Blackrock et Vanguard arrêtent leurs activités d’engagement : leurs clients doivent réagir

Alors que le mouvement anti-ESG ne faiblit pas, les deux géants américains de la gestion d’actifs, Blackrock et Vanguard, ont annoncé une pause de leurs activités d’engagement – c’est-à-dire de leur démarche de dialogue avec les entreprises – une interruption qui n’a duré que quelques jours pour Blackrock. Cette mesure fait suite à l’arrivée d’une nouvelle règle du gendarme financier américain, la Securities and Exchange Commission (SEC), qui impose des contraintes de reporting pour les investisseurs réalisant des activités d’engagement avec des entreprises états-uniennes, notamment sur les sujets ESG. Etant donné que ces deux investisseurs déployaient peu d’efforts d’engagement, en particulier sur le climat, ces nouvelles exigences de transparence pourraient n’être qu’un prétexte pour arrêter ou ralentir des activités déjà limitées. Reclaim Finance appelle les clients de ces investisseurs à réagir. Puisque les risques climatiques menacent leurs portefeuilles, et qu’ils ont pris des engagements climatiques qui les obligent, ils ont en effet tout intérêt à s’assurer que les activités d’engagements continuent et se renforcent pour tenter de limiter ces risques, ou alors à changer de gestionnaires.

Ces dernières années, des attaques anti-ESG venant des Etats-Unis incitent les gestionnaires d’actifs à renoncer à toute prise en compte des sujets ESG, y compris les risques climatiques, arguant qu’elle ne relèverait pas de la responsabilité fiduciaire des investisseurs. Le changement climatique représente pourtant bien un risque systémique qui aura des conséquences négatives sur les portefeuilles d’investissement, dont l’ampleur dépend de l’action climatique adoptée dès aujourd’hui.

De nouvelles règles menaçant les engagements ESG des investisseurs

Le 11 février, la SEC a publié une nouvelle règle qui considère désormais que les démarches d’engagement des gestionnaires d’actifs qui détiennent plus de 5% d’une entreprise états-unienne constituent une tentative de d’influence ou de contrôle de ces entreprises [1]. Cette nouvelle catégorisation soumet ces gestionnaires d’actifs à un reporting supplémentaire, plus contraignant, qui ne concernaient auparavant que les fonds dits « activistes ». Ces fonds activistes ont pourtant pour objectif principal de prendre le contrôle de l’entreprise, alors que les démarches d’engagement actionnarial visent plutôt à influencer les pratiques d’une entreprise, notamment pour les aligner sur des meilleures pratiques ou des standards environnementaux ou sociaux. Les deux peuvent toucher aux questions de gouvernance mais avec des finalités bien différentes, les deuxièmes visant le renforcement des entreprises sur le long terme à travers une meilleure gestion des risques et de leurs impacts.

Même si les engagements sur les sujets ESG ne sont pas les seuls concernés par cette nouvelle règle, la SEC semble ici céder aux pressions du mouvement anti-ESG en accroissant la supervision des activités d’engagement des investisseurs. L’annonce de la SEC est donc un très mauvais signal pour l’action climatique des gestionnaires d’actifs.

Une réaction disproportionnée face à une simple exigence de transparence

En réaction à cette nouvelle règle, Blackrock et Vanguard ont annoncé un arrêt temporaire de leurs rendez-vous prévus avec les entreprises engagées, avant que Blackrock n’annonce une reprise des rendez-vous quelques jours plus tard [2]. Les réactions initiales de Blackrock et Vanguard apparaissaient toutefois disproportionnées face aux contraintes imposées par la SEC, qui consistent uniquement à fournir un reporting supplémentaire et ne relèvent donc que de la transparence. La SEC n’empêche pas les gestionnaires de poursuivre leurs engagements avec les entreprises. Blackrock et Vanguard ont donc décidé de leur plein gré d’arrêter temporairement leurs activités d’engagement, qui étaient déjà très limitées, en particulier sur les sujets d’ESG.

Des engagements climatiques historiquement peu crédibles

Blackrock et Vanguard étaient loin d’être de bons élèves en matière d’action climatique. Les deux gestionnaires sont régulièrement pointés du doigts comme les principaux investisseurs des entreprises développant de nouveaux projets fossiles, et des soutiens inconditionnels de ces entreprises à travers leurs votes. Une analyse récente de Reclaim Finance, qui compare les pratiques climatiques des grands gestionnaires d’actifs, montre que Blackrock a investi plus de 1,7 milliards de dollars dans des obligations récentes de développeurs fossiles, et Vanguard plus de 1,9 milliards, alors que les obligations représentent une des principales sources de financement de ces entreprises. Les deux investisseurs ont également voté en faveur de plus de 90% des actions du conseil d’administration de ces entreprises.

Par ailleurs, Blackrock et Vanguard se sont désinvestis des alliances climatiques internationales. Vanguard n’a jamais été membre de l’initiative collaborative Climate Action 100+ (CA100+), et a quitté l’initiative Net Zero Asset Managers (NZAM) dès 2022. De son côté, Blackrock a quitté la NZAM début 2025, et seule sa division internationale reste membre du CA100+ depuis février 2024.

Leurs réactions face à la nouvelle règle de la SEC est donc surtout un symbole du recul des gestionnaires d’actifs américains sur les sujets ESG.

Une mesure qui menace les intérêts de leurs clients et leurs engagements climatiques

En confiant leurs investissements à des gestionnaires d’actifs, leurs clients, appelés les détenteurs d’actifs, délèguent également les activités d’engagement. L’engagement actionnarial contribue à réduire les risques systémiques qui pèsent sur leurs portefeuilles. Dialoguer avec les entreprises pour accélérer leur transition fait partie intégrante de la responsabilité fiduciaire des investisseurs, puisque les conséquences du changement climatique engendrent des pertes pour l’ensemble de l’économie, comme on l’a vu avec les incendies récents de Los Angeles [3]. Les risques climatiques affectent particulièrement les investisseurs de long terme, dont la vulnérabilité aux effets de changement climatique augmentera en même temps que le niveau de réchauffement global.

Par ailleurs, tous les détenteurs d’actifs ont une grande responsabilité climatique. Ils détiennent en effet des parts significatives, ce qui leur confère la capacité d’orienter les flux financiers et donc de soutenir ou non la transition. Une grande partie d‘entre eux a ainsi pris des engagements climatiques que les obligent, notamment dans le cadre de la Net Zero Asset Owners Alliance (NZAOA) où ils se sont engagés à décarboner leurs portefeuilles d’investissements et à atteindre un objectif net zéro d’ici 2050. Ces engagements se trouvent maintenant menacés par les mesures annoncées par Blackrock et Vanguard. 

Les clients de Blackrock et Vanguard ont donc tout intérêt à leur demander des comptes. Pour protéger leurs intérêts, ils doivent s’assurer que leurs activités d’engagement poursuivront dans le cas de Vanguard qui n’a toujours pas annoncé une reprise, et se renforceront pour s’aligner avec les préconisations de la science climatique, et ceci pour les deux investisseurs. 

Certains ont déjà demandé à leurs gestionnaires d’en faire plus pour le climat. Un groupe de détenteurs d’actifs britanniques représentant plus de 1 500 milliards de dollars d’investissements a appelé leurs gestionnaires à développer une stratégie d’engagement robuste pour faire face aux risques climatiques [4]. D’autres commencent à arrêter de travailler avec les gestionnaires pour des raisons environnementales ou sociales, comme le fonds de pension britannique The People’s Pension qui a annoncé retirer 28 milliards de livres sterling à State Street en raison de son recul en matière d’ESG [5].

Il est urgent et indispensable que les clients des gestionnaires d’actifs s’assurent que ceux-ci intègrent de manière crédible les risques climatiques dans leurs activités, aussi bien dans les activités d’engagement, dont leurs votes, que dans leurs pratiques d’investissement. En cas d’absence de garanties, changer de gestionnaire pour privilégier ceux prenant des mesures climatiques concrètes est impératif pour protéger leurs intérêts.

Notes :

  1. Cette nouvelle règle cible surtout les grands gestionnaires d’actifs, dont la taille leur permet de dépasser le seuil de 5% du capital de plusieurs entreprises. 
  2. Financial Times, 19 février 2025, BlackRock and Vanguard halt meetings with companies after SEC cracks down on ESG La décision est prise à quelques semaines des premières assemblées générales annuelles, à une période où il est fréquent que les gestionnaires d’actifs rencontrent les entreprises pour évoquer leurs votes à venir. 
  3. Le Monde, 22 janvier 2025, Incendies à Los Angeles : « La situation actuelle menace non seulement le marché de l’assurance, mais aussi l’économie californienne, dans son ensemble » 
  4. Financial Times, 13 février 2025, Long-term investors split with asset managers over climate risk 
  5. L’Agefi, 27 février 2025, State Street perd un mandat au profit d’Amundi et Invesco concernant l’ESG 

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2025-03-14T10:54:45+01:00