A l’heure de l’urgence climatique, la plupart des pratiques des gestionnaires d’actifs ne sont toujours pas alignées avec la science climatique. Pourtant, leurs principaux clients, les détenteurs d’actifs, seront touchés de plein fouet par la crise climatique. Ils prennent conscience qu’ils vont devoir agir urgemment pour réduire les risques climatiques, qui menacent leurs portefeuilles et l’économie globale sur le long terme. Certains se démarquent déjà par leurs bonnes pratiques, par exemple en conditionnant la sélection de leurs gestionnaires à des critères climatiques. Reclaim Finance appelle tous les détenteurs d’actifs à s’inspirer de ces exemples.
Alors que le mouvement anti-ESG incite les gestionnaires à abandonner leurs engagements climatiques [1], les détenteurs d’actifs ont un rôle clé à jouer. Ils peuvent encourager à la reconnaissance des risques climatiques systémiques, et influencer les gestionnaires à améliorer leurs pratiques climatiques. Reclaim Finance a étudié comment les détenteurs d’actifs engagent les gestionnaires, et propose un panorama des meilleures pratiques à répliquer.
Evaluer les gestionnaires selon des critères climatiques
Le plus souvent, les détenteurs d’actifs engagés pour le climat prennent en compte des critères climatiques dans la sélection et le suivi des gestionnaires. Des critères peuvent intervenir dès le processus d’appel d’offres, ou s’intégrer dans une notation interne des gestionnaires, parfois avec l’envoi d’un questionnaire. Certains détenteurs d’actifs s’appuient sur des analyses externes. L’évaluation des pratiques climatiques des gestionnaires d’actifs de Reclaim Finance, qui analyse le soutien des grands gestionnaires à l’expansion fossile, est un des outils à leur disposition.
Le choix des critères fixe le niveau d’ambition climatique. Abeille Assurances et Macif attendent ainsi de leurs gestionnaires qu’ils adoptent des mesures d’engagement et/ou d’exclusion pour les entreprises impliquées dans le déploiement de nouveaux projets de production d’hydrocarbures, et décideront en 2025 de continuer ou non la relation avec ceux ne respectant pas cette demande [2]. En allant au-delà de simples mentions d’avoir « intégré des critères ESG » à leur processus de sélection, ces assureurs crédibilisent leur engagement, même s’ils laissent cependant la porte ouverte à la poursuite de la relation avec les gestionnaires qui ne respecteraient pas leurs demandes [3].
Toutefois, il est important de formaliser ces exigences climatiques dans les documents juridiques du mandat de gestion pour s’assurer de leur respect systématique, ainsi que de rendre compte régulièrement de l’avancée du dialogue avec les gestionnaires sur ces demandes..
Formuler des demandes claires et engager un dialogue actif
En cours de mandat, les détenteurs d’actifs peuvent utiliser leur position de client pour engager leurs gestionnaires.
Pour donner de la crédibilité au dialogue, il est essentiel que les détenteurs d’actifs publient leurs demandes aux gestionnaires. Par exemple, dans le cadre de la COP 26 Asset Owner Declaration [4], un groupe d’universités et de fondations britanniques a publié une lettre appelant les gestionnaires à arrêter les nouveaux investissements liés à l’expansion fossile et voter contre les réélections d’administrateurs des développeurs fossiles. Certains détenteurs d’actifs spécifient leurs attentes dans leurs politiques ou dans des déclarations dédiées, comme Alecta [5]. D’autres envoient des lettres à leurs gestionnaires, à l’image du contrôleur des fonds de pension de la ville de New York [6], Storebrand [7] or Phoenix [8].
Plus récemment, un groupe de 26 détenteurs d’actifs britanniques, représentant plus de 1 500 milliards de dollars d’investissements, a publié une déclaration demandant à leurs gestionnaires d’élaborer une stratégie robuste d’engagement pour faire face aux risques climatiques [9]. Le groupe soulignait notamment la nécessité de prévoir un calendrier d’escalade précis et d’utiliser les votes de routine actuellement sous-utilisés, tels que la réélection des administrateurs ou la rémunération des dirigeants.
Une fois les exigences définies, les détenteurs d’actifs peuvent entamer le dialogue avec leurs gestionnaires. Il prend souvent la forme de rendez-vous bilatéraux privés, mais l’influence est démultipliée lorsqu’elle est exercée publiquement et collectivement. Ainsi, plusieurs détenteurs d’actifs ont réagi publiquement à la sortie de gestionnaires de l’initiative Climate Action 100+ [10]. Face aux attaques anti-ESG initiées par certains Etats américains, d’autres ont réaffirmé publiquement la nécessité de considérer les risques climatiques, comme Danica Pension [11].
Cependant, en l’absence de sanctions prévues dans le cas où des gestionnaires ne respecteraient pas les demandes formulées, le dialogue avec ceux-ci risque d’être infructueux.
Refuser de confier ses actifs aux gestionnaires non alignés avec la science climatique
Seul quelques détenteurs d’actifs ont prévu des sanctions pour les gestionnaires qui ne respecteraient pas certaines exigences climatiques. Par exemple, le fonds de pension néerlandais PME a annoncé qu’il envisageait arrêter ses relations commerciales avec Blackrock en raison de son départ de l’initiative NZAM [12]. Le fonds de pension suédois AP7 a fait une annonce similaire, indiquant qu’il pourrait ne pas renouveler ses mandats avec Blackrock [13].
Une fois la décision prise d’arrêter de confier des investissements à un gestionnaire, une autre bonne pratique consiste à l’annoncer publiquement en justifiant cette décision par des raisons climatiques. C’est ce qu’ont fait le fonds de pension britannique The People’s Pension qui a retiré 28 milliards de livres sterling à State Street en raison de son recul en matière d’ESG [14], et le fonds de pension danois Akademiker Pension qui a retiré un mandat au même gestionnaire sur la base d’une analyse ESG [15].
Plus rares encore sont les détenteurs d’actifs qui ont défini un calendrier précis pour engager leurs gestionnaires. Après une annonce en 2022, l’assureur français MAIF a décidé début 2024 de ne plus confier de nouveaux investissements à gestionnaires qui n’auraient pas défini de stratégie de sortie progressive du charbon thermique d’ici 2030 [15]. Bien que rare, ce type de mesure est pourtant l’une des meilleures pratiques du marché, et mériterait d’être généralisée.
L’aggravation du changement climatique affectera l’ensemble de l’économie, et donc les investissements des détenteurs d’actifs. Pour répondre à leur devoir d‘agir pour les intérêts de leurs clients actuels mais aussi des générations futures, les détenteurs d‘actifs se doivent d‘utiliser tous les leviers à leur disposition, dont l’influence auprès des gestionnaires d‘actifs. Leurs demandes prioritaires doivent porter sur la fin du soutien à l’expansion fossile, qui constitue une ligne rouge d’une trajectoire 1,5°C.