Le soutien des banques européennes à l’expansion fossile bloque la transition

Paris, le 07 novembre 2024 – Les banques européennes mettent en péril toute possibilité de transition énergétique en ne prenant pas les mesures nécessaires pour ne plus financer l’expansion fossile. C’est ce que révèle un nouveau rapport de Reclaim Finance (1) qui a identifié 982 transactions des 20 plus grandes banques européennes aux entreprises en première ligne de l’expansion pétro-gazière depuis 2021. Alors que les banques devront publier leurs plans de transition en 2025 (2), aucun de ces plans ne sera crédible tant qu’elles ne mettront pas fin à leur soutien aux entreprises développant de nouveaux projets pétroliers et gaziers, y compris de nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL). Un message porté par 14 ONG, dont Reclaim Finance, dans une lettre ouverte publiée aujourd’hui, appelant les banques à renforcer leurs politiques (3). Reclaim Finance demande instamment aux régulateurs de faire de l’arrêt du financement de l’expansion pétro-gazière un critère strict des plans de transition et de s’assurer que les superviseurs ont les moyens de le faire respecter.

Entre 2021 et 2023, les principales banques européennes ont accordé plus de 200 milliards de dollars à l’expansion pétro-gazière, avec en tête les banques britanniques Barclays et HSBC (4). Une tendance qui s’est poursuivie en 2024 puisque la quasi-totalité des 20 plus grandes banques européennes ont continué à financer des entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers et infrastructures de transport associées (5) : 166 transactions ont été repérées par Reclaim Finance sur l’année 2024. Parmi les banques françaises, Société Générale a été impliquée dans 46 transactions, Crédit Agricole dans 43 et le groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE) dans 32 (6).

Les grandes banques européennes ont notamment soutenu les six principales entreprises pétro-gazières européennes, dont Shell et TotalEnergies, avec plus de 48 milliards de dollars de financement entre 2021 et 2023 (7). L’analyse révèle qu’en moyenne, 72% de ces financements sont allés aux activités fossiles de ces entreprises, et non au développement d’alternatives non-fossiles, telles que les énergies renouvelables (8). Des résultats qui vont à l’encontre du discours des banques qui affirment souvent qu’elles financent la transition en soutenant ces entreprises – et ce, alors qu’aucune de ces entreprises ne peut être considérée comme « en transition » (9).

Intesa Sanpaolo (87 %), Barclays (87 %), UniCredit (85,5 %), BNP Paribas (74,8%) et Crédit Agricole (72,4%) ont ainsi accordé une bien plus grande proportion de financements aux activités fossiles de ces six entreprises entre 2021 et 2023 qu’à leurs activités non fossiles.

Pour la première fois, nous pouvons dévoiler la vérité sur les discours des banques qui affirment soutenir des entreprises comme Shell et TotalEnergies dans leur transition. Les chiffres montrent qu’en réalité, lorsqu’elles financent ces développeurs pétro-gaziers, les banques européennes financent principalement les énergies fossiles. Les régulateurs doivent en prendre note et s’assurer que les plans de transition des banques sont correctement examinés, et qu’ils ne sont pas simplement un moyen de faire encore plus de greenwashing.

Noam-Pierre Werlé, analyste politique chez Reclaim Finance

Dans une lettre ouverte publiée aujourd’hui, plusieurs ONG dont Reclaim Finance, BankTrack, ReCommon et Urgewald appellent les banques à mettre en place des politiques sectorielles plus solides sur le pétrole et le gaz afin d’assurer la transition. Une action cruciale car si 11 des 20 banques ont une politique mettant fin au financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers (10), seules quatre d’entre elles limitent le financement aux entreprises qui développent ces nouveaux projets (11).

Les politiques des banques européennes sont encore plus insuffisantes sur les terminaux de gaz naturel liquéfié, et ce, malgré les projections de l’Agence internationale de l’énergie (12). Dix banques ont des politiques restreignant le financement de terminaux d’exportation de GNL, dont deux seulement avec une exclusion totale (13), et une seule a une politique restreignant le financement des entreprises qui les développent (14).

S’agissant des banques françaises, BNP Paribas et Crédit Agricole ont déclaré qu’elles ne participeraient plus aux obligations conventionnelles des entreprises opérant dans l’extraction de pétrole et de gaz (upstream). Un engagement visible dans les faits : leur nombre de transactions aux entreprises upstream a considérablement baissé avec seulement 4 financements chacune en 2024. Cela fait de la Société Générale et du Groupe BPCE les plus mauvais élèves français en la matière, avec respectivement 14 et 12 transactions.

En revanche, les quatre banques françaises, dont BNP Paribas et Crédit Agricole, n’ont pris aucune mesure sur les entreprises qui développent de nouvelles infrastructures de transport pétro-gazières (midstream), dont les terminaux de GNL. Crédit Agricole a ainsi participé à 42 transactions depuis janvier pour les entreprises midstream, Société Générale 38, le groupe BPCE 30 et BNP Paribas 18.

Des résultats inquiétants alors qu’à partir de 2025, les banques européennes devront publier des plans de transition, incluant à la fois leur impact sur le climat et leur exposition aux risques qui y sont liés. Afin de s’assurer que ces rapports ne deviennent pas un outil de greenwashing, Reclaim Finance appelle les régulateurs à faire de l’arrêt du financement de l’expansion pétrolière et gazière un critère strict pour les plans de transition, et de s’assurer que les superviseurs ont les moyens de veiller au respect de ce critère.

Contacts :

Notes :

  1. Reclaim Finance, European banks and transition : time for a reality check, Novembre 2024 
  2. Les banques européennes devront publier des plans de transition à partir de janvier 2025, comme demandé par la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la directive européenne sur les fonds propres réglementaires (CRD).  
  3. Lettre ouverte envoyée le 7 novembre par plusieurs ONG dont ActionAid Denmark, BankTrack, BreakFree Suisse, The Sunrise Project, Urgewald aux banques étudiées dans le rapport, à l’exception de la Banque Postale. 
  4. Entre 2021 et 2023, Barclays a été impliqué dans 258 transactions et HSBC 237 aux entreprises actives dans l’upstream (exploration et production) et le midstream (infrastructures de transport pétro-gazières). En 2024, Barclays a participé à 42 transactions (janvier – 10 septembre) et HSBC 31. Certaines banques ont même augmenté leur financement au cours de la période, comme Intesa Sanpaolo et Satander. 
  5. Le rapport s’intéresse aux financements aux entreprises développant de nouveaux projets pétroliers et gaziers et infrastructures de transport (terminaux de GNL par exemple).  
  6. Parmi les autres grandes banques françaises, BNP Paribas a été impliquée dans 21 transactions.  
  7. Reclaim Finance a regardé les données pour les six plus grandes entreprises pétro-gazières européennes : TotalEnergies, Shell, BP, Equinor, Eni et Repsol, en analysant les transactions liées à leurs activités non-fossiles entre janvier 2021 et décembre 2023 grâce aux bases de données Bloomberg LP and IJGlobal.  
  8. Les énergies non fossiles englobent les filiales de production d’électricité et les projets qualifiés de soutenables, y compris les projets et filiales d’énergie renouvelable, mais aussi la bioénergie, qui n’est pas considérée comme soutenable. Outre la production d’électricité, les activités industrielles, telles que la production de bioplastiques ou les activités liées au stockage de l’énergie, sont également incluses.  
  9. Aucune des six plus grandes entreprises pétrolières et gazières européennes ne peut être considérée comme « en transition », car elles poursuivent toutes une stratégie d’expansion pétro-gazière et prévoient toutes d’allouer plus de deux tiers de leurs dépenses d’investissement aux activités liées aux énergies fossiles.  
  10. Les 11 banques sont BBVA, Barclays, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, HSBC, ING Group, La Banque Postale, Lloyds Banking Group, Rabobank et Société Générale. Voir : https://oilgaspolicytracker.org/ 
  11. Les quatre banques sont La Banque Postale, Crédit Mutuel, BNP Paribas and Crédit Agricole. 
  12. L’Agence internationale de l’énergie projette dans son scénario Net Zero Emission 2050 pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C qu’aucun nouveau projet de charbon, de pétrole ou de gaz ne devrait être développé, y compris de nouveaux terminaux d’exportation de GNL.  
  13. Les 10 banques ayant partiellement ou totalement restreint leurs soutiens aux terminaux d’export de GNL sont Barclays, BNP Paribas, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, Groupe BPCE, HSBC, ING Group, La Banque Postale, Rabobank et Société Générale. Voir https://oilgaspolicytracker.org/   
  14. La seule banque avec ce type de restrictions est la Banque Postale.  

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2024-11-06T18:18:56+01:00