A l’approche des assemblées générales 2024, Reclaim Finance appelle les investisseurs à changer de braquet dans leurs rapports avec l’industrie pétro-gazière. Après des années d’engagement limitant l’enjeu climatique à des résolutions spécifiques, souvent non contraignantes, et s’actant par un échec à mettre un terme à la stratégie d’expansion fossile de ces entreprises, Reclaim Finance recommande deux actions. La première consiste à suspendre tout nouvel investissement, a fortiori obligataire, afin de ne pas contribuer à l’aggravation du dérèglement climatique. La deuxième vise à intégrer le climat dans les votes stratégiques de routine, en votant contre les administrateurs sortants, la rémunération des dirigeants, mais aussi les dividendes et les comptes financiers, pour sanctionner et tenter de bloquer leurs stratégies climaticides.
Les pratiques d’engagement actuelles ont échoué à mener le secteur pétro-gazier sur une trajectoire 1,5°C. Les résultats obtenus sont dérisoires au regard de l’urgence climatique [1]. 96% des entreprises pétro-gazières poursuivent l’expansion fossile [2], dont les majors comme TotalEnergies, BP et Shell. Alors que l’action climaticide de ces entreprises coûte de plus en plus cher aux populations, aux écosystèmes mais aussi aux portefeuilles financiers de nombreux investisseurs, il est urgent de revoir en profondeur ces pratiques d’engagement et les prolonger d’une suspension des nouveaux investissements dans ces entreprises tant qu’elles n’ont pas renoncé à leur stratégie d’expansion pétro-gazière.
La nécessité d’un changement d’approche radical dans les votes
Alors que certains investisseurs ont récemment fait le choix d’abandonner l’engagement actionnarial avec l’industrie pétro-gazière et de désinvestir du secteur, d’autres décident de rester actionnaires mais refusent d’octroyer de nouveaux investissements au secteur. [3] Pour ces derniers, et pour tout investisseur soucieux du climat, il est nécessaire de repenser la façon dont le climat est abordé dans les votes en assemblées générales.
Jusqu’à présent, les enjeux climatiques ont principalement été traités dans des résolutions spécifiques en assemblée générale : soit dans des résolutions déposées par des actionnaires, soit dans des résolutions dites Say on Climate proposées par la direction de l’entreprise et demandant l’approbation de la stratégie climatique ou de sa mise en œuvre. Cette approche a révélé ses limites, car elle a relégué le climat au second rang des préoccupations stratégiques, et n’a pas empêché les développeurs pétro-gazièrs de poursuivre leurs plans climaticides, même si les investisseurs ont exprimé une opposition importante dans leurs votes.
Reclaim Finance appelle donc à systématiser l’intégration du climat dans les votes stratégiques de routine, pour bloquer et s’opposer aux plans climaticides d’une part, et présenter le climat comme une priorité stratégique d’autre part.
Par ailleurs, il est essentiel de centrer les critères de vote sur le critère climatique le plus matériel, c’est-à-dire le plus concret en termes d’impact : la fin immédiate de l’expansion pétro-gazière, condition indispensable pour limiter le réchauffement à 1,5°C d’après la science climatique.
Ces impératifs s’appliquent également aux agences de conseil en vote, telles que ISS et Glass Lewis, qui jusqu’ici n’ont pas pris leurs responsabilités en matière d’action climatique. En 2023, ISS et Glass Lewis ont tous deux recommandé de ne pas soutenir les résolutions climatiques actionnariales déposées auprès de Shell et BP, and ISS a récemment élargi son offre pour proposer des recommandations dédiées aux investisseurs « ESG-sceptiques » [4].
Intégrer le climat aux votes stratégiques
Les enjeux climatiques sont intrinsèquement liés à plusieurs votes stratégiques présentés par les entreprises pétro-gazières en assemblée générale :
→ Réélection des administrateurs et rémunération : Le conseil d’administration et les dirigeants exécutifs d’une entreprise sont chargés de la définition et de la mise en œuvre de sa stratégie. A ce titre, ils doivent être tenus pour responsables en cas de stratégie climatique incomplète ou insuffisante, et être sanctionnés pour ceci. Dans le cas des entreprises pétro-gazières, l’expansion fossile constitue une ligne rouge pour s’inscrire dans une trajectoire 1,5°C. Les investisseurs doivent donc voter contre la réélection des administrateurs et la rémunération des dirigeants des développeurs pétro-gaziers.
→ Comptes financiers et auditeurs : Pour bien refléter la situation financière d’une entreprise, les états financiers doivent prendre en compte tous les risques auxquels l’entreprise est exposée, y compris les impacts matériels potentiels du changement climatique (risques physiques) et les risques liés aux efforts mondiaux de décarbonation (risques de transition) [5]. Tout nouvel actif financier lié au énergies fossiles risque de subir une perte de valeur due à des évolutions réglementaires ou de marché liées à la transition, et donc de devenir un « actif échoué » [6]. Les entreprises pétro-gazières échouent pourtant à intégrer ces considérations dans leurs comptes [7]. Les investisseurs doivent donc s’opposer aux résolutions demandant l’approbation des comptes financiers et le renouvellement des auditeurs pour tous les développeurs fossiles [8].
→ Dividendes et rachats d’action : Le secteur pétro-gazier ne consacre que 2,5% de ses dépenses totales d’investissement aux énergies « propres » [9] . Ce très faible niveau de dépenses comparé à celui dédié aux énergies fossiles, dans un contexte où l’industrie a réalisé des profits records largement redistribués aux actionnaires ces dernières années [10], illustre l’absence de transformation à attendre de ces entreprises et leur détermination à perpétuer le tout fossile. Les investisseurs doivent sanctionner ce choix de priorité en votant contre le versement de dividendes et les rachats d’actions dès lors que les entreprises pétro-gazières n’investiraient pas 50% de leurs dépenses d’investissement dans les énergies soutenables [11].
Nos recommandations de vote aux assemblées générales 2024
A l’heure de l’urgence climatique, les investisseurs doivent mettre le climat au cœur des votes stratégiques, au risque de se faire complices de stratégies contribuant au chaos climatique.
Notes :
- CDP and WBA, Research reveals no oil and gas companies have plans in place to phase out fossil fuels, Juin 2023
- Urgewald, 2023 Global Oil and Gas Exit List
- Par exemple, PFZW et le Commissaire de l’Eglise d’Angleterre ont récemment annoncé leur décision de désinvestir du secteur pétro-gazier en intégralité, tandis que Ofi Invest Asset Management et Tikehau ne réalisent plus de nouveaux investissements obligataires dans les développeurs pétro-gaziers.
- Voir Reuters, Exclusive: Proxy adviser ISS expands offering of “ESG-skeptic clients”, Mars 2024
- IASB, IFRS Standards and climate-related disclosures, Novembre 2019 IASB, Effects of climate-related matters on financial statements, Novembre 2020
- Carbon Tracker, The Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment, Wasted Capital and Stranded Assets, Avril 2013 L’AIE a également souligné ce risque à propose de la demande de pétrole et de gaz, en déclarant : “If companies and investors misread demand trends amid uncertainty about the future, there is a risk of either market tightening or of over investment leading to underutilised and stranded assets.” AIE, World Economic Outlook, 2021
- Carbon Tracker Initiative, Flying Blind: In a Holding Pattern, Février 2024
- Pour évaluer l’intégration du climat dans les comptes financiers et par les auditeurs, les investisseurs peuvent consulter l’indicateur « Climate Accounting and Audit » du Net Zero Company Benchmark du Climate Action 100+.
- AIE, The Oil and Gas Industry in Net Zero Energy Transitions, Novembre 2023
- Voir The Guardian, Big five oil companies to reward shareholders with record payouts, Janvier 2024
- L’AIE indique que 50 % des dépenses en capital des entreprises du secteur doivent être consacrées à des projets d’énergie propre d’ici à 2030 pour s’aligner sur une trajectoire de 1,5 °C, en plus des investissements nécessaires pour réduire les émissions des catégories 1 et 2. AIE, The Oil and Gas Industry in Net Zero Energy Transitions, Novembre 2023
- Urgewald, 2023 Global Oil and Gas Exit List