AG d’ENGIE : Les actionnaires doivent voter contre l’expansion gazière

ENGIE, l’un des plus grands producteurs indépendants d’électricité dans le monde, continue le développement d’activités gazières incompatibles avec le maintien du réchauffement à 1,5°C et avec ses propres engagements d’atteinte de la neutralité carbone d’ici 2045. Alors que son assemblée générale se déroulera le 30 avril prochain, Reclaim Finance appelle les actionnaires de l’entreprise à poursuivre leur démarche d’escalade initiée par le dépôt d’une résolution climatique actionnariale en 2023. Les efforts doivent être maintenus pour exiger des réponses aux zones d’ombre du plan climat d’ENGIE. Mais surtout, l’urgence climatique exige des actionnaires une position franche contre l’expansion gazière d’ENGIE et des votes contre certaines résolutions stratégiques clés – la réélection des administrateurs sortants et la rémunération des dirigeants – tant que l’entreprise n’y aura pas renoncé.

Avec des activités de production d’électricité basées encore en grande partie sur les énergies fossiles (51% de son mix énergétique en 2023 [1]), ENGIE est l’une des entreprises les plus émettrices au monde. A ce titre, l’entreprise est engagée par plusieurs investisseurs, notamment dans le cadre du Climate Action 100+ et du Forum pour l’Investissement Responsable (FIR).

En 2023, un groupe d’actionnaires minoritaires coordonné par le FIR avait ainsi déposé une résolution actionnariale appelant l’entreprise à organiser un vote annuel sur sa stratégie climatique, et à publier un certain nombre d’informations clés sur son plan climat [2]. Malgré le bon score de 24% obtenu par la résolution, ENGIE n’a affiché que des progrès limités depuis, et son plan climat présente toujours des lacunes importantes [3]. Surtout, ses engagements en faveur de l’atteinte de la neutralité carbone [4] ne convainquent pas alors que l’entreprise continue d’investir dans l’importation et la production d’électricité à partir de gaz fossile.

Un plan « climat » reposant toujours sur l’expansion gazière

ENGIE affiche des investissements significatifs dans les énergies renouvelables – entre 67 et 74% de ses dépenses d’investissements d’ici 2030. Mais l’entreprise n’a pas pour autant tourné le dos au gaz fossile. Au contraire, ENGIE entend encore le développer, en contradiction avec le scénario Net Zero Emissions by 2050 de l’Agence Internationale de l’Energie qui prévoit une baisse de 25% de la demande en gaz dans le secteur de la production d’électricité d’ici 2030, ainsi que l’atteinte d’une électricité décarbonée d’ici 2035 dans les pays de l’OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde.

A rebours de la science climatique, l’entreprise prévoit de consacrer 6% de ses dépenses d’investissements au développement de nouvelles centrales à gaz d’ici 2026. Cette stratégie s’illustre notamment à travers l’annonce du développement d’une nouvelle centrale électrique fonctionnant au gaz fossile à Nimègue, aux Pays-Bas, en contradiction avec les objectifs climatiques du pays et la recherche d’alternatives. Par ailleurs, ENGIE développe des activités dans le gaz naturel liquéfié (GNL), notamment en construisant des terminaux d’importation, et a conclu pour cela deux contrats d’approvisionnement avec du gaz de schiste américain en vigueur jusqu’en 2041 et 2042. Cet approvisionnement en gaz est particulièrement inquiétant car de nombreuses études montre qu’il est encore plus émetteur de gaz à effet de serre que les approvisionnements traditionnels [5].

Ces investissements dans le gaz fossile alertent sur les risques de voir ENGIE reproduire les mêmes erreurs déjà produites avec le charbon. Un exemple : c’est plus de trois ans après la COP21 et l’adoption de l’Accord de Paris qu’ENGIE mettait en opération une centrale à charbon à Mejillones au Chili, dont il a fallu penser la fermeture ou reconversion à peine entrée en opération. Alors qu’il aurait été préférable pour des raisons climatiques de la fermer et de la remplacer directement par des capacités d’électricité soutenable, ENGIE a décidé en 2021 sa reconversion au gaz, un investissement ici encore court-termiste étant donné la nécessité pour le Chili de décarboner son électricité d’ici 2035.

Au-delà de l’expansion gazière, l’entreprise fait reposer une partie de sa stratégie de décarbonation sur des technologies incertaines qui perpétuent l’utilisation du gaz fossile dans la production d’électricité ou d’énergies. ENGIE prévoit ainsi de s’appuyer sur les technologies de capture, d’utilisation et de stockage du carbone (CCUS), ou encore le biométhane dont les bénéfices climatiques sont discutés au sein de la communauté scientifique.

S’opposer à l’expansion gazière dans les votes stratégiques 2024

La stratégie d’expansion gazière poursuivie par ENGIE, y compris au plein cœur de l’Union européenne, doit alerter ses actionnaires et les pousser à renforcer leur démarche d’engagement en direction de l’entreprise. Sont concernés les actionnaires privés qui ont parfois déjà exprimé leurs inquiétudes par le passé quant aux activités d’ENGIE dans le gaz fossile, mais aussi les actionnaires publics, parmi lesquels se trouvent la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) mais aussi l’Etat français à travers l’Agence des Participations de l’Etat (APE). Alors que les deux échouent à leur devoir de responsabilité en ne publiant pas leurs votes, la deuxième, qui détient 24% du capital et 34% des droits de vote de l’entreprise [6], n’a pas soutenu la résolution climatique actionnariale l’année dernière [7], à rebours des incitations réglementaires à une plus forte implication des actionnaires dans l’adoption de plans climat par les entreprises. Cette année, et alors que le gouvernement français s’est exprimé à plusieurs reprises pour une sortie des énergies fossiles, en France et au niveau international, il serait inconcevable qu’il ne s’oppose pas à la stratégie d’expansion d’ENGIE dans le gaz fossile.

Interpeller ENGIE sur sa stratégie gazière et l’appeler à renoncer au projet de centrale à gaz à Nimègue à travers des questions écrites et orales à l’assemblée générale serait un premier pas. Mais il est aussi indispensable de sanctionner le conseil d’administration et les dirigeants exécutifs de l’entreprise pour leur échec à aligner les dépenses d’investissement de l’entreprise avec l’objectif de sortie du gaz fossile, et pour leur perpétuation de nouveaux investissements qui n’ont pas leur place dans un scénario 1,5°C. C’est à travers les votes sur la réélection des administrateurs sortants et la rémunération des dirigeants que les actionnaires peuvent avoir le plus d’impact sur la stratégie de l’entreprise, et envoyer un signal fort au conseil d’administration et au management.

A l’assemblée générale 2024 de ENGIE, Reclaim Finance appelle donc les investisseurs à voter contre : 

  • La résolution 6 relative à la réélection de l’administrateur Fabrice Brégier ; 
  • La résolution 11 relative à la rémunération 2023 du président du conseil d’administration, Jean-Pierre Clamadieu ; 
  • La résolution 12 relative à la rémunération 2023 de la directrice générale, Catherine MacGregor. 

Reclaim Finance appelle également les investisseurs à reproduire des votes similaires à l’avenir tant qu’ENGIE ne s’est pas engagé à ne plus développer des nouvelles centrales à gaz fonctionnant au gaz fossile et de nouveaux terminaux d’importation de gaz fossile.

Notes :

  1. ENGIE, Integrated Report 2024, page 3 
  2. ENGIE, Dépôt groupé d’un projet de résolution par plusieurs actionnaires, Avril 2023
    ENGIE, Demande groupée de l’inscription d’un point à l’ordre du jour par plusieurs actionnaires, Avril 2023 
  3. Par exemple, ENGIE n’a toujours pas publié d’objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre en absolu à court et moyen terme. L’entreprise ne s’est pas non plus doté d’objectifs satisfaisants de réduction de ses émissions de méthane, et elle ne communique pas sur ses dépenses d’investissement dans les énergies renouvelables au-delà de 2030. 
  4. Il est important de noter qu’ENGIE ne s’est pas engagé à s’aligner avec une trajectoire 1,5°C, mais seulement sur une trajectoire “bien en deçà de 2°C”, par ailleurs certifiée par SBTi. 
  5. Carbone 4, Gaz naturel liquéfié : après l’improvisation dans l’urgence, reprenons nos esprits, Juin 2023
    Carbone 4, Importations de gaz naturel : tous les crus ne se valent pas, Octobre 2021 
  6. Boursier, ENGIE : L’Agence des Participations de l’Etat à 34,43% des droits de vote, Avril 2024 
  7. Les résultats de la résolution climatique actionnariale 2023 sont les suivants :  21,3% de votes pour, 66,1% de votes contre, et 12,5% d’abstention. Il est donc possible de déduire que l’APE, qui détenait plus de 30% des droits de vote, n’a pas soutenu la résolution.
    ENGIE, Assemblée Générale Mixte du mercredi 26 avril 2023, Résultat du vote des résolutions, Avril 2023 

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2024-04-15T11:33:25+02:00