix de s’écarter de celle-ci pour l’application de sa nouvelle mesure et indique vouloir identifier les développeurs à travers l’évolution de leur niveau de production d’hydrocarbures : les entreprises qui baisseront annuellement leur production ne seront plus considérées comme en expansion, même si elles continuent de développer de nouveaux champs pétroliers ou gaziers.

Or, plusieurs entreprises du secteur pétrolier et gazier continuent de développer de nouveaux champs quand bien même elles affichent des objectifs de baisse de leur production d’hydrocarbures. C’est par exemple le cas de BP, qui prévoit une baisse de 11% de sa production pétrolière et gazière d’ici 2030 par rapport à 2022 quand bien même elle est la 16ème entreprise à prévoir le plus de nouveaux champs d’hydrocarbures. BP entend tenir son objectif de production en recourant à la vente d’actifs, soit une approche qui fonctionne au niveau du bilan carbone d’une entreprise mais qui échoue à décarboner le monde réel. Equinor prévoit aussi de baisser sa production de 2% d’ici 2030 par rapport à 2022 (3).

Si une telle approche pourrait ne pas avoir d’effet matériel sur le portefeuille bancaire du Crédit Mutuel, qui est peu exposé au secteur pétrolier et gazier, de gros poissons pourraient passer entre les mailles du filet si une telle mesure était répliquée par d’autres banques. Nous appelons donc les banques françaises à exiger de leurs clients à la fois un arrêt de l’expansion et une baisse de leur production alignée avec une trajectoire 1,5°C.

Antoine Laurent, responsable du plaidoyer en France

Au-delà du problème fondamental de l’approche, les nouvelles mesures annoncées par le Crédit Mutuel ne s’appliqueront qu’à la banque et non aux filiales d’investissement qui gèrent environ 200 milliards d’actifs. Or, les principaux soutiens du groupe Crédit Mutuel Alliance Fédérale au secteur pétrolier et gazier proviennent de ces filiales, avec des expositions principales à ENI, TotalEnergies, Shell et Repsol. Ces entreprises prévoient toutes de nouveaux champs pétroliers et gaziers, TotalEnergies se classant même au 7ème rang des entreprises avec la plus forte stratégie d’expansion pétro-gazière sur le court terme.

Nous regrettons cette énième opportunité manquée pour s’aligner sur les meilleures pratiques de la place de Paris. A l’instar de ce que font d’autres investisseurs comme CNP Assurances, Crédit Mutuel doit s’engager à ne plus acheter d’obligations d’entreprises qui continuent d’ouvrir de nouveaux champs pétroliers et gaziers. Cette pratique, qui permet de ne plus financer l’expansion pétro-gazière tout en laissant la place au dialogue, doit être appliquée par défaut à tous les actifs gérés par le groupe, laissant ensuite le choix à ses clients de décider ou non d’investir dans le chaos climatique

Antoine Laurent, responsable du plaidoyer en France.

Contacts :

  • Sarah Bakaloglou, Chargée des relations presse France, sarah@reclaimfinance.org, +33661682510

Notes :

 

(1) Voir le communiqué de presse de Reclaim Finance sur la politique hydrocarbures du Crédit Mutuel Alliance Fédérale.

(2) Voir le communiqué de presse de Crédit Mutuel Alliance Fédérale sur les nouvelles mesures annoncées le 12 avril 2023.

(3) Calcul réalisé en utilisant les reportings et déclarations des entreprises sur la production 2022 et sur les objectifs de production d’ici 2030.

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2023-04-13T13:59:30+02:00