Les chaleurs extrêmes qui ont frappé l’Asie du Sud-Est ont attiré l’attention sur la nécessité urgente d’accélérer l’action climatique. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) recommande la sortie progressive de la production d’électricité à partir du charbon d’ici à 2040, ce qui constitue une étape essentielle pour éviter les conséquences les plus graves du changement climatique. Bien que le gouvernement de Singapour soutienne cette nécessité, le charbon reste une source d’énergie principale dans la région – et le financement de la transition vers l’énergie soutenable est un défi considérable qui requiert les efforts combinés de la finance privée et d’une politique gouvernementale.
En Asie du Sud-Est, le charbon assure plus de 50 % de la production d’électricité, et plus de la moitié des centrales au charbon de la région ont encore 20 à 30 ans d’exploitation. Le parc mondial de centrales au charbon existant épuisera à lui seul les deux tiers du budget carbone de la planète. Malgré les promesses et les engagements des gouvernements et des institutions financières, l’année 2023 a été marquée par la plus forte augmentation nette de la capacité de production de charbon au monde depuis 2016, avec près de 30 GW de nouvelles capacités de production de charbon prévues en Asie du Sud-Est. Pour atteindre les objectifs de neutralité carbone et éviter les pires effets du changement climatique, nous devons fermer rapidement les centrales au charbon tout en garantissant l’accès à l’électricité et la sécurité énergétique, ce qui est une démarche coûteuse.
Le gouvernement de Singapour reconnaît le rôle central du secteur financier dans cette transition et les banques locales DBS, UOB et OCBC se sont rapidement alignées pour déclarer leur soutien aux transactions pour la sortie progressive du charbon. Cette sortie ne se limite pas au financement de la fermeture des centrales au charbon ; il faut aussi mettre fin au soutien à toute nouvelle expansion de l’industrie du charbon. Cela signifie qu’il faut cesser de financer les entreprises développant de nouvelles centrales à charbon ainsi que les clients qui n’ont pas l’intention d’abandonner le charbon avant 2030 dans les pays de l’OCDE et de l’Europe, et avant 2040 au niveau mondial. La seule exception serait le financement de fermetures anticipées des infrastructures au charbon.
Banques de Singapour : la nécessité de renforcer les politiques en matière de charbon
La politique d’une institution financière en matière de charbon est un ensemble de lignes directrices qui déterminent comment (et si) elle finance des projets et des entreprises liés au charbon. Elle décrit les engagements pris pour réduire ou supprimer le soutien financier à l’industrie du charbon, conformément aux engagements climatiques pris. Toute faille dans ces politiques risque de perpétuer le financement continu de l’expansion du charbon. De telles restrictions financières peuvent avoir des effets immédiats et quantifiables. Une étude de la Harvard Business School a montré que les centrales à charbon appartenant à des entreprises bénéficiant d’un financement de la part de banques appliquant des politiques en matière de charbon avaient plus de chances d’être mises hors service. Les auteurs estiment que ces politiques ont permis de réduire d’une gigatonne les émissions de carbone.
Reclaim Finance a examiné les antécédents des banques locales de Singapour en matière de financement de l’industrie du charbon, y compris leur soutien à certaines des plus grandes entreprises du monde actives dans ce secteur. Des données récentes publiées par l’ONG allemande Urgewald révèlent qu’en dépit des engagements pris en 2019 de cesser de financer des projets de nouvelles mines de charbon ou de centrales électriques, les banques de Singapour continuent de soutenir l’industrie du charbon.
Au cours des quatre dernières années, les trois banques ont fourni près de 2 milliards de dollars de prêts syndiqués et d’émissions sur le marché des capitaux à l’industrie du charbon. La DBS est à l’origine de cette tendance problématique, avec 1,12 milliard de dollars de financement à l’industrie du charbon, et compte toujours parmi ses clients de grands développeurs du charbon comme Glencore et le groupe Adani, malgré les preuves de leurs violations des droits humains, de leur corruption à grande échelle et de leur destruction de l’environnement. Cette somme colossale aurait pu être affectée à l’amélioration de l’infrastructure du réseau énergétique et aux investissements dans les énergies renouvelables, éléments clés d’une transition énergétique réussie.
Il est louable qu’après l’adoption par les banques de leur engagement de 2019 à cesser le financement de projets, les prêts et les émissions sur le marché des capitaux pour l’industrie du charbon aient chuté d’un maximum de 1,4 milliard de dollars en 2018 à 434 millions de dollars en 2023. Mais tout soutien continu à l’industrie du charbon au niveau des entreprises risque de saper les nouveaux engagements visant la sortie progressive des transactions au niveau des projets et envoie à l’industrie du charbon le mauvais signal du statu quo ». Pour une sortie réelle et soutenable du charbon, les banques de Singapour doivent adopter des politiques plus ambitieuses qui excluent le financement des entreprises et de leurs filiales qui ont encore des projets d’expansion de l’industrie du charbon.
Régulateurs de Singapour : l’occasion de mettre en œuvre de nouvelles exigences liées au climat
Les régulateurs ont un rôle crucial à jouer dans l’orientation et l’application de ces changements. Singapour a le potentiel de devenir un leader mondial dans le financement de la transition énergétique, mais l’orientation des financements privés vers des investissements soutenables nécessite des cadres réglementaires solides et clairs. La mise en œuvre d’une réglementation du financement à l’aide d’instruments tels que des exigences de capital spécifiques au climat pourrait créer un financement dédié à la fermeture anticipée des actifs dans le charbon et aux investissements dans l’énergie soutenable. Par exemple, les exigences en matière de capital pour les acteurs financiers pourraient être alignées sur le ratio 6:1 recommandé par l’AIE : pour chaque dollar investi annuellement dans les énergies fossiles, six dollars doivent être investis dans l’approvisionnement en énergie « propre ». De telles exigences, associées à l’obligation de publier des informations financières sur le climat, amélioreraient la transparence des rapports sur le financement du charbon et des autres énergies fossiles.
Singapour pourrait également diriger la création de mesures normalisées et de normes internationales pour le financement de la sortie progressive du charbon et les investissements soutenables. Par exemple, les décideurs politiques pourraient diriger le développement international d’une nouvelle catégorie d’ “émissions de sortie progressive » pour les émissions financées par les institutions financières attribuables à la fermeture d’actifs liés aux énergies fossiles. Cela répondrait aux préoccupations des banques qui craignent d’augmenter leurs émissions financées lorsqu’elles investissent dans de telles transactions.
Les décideurs politiques peuvent collaborer avec le secteur financier privé pour assurer une transition énergétique réelle et soutenable dans la région. Pour une véritable sortie du charbon, il est essentiel que les banques privées cessent de financer tout nouveau projet de charbon et réorientent ces fonds vers des investissements dans l’infrastructure du réseau, les énergies renouvelables et le démantèlement des actifs liés au charbon. Grâce à des cadres réglementaires solides et à des banques locales proactives, Singapour peut ouvrir la voie à un avenir énergétique soutenable et résilient pour la région.
Cet article a été initialement publié dans Eco-Business : https://www.eco-business.com/opinion/singapores-banks-and-regulators-can-do-more-to-drive-a-regional-coal-phaseout/