En novembre 2024, BNP Paribas AM est devenu le premier grand gestionnaire d’actifs au monde à mettre fin à ses achats d’obligations émises sur le marché primaire par certaines entreprises du secteur pétro-gazier. Reclaim Finance salue cette nouvelle mesure qui met la lumière sur le rôle clé joué par les émissions d’obligations dans le financement des entreprises développant de nouveaux projets fossiles. Nous analysons en détail l’impact potentiel de cette annonce et mettons en lumière certaines failles, notamment le fait que la politique ne traite pas du cas des fonds gérés passivement, et ne couvre que la partie amont (upstream) de la chaîne de valeur du pétrole et du gaz. Reclaim Finance appelle les autres grands gestionnaires d’actifs européens comme Amundi et LGIM à ne pas se laisser distancer et à suivre à minima la voie tracée par BNP Paribas AM.
Depuis décembre 2024, BNP Paribas AM exclut les investissements dans les nouvelles obligations émises sur le marché primaire par les entreprises actives dans l’exploration et la production de pétrole et de gaz (1).
Fin des investissements dans les obligations émises sur le marché primaire : une avancée indispensable
Les entreprises du secteur des énergies fossiles se financent largement par l’émission d’obligations (2), en complément des prêts bancaires. Ces obligations ne peuvent être émises sans l’intermédiation des banques, mais ce sont les investisseurs qui les achètent, en échange du paiement d’intérêts par les entreprises émettrices. Refuser d’investir dans de nouvelles obligations émises par des entreprises qui développent de nouveaux projets de champs pétroliers et gaziers permet à un investisseur de se mettre en cohérence avec son objectif d’aligner son portefeuille sur une trajectoire 1,5°C. En effet, cela lui permet de contrôler son impact sur le dérèglement climatique, bien plus fortement qu’il ne peut le faire avec des actions (3).
Cela explique que de plus en plus d’investisseurs s’engagent à ne plus investir dans des nouvelles obligations émises par des développeurs d’énergies fossiles, qu’ils refusent ou non d’investir dans leurs nouvelles actions. La décision de BNP Paribas AM, qui fait suite à la décision de BNP Paribas CIB de ne plus émettre les obligations de producteurs pétro-gaziers, s’inscrit dans cette dynamique et augmente ainsi la crédibilité de sa stratégie d’alignement des investissements sur une trajectoire zéro émission nette (4).
La politique mise à jour en novembre 2024 précise que cette règle s’applique exclusivement sur le marché primaire. C’est sur le marché primaire que les obligations nouvellement émises sont vendues pour la première fois aux investisseurs (5), en opposition au marché secondaire où les titres financiers déjà émis sont échangés entre investisseurs. En visant le marché primaire, BNP Paribas AM se concentre sur le canal d’alimentation en argent frais des entreprises productrices de pétrole et de gaz.
Une faille possible de la politique pour les fonds indiciels
BNP Paribas AM peut toutefois toujours investir dans des nouvelles obligations d’entreprises fossiles dès leur arrivée sur les marchés secondaires, ce qui contribuerait tout de même à créer de la demande pour ces obligations et constituerait donc toujours un soutien à ces entreprises.
Le risque est quasi nul pour les fonds gérés activement mais est plus prégnant pour les fonds gérés passivement (6). En effet, certains des fonds obligataires gérés par BNP Paribas AM sont des fonds indiciels, c’est à dire des fonds qui visent à reproduire la performance d’un indice obligataire spécifique (e.g. le Bloomberg Barclays Global Aggregate Bond Index) en détenant un portefeuille qui reflète autant que possible la composition de cet indice. Or, lorsque de nouvelles obligations sont ajoutées à l’indice, les fonds qui le répliquent pourraient investir dans des obligations nouvellement émises pour conserver leur alignement avec la composition de l’indice.
C’est ici qu’un écueil potentiel de la nouvelle mesure de BNP Paribas AM apparaît. Si BNP Paribas AM commercialise toujours des fonds qui visent à répliquer des indices d’obligations d’entreprises dont celles du secteur pétrolier et gazier, le gestionnaire pourrait alors vouloir acheter les nouvelles obligations émises par ces entreprises fossiles lorsqu’elles arrivent sur le marché secondaire. Le soutien aux entreprises fossiles serait donc toujours existant.
La faille est réelle, bien que son impact soit pour l’instant limité dans le cas de BNP Paribas AM. Contrairement à d’autres gestionnaires d’actifs très férus de gestion passive comme Amundi ou LGIM, la gestion passive ne représente qu’environ 7% des actifs totaux sous gestion de BNP Paribas AM. Le rachat d’AXA IM, également peu exposé à la gestion indicielle, ne devrait pas bouleverser cette exposition relative. Toutefois, au vu de la croissance prévue du gestionnaire d’actifs, le respect de l’esprit de la politique nécessite donc de trouver des solutions pour réellement mettre fin aux investissements dans de nouvelles obligations émises par des entreprises fossiles . Le récent lancement par BNP Paribas AM d’ETF actifs (7), qui lui permettent d’exclure des entreprises malgré leur présence dans l’indice suivi, est un exemple qui va dans la bonne direction.
Une autre alternative serait de changer d’indices suivis pour ne commercialiser que des fonds répliquant des indices plus propres. Mais de telles mesures n’ont pas été pour l’instant prises sur l’ensemble des fonds gérés passivement par BNP Paribas AM.
Une chaîne de valeur limitée à l’exploration et la production de pétrole et de gaz qui ne permet pas de couvrir l’enjeu de l’expansion du gaz naturel liquéfié (GNL)
La nouvelle mesure adoptée par BNP Paribas AM a également une autre faille importante : l’exclusion ne concerne que les entreprises actives sur la partie amont de la chaîne de valeur du pétrole et du gaz. Le gestionnaire d’actifs s’autorise encore à investir dans des obligations émises sur le marché primaire par des entreprises développant de nouveaux projets de pétrole et gaz midstream (transport et stockage) dont les nouveaux terminaux d’exportation de GNL. Ne plus fournir d’argent frais à ces entreprises est pourtant nécessaire pour éviter de soutenir une industrie gazière dont les plans d’expansion vont à rebours des projections de l’AIE : les producteurs de GNL comptent tripler leur capacité de production dans le monde passant de 480 millions de tonnes par an (Mtpa) à 1480 Mtpa (8) alors que le scénario NZE projette une diminution de 73 % de la production de gaz fossile d’ici à 2050 (9).
Si les mesures annoncées par BNP Paribas AM ne mettent pas définitivement fin à son soutien à l’expansion pétro-gazière sur l’ensemble de la chaîne de valeur, elles représentent tout de même une rupture importante dans le rapport du gestionnaire d’actifs avec le secteur pétrolier et gazier. Cette décision, historique dans le monde des gestionnaires d’actifs, rappelle la responsabilité des investisseurs dans la gestion de leurs investissements obligataires, dans un contexte d’urgence climatique. Reclaim Finance appelle désormais les autres grands gestionnaires d’actifs à suivre à minima la voie empruntée par BNP Paribas AM, sans ignorer les enjeux spécifiques liés à leur gestion passive.