RBC : première cible financière nord-américaine dédiée aux énergies bas carbone

La décarbonation de l’électricité est un enjeu crucial pour limiter le réchauffement global à 1,5°C. Elle ne pourra aboutir sans la contribution des banques qui doivent dès maintenant s’engager concrètement à soutenir la transformation du secteur. C’est en ce sens que Royal Bank of Canada (RBC) s’est engagée, à horizon 2030, à atteindre 25,9 milliards de dollars [1] de financement annuel au secteur des énergies “bas-carbone” [2] ainsi qu’un triplement de ses financements aux énergies renouvelables. Bien qu’inédit parmi les banques nord-américaines, cet engagement ne permettra à la première banque canadienne de s’aligner pleinement avec l’objectif de limiter le réchauffement global à 1,5°C que si elle est complétée par la fin de tout soutien à l’expansion des énergies fossiles.

En mars 2024, RBC a publié son Climate Report 2023 [3] et mis à jour son Sustainable Finance Framework [4] comportant de nouveaux engagements en lien avec la transformation du secteur énergétique. Ces publications donnent notamment lieu à deux changements : l’adoption de cibles financières dédiées aux alternatives aux énergies fossiles et la suppression des dispositifs de capture et stockage du CO2 (CCUS) du périmètre des sources et technologies d’énergie couvertes par ces cibles.

Une cible financière pour les énergies bas-carbone inédite en Amérique du Nord

RBC s’engage à tripler ses prêts annuels aux énergies renouvelables, de 3,7 milliards de dollars en 2023 à 11,1 milliards de dollars en 2030 pour l’ensemble de ses activités de marchés de capitaux et de banque commerciale, et à porter l’ensemble des prêts annuels aux énergies “bas-carbones” à 25,9 milliards de dollars d’ici à 2030 [5].

Ce faisant, RBC devient la première banque des principales banques nord-américaines évaluées dans le Sustainable Power Policy Tracker [6] à adopter une cible financière dédiée aux alternatives aux énergies fossiles. Cet engagement est particulièrement bienvenu dans un contexte où certaines banques nord-américaines font machine arrière sur leurs faibles engagements climat, notamment en lien avec les énergies fossiles.

En adoptant notamment l’engagement de tripler les financements aux énergies renouvelables, RBC fait un pas en direction de l’objectif de limitation du réchauffement global à 1,5°C. En effet, dans le scénario ‘Net Zero Emissions by 2050’ (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), une trajectoire à suivre pour atteindre cet objectif et la neutralité carbone du système énergétique nécessite de multiplier par un facteur 2,3 les financements annuels à la transition énergétique d’ici 2030.

Une cible financière qui ne fait pas le lien avec un ratio de financement

Néanmoins, une cible financière dédiée aux énergies “bas-carbone”, ou aux énergies renouvelables, seule est insuffisante. Il est indispensable que le déploiement des alternatives aux énergies fossiles se fasse en remplacement de ces dernières et non pas en superposition, afin de réellement réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Concrètement, dans le scénario NZE de l’AIE, il est nécessaire d’atteindre un ratio de financement au secteur de l’énergie de 6:1 d’ici 2030 [7]. C’est-à-dire que pour chaque dollar alloué annuellement aux énergies fossiles, six dollars doivent aller aux alternatives [8]. L’AIE souligne explicitement que ce ratio permet de fixer le cap pour les acteurs financiers désireux de s’engager dans la transition de manière crédible [9].

Là aussi, RBC a récemment fait un premier pas, suite à un accord récemment conclu avec le gestionnaire du régime de retraite de la Ville de New York. La banque canadienne s’est engagée à publier le ratio de ses financements au secteur de l’énergie [10]. Ce ratio, que se sont également engagées à publier JPMorgan et Citi, rapportera les financements alloués aux énergies fossiles par rapport aux financements alloués aux énergies “propres” [11].

Néanmoins, s’il est positif que les banques reconnaissent l’importance de ce ratio, sa seule publication n’est évidemment pas suffisante. Selon Bloomberg New Energy Finance (BNEF), le ratio de financement à l’approvisionnement en énergie de RBC était de 0,4:1 en 2022 [12], soit seulement quarante centimes de dollar alloués aux énergies “propres” pour chaque dollar alloué aux énergies fossiles, bien loin du ratio 6:1. RBC doit maintenant ajuster ses ambitions pour s’assurer d’atteindre 6:1 d’ici 2030.

Un soutien toujours massif aux énergies fossiles et à leur expansion

Cet engagement à atteindre le ratio 6:1 ne sera par ailleurs crédible et réellement compatible avec la limitation du réchauffement global à 1,5°C que s’il couvre l’ensemble des soutiens aux énergies fossiles, direct et indirects sur toute la chaîne de valeur, et est adjoint d’actions concernant les énergies fossiles.

En particulier, l’arrêt immédiat de l’expansion des énergies fossiles, facteur indissociable de la transition du secteur énergétique, est absent des engagements de RBC. Aujourd’hui, la banque canadienne ne met en œuvre aucune restriction de ses soutiens financiers aux entreprises ayant des plans d’expansion dans le secteur du charbon et le secteur pétro-gazier [13] et continue à soutenir les développeurs de nouveaux projets fossiles. En 2024, RBC a déjà contribué à plusieurs prêts aux bénéfices d’entreprises qui développent activement des nouveaux projets fossiles. Par exemple, la banque canadienne a participé en janvier 2024 à un prêt de 750 millions de dollars au bénéfice de EQT, une entreprise spécialisée dans l’extraction de gaz naturel [14].

Si l’engagement de publication d’un ratio de financement est bienvenu, les données déjà disponibles montrent que RBC est loin du niveau nécessaire. Ces nouvelles cibles seules ne sont pas suffisantes pour placer la banque sur la trajectoire de la science climatique. La banque canadienne doit compléter sa cible de financement aux énergies “bas-carbones” par la fin immédiate de son soutien à l’expansion des énergies fossiles. Elle doit aussi s’engager à atteindre un ratio de financement à l’énergie de 6:1 dès 2030, appliqué à un périmètre réellement soutenable [15]. A ces conditions, RBC aura démontré sa volonté de s’engager en faveur de la transition énergétique de manière crédible.

Notes :

  1. Conversion de dollars canadiens en dollars US effectuée le 16 avril 2024, sur base du taux moyen observé sur les 90 jours précédents (source : xe.com). Les montants dans cet article sont indiqués en dollars US.
  2. Les énergies renouvelables concernées par les engagements de RBC sont notamment le solaire, l’éolien, la géothermie avec des émissions directes inférieures à 100gCO2e/kWh, certaines sources de bioénergie, l’énergie marémotrice et l’hydroélectricité. Le secteur des énergies “bas-carbone” couvre les énergies renouvelables précitées ainsi que le nucléaire, l’hydrogène vert, les systèmes de transmission & distribution d’électricité et les dispositifs de stockage de l’énergie, notamment les batteries. Voir Sustainable Finance Framework de RBC, 2024.
  3. RBC, Climate Report 2023, mars 2024.
  4. RBC, Sustainable Finance Framework, mars 2024.
  5. RBC, Climate Report 2023, p. 14, mars 2024.
  6. Reclaim Finance, Sustainable Power Policy Tracker (en anglais).
  7. AIE, Net Zero Roadmap, p.79-81 et p.162, 2023 (en anglais).
  8. Reclaim Finance, 6:1, un ratio pour transformer notre système énergétique, 6 février 2024.
  9. AIE, The Oil & Gas Industry in Net Zero Transitions, p.113 et p.140, novembre 2023 (en anglais).
  10. Bloomberg, NYC Pensions Reach Deal With RBC on Green-Funding Disclosure, 3 avril 2024 (en anglais).
  11. BNEF, Financing the Transition: Energy Supply Investment and Bank-Facilitated Financing Ratios 2022, p. 5, 14 décembre 2023 (en anglais).
  12. Voir le ratio de financement à l’énergie de RBC, selon BNEF, dans le briefing de Brad Lander (en anglais).
  13. Reclaim Finance, Coal Policy Tracker et Oil & Gas Policy Tracker (en anglais).
  14. D’après les données extraites par Reclaim Finance à partir de Bloomberg, en avril 2024, sur la période janvier-avril 2024.
  15. Reclaim Finance, Les limites de l’énergie (pas si) propre, 27 octobre 2023.

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2024-04-18T11:43:39+02:00