Chaque année, les voitures qui circulent sur les routes de France émettent plus de CO2 que nos bâtiments ou nos industries (18 % des émissions, contre respectivement 16 et 17 %). Décarboner l’automobile est donc une priorité pour tenir nos objectifs climatiques et contribuer à contenir le réchauffement planétaire sous le seuil de 1,5°C. Face à ce défi, la responsabilité des constructeurs et des automobilistes est souvent pointée du doigt. Beaucoup moins connue est celle des sociétés de leasing, derrière lesquelles se cachent les grands groupes bancaires français. Ce sont pourtant grâce à elles que près de six voitures neuves sur dix sont aujourd’hui mises en circulation.
Les groupes bancaires ont un rôle central à jouer dans la décarbonation du secteur automobile et l’atteinte des objectifs du Green deal européen : baisser de 55 % les émissions de CO2 de la voiture d’ici 2030 et mettre un terme à la vente de voitures thermiques neuves d’ici 2035.
En intervenant sur toute la chaîne de valeur, leurs leviers d’action sont multiples. Du plus macro – comme adopter des objectifs de décarbonation portant sur le secteur automobile -, au plus micro – comme développer des offres de financements visant à orienter les consommateurs vers des véhicules avec un meilleur bilan social, environnemental et climatique, en complément du développement de modes de mobilité douce. Leur relation aux constructeurs automobiles est particulièrement centrale. En tant que banquier mais aussi investisseur et actionnaire, les groupes bancaires ont un pouvoir d’influence certain sur des entreprises comme Renault ou Stellantis, engagées comme 10 autres constructeurs à travers l’initiative CA100+. Moins connue et pourtant centrale est l’activité de leasing opérée par les groupes bancaires à travers des filiales dédiées.
Les banques, acteurs cachés de la mise sur le marché de voitures neuves
En France, BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE et Crédit Mutuel contrôlent plus d’un tiers (34 %) des contrats de leasing (1,2 millions de voitures) et comptent pour plus de 17 % des voitures neuves mises en circulation en France en 2023 (1). Car aujourd’hui, acheter une voiture neuve n’est plus la norme, que l’on soit un particulier ou une entreprise. En 2023, 53 % des nouvelles immatriculations de voiture neuves pour les particuliers ont fait l’objet d’un contrat de location (presque toujours avec option d’achat), un chiffre qui s’élevait à 63 % pour les entreprises (majoritairement des locations longues durées sans option d’achat).
Les choix opérés par les sociétés de leasing ne sont donc pas sans impact sur notre capacité à tenir les objectifs de décarbonation du secteur automobile et de démocratisation de la voiture électrique. Elles influencent en amont les stratégies commerciales et productives des constructeurs automobiles, à qui elles commandent chaque année des milliers de voitures. Elles influencent de même en aval, à l’égard de leurs clients, à travers leurs propres politiques tarifaires et pratiques commerciales. Et n’oublions pas, enfin, que nombre des voitures neuves tout d’abord louées aux entreprises se retrouveront demain sur le marché secondaire, privilégié par la grande majorité des Français (85 %). Il est donc urgent de s’intéresser aux sociétés de leasing, comme le fait depuis longtemps Transport & Environment (T&E), et de leur demander des comptes quant à leur rôle pour ou contre la transition automobile.
Les banques nous enferment dans le tout thermique
Alors que tous les groupes bancaires affichent des velléités en faveur de la transition vers l’électrique et des mobilités plus soutenables, aucun ne s’est fixée de date de fin de location de nouvelles voitures thermiques. L’analyse des motorisations des voitures neuves immatriculées en 2023 révèle même le retard des deux plus gros acteurs du marché des voitures d’entreprises, Société Générale et BNP Paribas dans le passage à l’électrique.
Alors que l’électrique représentait 17 % de nouvelles immatriculations en 2023, dont 23 % sur le marché des particuliers, la banque rouge affichait un taux de 13 % d’électrique, et BNP Paribas celui de 11 %. BPCE ne faisant que 10 %, BNP Paribas n’est donc pas la plus mauvaise élève mais ses pratiques tranchent avec ses déclarations en faveur de la “transition vers une mobilité plus durable, sûre et accessible” et avec les ambitions de sa société de leasing Arval, qui indique « [accompagner] le changement de la motorisation thermique vers l’électrique ». Seul le Crédit Agricole affiche un niveau d’électrification ambitieux, quatre fois supérieur au rythme d’électrification du marché en général (62 %).
La situation est d’autant plus inquiétante que les sociétés de leasing sont particulièrement friandes des SUV, qui représentent pour Société Générale et BNP Paribas près de 60 % des voitures thermiques et hybrides neuves mises sur le marché en 2023. Sur ce créneau, même le Crédit Agricole est mauvais, avec 52 % de SUV parmi les thermiques et hybrides immatriculées en 2023, et avec une offre en électrique qui repose beaucoup sur les SUV, notamment sur les Tesla.
La voiture du futur sera électrique, petite, performante sur les plans social et environnemental, et complétera les modes de mobilité douce. Puisque demain se prépare aujourd’hui, les banques doivent s’engager sur une date d’arrêt de location de nouvelles voitures thermiques au plus tard à 2030.