Ce que les commissaires européens disent de la finance durable

En cinq jours, le Parlement européen a organisé 27 auditions pour examiner les positions des 27 commissaires européens désignés. Michael McGrath, Maria Luís Albuquerque, Wopke Hoekstra et Teresa Ribera Rodriguez ont notamment été amenés à se prononcer sur des sujets tels que la mise en œuvre de la Directive sur le Devoir de Vigilance (CSDDD), la lutte contre le greenwashing, ou le rôle du financement privé dans la transition écologique. Reclaim Finance revient sur les réponses et les silences des candidats qui offrent un aperçu précieux de l’orientation que pourrait prendre la Commission Européenne en matière de finance durable.

Tous les cinq ans, avant chaque prise de fonction du Collège des Commissaires européens, le Parlement européen est amené à auditionner les Commissaires désignés et à se prononcer sur leur nomination. Ces auditions permettent aux députés européens d’évaluer les compétences et les visions des candidats pour leurs futurs portefeuilles. Cette étape est souvent une formalité mais se heurte cette fois à des pressions politiques inédites, en particulier sur les sujets liés au climat.

Reclaim Finance a cherché à connaître la vision des commissaires concernés sur le climat et les moyens de financer la transition. Et, si Teresa Ribera Rodríguez et Wopke Hoekstra n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer de manière extensive sur les sujets liés au financement privé de la transition ou sont restés évasifs, Maria Luís Albuquerque et Michael McGrath ont apporté des éclaircissements importants.

Teresa Ribera Rodríguez
Teresa Ribera Rodríguez
Executive Vice-President for Clean, Just and Competitive Transition
Wopke Hoekstra
Wopke Hoekstra
Commissioner for Climate, Net Zero and Clean Growth
Maria Luís Albuquerque
Maria Luís Albuquerque
Commissioner for Financial Services and the Savings and Investments Union
Michael McGrath
Michael McGrath
Commissioner for Democracy, Justice, and the Rule of Law

La CSDDD a été abordée à plusieurs reprises au cours des auditions mais n’a pas pour autant été un sujet majeur. Les commissaires désignés se sont positionnés en faveur de sa mise en œuvre, Michael McGrath déclarant ainsi : « Nous devons procéder, la directive est là, et elle doit être transposée et mise en œuvre ». Cependant, s’ils reconnaissent l’importance de la directive, notamment en raison de l’impact mondial que cette dernière peut avoir, ils sont restés évasifs ou n’ont tout simplement pas répondu aux questions des députées Lara Wolters (adressée au Commissaire McGrath) et Marie Toussaint (adressée à la Commissaire Albuquerque)

Les questions de ces deux députées européennes portaient sur l’inclusion potentielle des services financiers dans la CSDDD, une question qui reste à régler pour la prochaine Commission suite à l’adoption du texte. (1) Aujourd’hui, les institutions financières peuvent par exemple continuer à investir massivement dans des projets d’énergies fossiles ou liés à la déforestation sans avoir à rendre de comptes. Cette absence de réponse de la part des Commissaires désignés est ainsi problématique puisqu’elle laisse planer une incertitude sur l’engagement de la Commission à étendre la portée de la directive au secteur financier et donc sur sa volonté d’engager pleinement le secteur financier dans la transition écologique.

Malgré son rôle crucial dans la transition écologique – et dans la dégradation du climat –, la finance privée n’a occupé qu’une place marginale lors des auditions des commissaires européens. La réorientation de la finance privée vers des investissements durables a bien été abordée, mais les positions exprimées sont restées relativement générales. Maria Luís Albuquerque a ainsi souligné l’importance cruciale du financement privé dans la transition écologique, en expliquant qu’il faut continuer à « diriger davantage de capitaux privés vers des projets ayant un impact environnemental et social positif » (2). Elle ajoutait néanmoins que les règles existent déjà et qu’il convient désormais de les mettre en place (3).

Cette position ne tient pas compte du fait que les textes déjà en place sur la finance durable ne permettent pas de rediriger les flux financiers. Ils sont focalisés sur la transparence, et présument que celle-ci sera suffisante pour transformer radicalement les comportements des institutions et l’affectation des investissements. Or, les progrès significatifs réalisés dans la transparence ces dernières années n’ont pas déclenché une transformation des pratiques et une augmentation suffisante des soutiens aux activités durables. Spécifiquement, alors que le soutien au développement de la production de charbon, pétrole et gaz est reconnue comme incompatible avec la limitation du réchauffement climatique à 1.5°C, elle continue d’être soutenue massivement par les banques, investisseurs et assureurs européens. (4 ; 5)

Les commissaires ont insisté sur le rôle central des marchés de capitaux dans le financement de l’action climatique. La commissaire Albuquerque a notamment affirmé que « sans un approfondissement du marché des capitaux, nous n’avons aucune chance équitable d’y parvenir : ni pour financer la transition, ni pour maintenir le financement des activités vertes, ni pour soutenir les entreprises qui deviennent vertes » (6). Cependant, elle a nuancé son propos en précisant que « les marché des capitaux ne résoudront pas tout » (7).

Bien que l’approfondissement du marché des capitaux puisse effectivement augmenter les volumes de financement disponibles pour la transition, il convient de rappeler que cela ne « verdirait » pas la finance. En effet, sans mécanismes de redirection appropriés, une telle expansion devrait également accroître les flux financiers vers des activités néfastes pour le climat, l’environnement et la biodiversité. Le véritable défi réside donc non seulement dans l’augmentation des volumes de capitaux, mais surtout dans l’orientation d’une part plus élevée de ces flux vers des activités durables et loin des activités polluantes. Malheureusement, les projets et discours actuels des commissaires n’incluent pas de mesures concrètes pour garantir cette réorientation. Cette lacune souligne la nécessité d’une approche plus ciblée et contraignante pour assurer que tout développement des marchés de capitaux serve véritablement les objectifs de la transition écologique.

Le risque de greenwashing a été clairement identifié par les commissaires désignés lors de leurs auditions, en particulier par Maria Luís Albuquerque. Elle a souligné que « le risque de greenwashing est réel » (8) et que le cadre réglementaire actuel est insuffisant pour y faire face efficacement. Elle a notamment reconnu les failles de la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) – qui établit notamment une classification des fonds selon leurs allégations environnementales –et s’est positionnée en faveur de sa révision. Elle a ainsi pointé du doigt l’utilisation abusive du cadre existant comme un régime labellisation, alors qu’il n’a pas été conçu à cet effet. Cette situation crée un risque accru de greenwashing, car des produits sont commercialisés et vendus comme « durables » sans garantie réelle. La Commissaire appelle donc à l’instauration de critères minimums pour qualifier un produit financier de « vert ». L’objectif est de réformer la réglementation afin que « lorsqu’un produit ou un service financier est labellisé comme vert, nous savons qu’il répond effectivement à un standard minimum de durabilité pour être correctement qualifié de vert ». Comme Reclaim Finance le rappelle, l’un des critères les plus évidents pour opérer un tel changement est l’exclusion des entreprises qui développent des énergies fossiles de tous les fonds à prétention environnementale ou sociale.

La Commissaire a également insisté, à nouveau, sur l’accompagnement des entreprises qui ne sont pas encore en transition aujourd’hui mais qui ont vocation à l’être, reconnaissant que la majorité du secteur productif se trouve encore dans cette phase. Là encore, elle a insisté sur la nécessité d’établir des critères minimums facilement compréhensibles et applicables pour cette labellisation.

Les récentes auditions des commissaires européens révèlent une approche timide et insuffisante face aux défis du financement de la transition écologique. Sans une implication pleine et entière de la Commission européenne pour rediriger les flux financiers, l’Union européenne ne pourra pas satisfaire ses besoins et ainsi atteindre les objectifs climatiques qu’elle s’est fixés. En l’état, le déficit persistant de volonté politique, couplée à une absence relative des questions liées à la finance privée et à ses effets sur le climat, ne permet pas d’envisager avec sérénité les cinq années à venir.

Notes :

  1. Reclaim Finance, Directive sur le Devoir de Vigilance : une occasion manquée pour la finance, avril 2024 
  2. « On Sustainable Finance, I will continue Europe’s efforts to direct more private capital towards projects that have a positive environmental and social impact, as a contribution to a more sustainable future. », Audition de la Commissaire désignée Maria Luís Albuquerque, 6 novembre 2024. 
  3.  « With the Framework in place, we have to implement it », Audition de la Commissaire désignée Maria Luís Albuquerque, 6 novembre 2024. 
  4. Banking on Climate Chaos 2024 – Reclaim Finance, mai 2024 
  5. 2023 Scorecard on Insurance: Fifty Years of Climate Failure – Reclaim Finance, novembre 2023  
  6. « […] without a deepening of the capital markets, we have no fair chance of getting there: not to finance the transition, not to keep funding for green activities, not to support the companies becoming green. », Audition de la Commissaire désignée Maria Luís Albuquerque, 6 novembre 2024. 
  7. « the capital markets will not solve everything », Audition de la Commissaire désignée Maria Luís Albuquerque, 6 novembre 2024.  
  8. « The risk of greenwashing is real », Audition de la Commissaire désignée Maria Luís Albuquerque, 6 novembre 2024. 

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2024-11-18T18:19:10+01:00