La décarbonation du secteur de l’électricité repose sur une double dynamique de la part des banques : la réduction des soutiens financiers aux énergies fossiles, et le soutien massif des alternatives soutenables pour les remplacer. Le ratio de financement à l’énergie, qui permet de capturer ces deux tendances à travers une métrique unique, est de plus en plus cité au sein de la sphère financière, y compris par les régulateurs. C’est au tour de l’Institut Louis Bachelier (ILB) d’alimenter le sujet : l’article dernièrement publié [1] analyse en profondeur l’enjeu du ratio d’approvisionnement énergétique (ESR) et détaille les aspects-clés d’une méthodologie de calcul.
Le ratio comme boussole vers la neutralité carbone pour les acteurs financiers
Issu du scénario “Net Zero Emissions by 2050” (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le ratio des financements à l’énergie synthétise la double trajectoire des investissements globaux dans le secteur de l’énergie à horizon 2030. D’une part, les investissements annuels dans les énergies renouvelables, grilles électriques et batteries doivent doubler par rapport au niveau de 2024 et atteindre 2500 milliards de dollars US d’ici 2030. D’autre part, les investissements dans les énergies fossiles doivent décroitre pour atteindre 400 milliards de dollars US d’ici 2030 – soit un ratio de 6:1 [3].
Depuis que l’AIE a clairement indiqué que ce ratio constitue “un guide important pour les acteurs financiers qui cherchent à évaluer leurs portefeuilles d’actions et de prêts par rapport aux objectifs du « zéro net »” [4], d’autres voix se sont jointes à la sienne.
- En janvier 2025, BloombergNEF (BNEF) a publié la troisième édition du rapport présentant le ratio des financements aux énergies fossiles et bas-carbone des banques [5].
- En 2024, le World Resources Institute a analysé le ratio de 25 banques dans son Net Zero Tracker [6] et le SBTi a recommandé l’adoption d’une cible de ratio à 6:1 à horizon 2030 pour les institutions financières [7].
- Côté superviseur, l’Autorité bancaire européenne a intégré ce ratio dans les guidelines publiées en janvier 2025 [8].
Une multiplication de méthodologies différentes qui ouvre la porte au greenwashing
Conséquence de cette montée en puissance, les acteurs financiers eux-mêmes commencent à se saisir de ce ratio. L’exemple le plus significatif est le bras de fer amorcé par le gestionnaire des fonds de pension de la ville de New York avec les principales banques nord-américaines en 2024 [9]. Celui-ci a débouché sur la publication d’un tel ratio par JPMorgan Chase en décembre dernier [10] et à l’engagement de Citi et Royal Bank of Canada à publier leur ratio dans le courant de l’année. De l’autre côté de l’Atlantique, trois banques ont publié leur ratio : Santander – qui a repris à son compte le ratio calculé par BNEF -, Crédit Agricole et BNP Paribas. Seule cette dernière a prolongé la publication de son ratio d’une cible à horizon 2030.
Le total s’élève donc à quatre ratios publiés, avec autant de méthodologies différentes rendant la comparaison impossible. Si certaines sont plus avancées que d’autres, aucune ne peut être qualifiée de robuste et deux limites majeures se dégagent. La première porte sur le périmètre des activités reportées. De nombreux oublis sont à relever dans la chaîne de valeur des énergies fossiles, notamment les avales qui largement ignorées par BNP Paribas et Crédit Agricole. La deuxième porte sur les services financiers pris en compte. Alors qu’un ratio crédible devrait prendre en compte tous les financements (y compris les émissions d’obligations), Crédit Agricole et BNP Paribas s’en tiennent aux prêts – qui représentent respectivement 69% et 60% de leurs soutiens aux énergies fossiles entre 2016 et 2023 [11].
Une clarification méthodologique qui coupe court à cette fuite en avant
Dans ce contexte, la publication de l’ILB permet de poser les bases méthodologiques robustes et de couper court au foisonnement des méthodologies sur-mesure des banques. Cette méthodologie issue d’un organisme de référence peut alimenter à la fois les banques réticentes à se risquer à construire leur propre méthodologie, et les banques qui doivent encore renforcer leur ratio pour qu’il soit véritablement garant d’une stratégie climat crédible.
Notamment, trois points saillants doivent être urgemment pris en compte dans la méthodologie proposée par l’ILB :
- La prise en compte de l’ensemble des financements, y compris les émissions d’obligations, avec une approche par flux (et non par stocks, limitée aux expositions de crédit). L’ILB rappelle qu’un ratio qui ne prend en compte que les crédits laisse de côté les activités hors-bilan, qui représentent une part significative des financements aux énergies fossiles [12]. Une approche par flux permet donc une prise en compte des financements au secteur de l’énergie plus réaliste et dynamique. Par ailleurs, elle permet aussi une comparaison avec les trajectoires comme le NZE, qui repose sur des investissements annuels.
- La couverture de l’ensemble de la chaîne de valeur des énergies fossiles. Un ratio qui se limite à l’upstream (Crédit Agricole, BNP Paribas) ou qui ne couvre que partiellement le downstream (JPMorgan Chase) ne peut pas être considéré comme robuste.
- Une approche rigoureuse et ambitieuse du périmètre des alternatives soutenables. D’une part, ce périmètre doit exclure les fausses solutions, notamment la bioénergie et les technologies qui s’appuient sur les énergies fossiles et prolongent leur utilisation. C’est notamment le cas des installations fossiles équipées de dispositifs de capture et stockage du carbone (CCUS) et de l’hydrogène produit à partir de gaz fossile [13]. D’autre part, ce périmètre doit inclure les infrastructures de flexibilité permettant de faciliter le déploiement des énergies solaires et éoliennes : la modernisation des réseaux électriques et le stockage de l’électricité, notamment les batteries.
L’absence d’une méthodologie indépendante et claire était à la fois un frein et un risque. Un frein pour les banques peu désireuses de s’exposer au risque de produire leur propre ratio, et un risque de voir les quelques banques qui ont fait ce premier pas générer une multiplication de méthodologies incomparables. Avec cette publication, l’ILB met à disposition l’outil robuste dont peuvent se saisir les banques désireuses de démontrer la crédibilité de leur stratégie climat. De leur côté, les banques pionnières, comme BNP Paribas et Crédit Agricole, devraient dès à présent s’appuyer sur cette publication pour renforcer leur ratios.