Les ambiguïtés persistantes de la CDC face à l’expansion pétrolière et gazière

Gestionnaire de l’épargne des Français, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a publié fin juin son rapport d’investissement responsable 2024 [1]. Alors que ses engagements actuels lui permettent toujours d’investir dans l’expansion pétrolière et gazière, la CDC n’a pas saisi l’occasion pour annoncer une réduction de ses soutiens dans le domaine. L’institution présente une stratégie d’investisseur responsable misant principalement sur le dialogue actionnarial, alors que sa démarche manque de crédibilité. Reclaim Finance appelle la CDC à mettre un terme à ses nouveaux investissements et ses votes favorables aux entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers, améliorer sa transparence, et renforcer ses actions d’influence auprès des gestionnaires d’actifs externes.

La CDC gérait 323 milliards d’euros d’actifs financiers à fin 2024, dont 73% provenant de dépôts du livret A, du livret de développement durable et solidaire (LDDS) et du livret d’épargne populaire (LEP) [2]. Récemment, un rapport de Reclaim Finance soulignait la persistance du soutien de la CDC au développement du pétrole et du gaz, et son manque de transparence. 

Le flou autour des nouveaux investissements pétroliers et gaziers

Dans son bilan 2024 publié fin juin, la CDC n’annonce aucune nouvelle mesure permettant d’acter la fin de ses investissements dans l’expansion du pétrole et du gaz. Le récent rapport de Reclaim Finance pointait pourtant du doigt les failles de ses engagements actuels, qui permettent toujours à la CDC de réaliser de nouveaux investissements dans des développeurs pétroliers et gaziers, comme TotalEnergies, en utilisant l’épargne des Français. En particulier, la CDC peut toujours acheter de nouvelles obligations de ces entreprises, alors que l’argent fourni peut contribuer à la réalisation de projets incompatibles avec une trajectoire 1,5°C d’après la science climatique [3].

A cause du manque de transparence de la CDC sur ses investissements, il n’est toutefois pas possible de savoir dans quelles proportions l’institution continue d’effectuer de nouveaux investissements dans l’expansion pétrolière et gazière, et quelles entreprises sont concernées.

La CDC s’est dotée d’autres mesures, notamment en plafonnant son exposition aux entreprises développant de nouveaux projets d’exploration ou de production de pétrole, mais pas de gaz malgré l’urgence à prévenir l’expansion du gaz fossile [4]. Toutefois, ses engagements actuels ne sont pas suffisants pour s’aligner avec les préconisations scientifiques pour une trajectoire 1,5°C, objectif pourtant affiché par la CDC.

Plusieurs autres investisseurs, de taille comparable à la CDC, ont déjà adopté des mesures robustes pour réduire leurs soutiens à l’expansion pétrolière et gazière, et montrent ainsi la voie [5].

Un dialogue actionnarial peu crédible et inefficace pour stopper l’expansion fossile

Dans son rapport publié fin juin, la CDC confirme que le dialogue actionnarial est un de ses leviers d’action climatiques clés. Pourtant, sa démarche avec les entreprises poursuivant l’expansion pétrolière et gazière manque de crédibilité, d’efficacité et de transparence : 

  • La CDC ne définit aucune sanction de vote pour ces entreprises. Alors que les Say on Climate sont rares et consultatifs dans le secteur, la CDC mentionne seulement des informations sur ces votes, sans préciser les entreprises concernées [6]. Aucune mesure n’est précisée concernant les résolutions proposées par la direction, telles que les réélections d’administrateurs, qui elles sont présentées à chaque assemblée générale et ont une portée stratégique. 
  • La CDC ne mentionne aucune stratégie d’intensification progressive de ses actions – dite “stratégie d’escalade”. Elle évoque seulement une possibilité d’exclure certaines entreprises en l’absence de résultat du dialogue ou pour les entreprises refusant le dialogue [7]. Dans un rapport publié en 2023, la Cour des Comptes soulignait déjà cette faible stratégie d’escalade [8]. 
  • Alors que la CDC fait de l’objectif 1,5°C une ligne directrice, 95% des entreprises actives dans la production et l’exploration de pétrole et de gaz – dont TotalEnergies – poursuivent l’expansion [9], échouant ainsi à s’aligner avec une trajectoire 1,5°C. 
  • La CDC ne publie pas le détail de ses votes aux assemblées générales des entreprises dont elle est actionnaire, bien que la Cour des Comptes recommande à l’institution une transparence accrue. 

Il est urgent que la CDC change de méthode, en commençant par voter systématiquement contre la réélection des administrateurs et la rémunération des dirigeants des développeurs pétroliers et gaziers, comme plusieurs investisseurs ont déjà commencé à le faire [10]. 

La menace climatique des gestionnaires d’actifs externes

Dans un contexte d’attaques répétées ciblant l’ESG et de reculs climatiques de grands gestionnaires d’actifs comme BlackRock [11], la CDC a un responsabilité clé en tant que premier investisseur institutionnel public français pour inciter les gestionnaires à garder le cap de la transition. Aujourd’hui, la majorité des acteurs du marché ont en effet des pratiques dangereuses pour le climat, en soutenant massivement les énergies fossiles. 

La CDC délègue 3% de son portefeuille, soit 10 milliards d’euros, à des gestionnaires d’actifs externes, sous la forme de fonds cotés et de fonds non cotés. Tant qu’elle n’adopte pas des critères climatiques robustes lorsqu’elle sélectionne un nouveau gestionnaire, la CDC risque ainsi de travailler avec certains de ces acteurs [12]. 

Par ailleurs, à l’heure où plusieurs investisseurs institutionnels européens écartent des gestionnaires aux pratiques climatiques insuffisantes ou condamnent publiquement leurs reculs, la CDC utilise peu son pouvoir d’influence publique auprès des gestionnaires d’actifs. Dans son bilan 2024, l’institution mentionne seulement l’existence d’un questionnaire annuel et des échanges bilatéraux, mais n’évoque pas d’autres actions à venir et ne fournit pas d’information sur l’efficacité de ce dialogue. 

Alors que la CDC a annoncé la publication de son plan de transition prochainement, il est indispensable que l’institution y inclue trois engagements prioritaires pour réduire son soutien à l’expansion pétrolière et gazière : cesser les nouveaux investissements dans les entreprises concernées, voter systématiquement contre la direction de ces entreprises à chaque assemblée générale, et renforcer son dialogue et ses critères de sélection avec les gestionnaires externes.

Notes :

  1. Caisse des Dépôts et Consignations, 30 juin 2025, Rapport Investissement Responsable 2024 répondant aux exigences de l’Article 29 de la loi énergie-climat (LEC) 
  2. La CDC centralise 60% des dépôts du livret A, du LDDS et du LEP. 
  3. Les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) démontrent que tout nouveau projet d’énergies fossiles compromet nos chances de limiter le réchauffement à 1,5°C. Et les projections l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans son scénario Net Zero Emissions by 2050, montrent qu’il est possible de répondre aux besoins énergétiques et de tenir l’objectif 1,5°C, et que cela passe notamment par l’arrêt des nouveaux projets de charbon thermique, des nouveaux champs pétro-gaziers et des nouveaux terminaux d’exportation de GNL. 
  4. Les scénarios 1,5°C crédibles dont le scénario Net Zero Emissions by 2050 de l’AIE n’incluent aucun nouveau projet d’exploration et de production de gaz, et aucun nouveau terminal d’exportation de GNL. 
  5. Par exemple, le gestionnaire d’actifs français Ofi Invest Asset Management (200 milliards d’euros d’actifs sous gestion) a arrêté les nouveaux investissements obligataires dans les entreprises développant de nouveaux projets de production et d’exploration de pétrole et de gaz, et/ou de nouveaux terminaux d’exportation de GNL. 
    Le fonds de pension néerlandais ABP (550 milliards d’euros) a exclu de son univers d’investissement les producteurs pétro-gaziers, et PFZW (260 milliards d’euros), autre fonds de pension néerlandais, a pris la même mesure, en faisant le constat que ces entreprises ne s’alignaient pas avec l’Accord de Paris. 
    Les assureurs-vie Suravenir, MACSF et MAIF (100 milliards d’euros d’actifs cumulés) ont cessé tout nouvel investissement dans les entreprises développant de nouveaux projets d’exploration, de production et de transport de pétrole et de gaz. 
    L’Ircantec, un autre investisseur institutionnel français, a ainsi exclu de son univers d’investissement toutes les entreprises développant de nouveaux projets d’exploration, de production et de transport de pétrole et de gaz.  
  6. Dans son rapport investissement responsable 2024, la CDC indique que sur les 2 entreprises du secteur (dans lesquelles la CDC est investie) ayant soumis un Say on Climate en 2024, elle s’est abstenue pour un et a voté contre l’autre. Elle ne donne pas les noms des entreprises concernées. 
  7. Caisse des Dépôts et Consignations, Octobre 2022, Lignes sectorielles en matière de financement du pétrole et du gaz 
  8. Cour des Comptes, Novembre 2023, La mise en oeuvre des engagements climat de la Caisse des dépôts et consignations 
    La Cour des Comptes indique que : « La politique d’engagement actionnarial pour le climat de la CDC […] reste discrète dans son application concrète. Ses effets concrets sont difficiles à mesurer […]. Elle parait s’inscrire dans une démarche annuelle et non dans une stratégie de moyen terme avec des objectifs, des échéances et un principe dit d’escalade si les attentes de la CDC ne sont pas satisfaites. » 
  9. Urgewald, Novembre 2024, Global Oil and Gas Exit List 2024 
  10. Par exemple, le gestionnaire d’actifs allemand Union Investment a inscrit dans sa politique de vote l’engagement de voter systématiquement contre toutes les réélections d’administrateurs des entreprises développant leur production pétrolière et gazière. Autre exemple : en 2024, BNP Paribas Asset Management a voté contre 61% des réélections d’administrateurs et des résolutions demandant l’approbation des actions du conseil d’administration aux assemblées générales des plus grands développeurs fossiles de la planète en 2024, d’après une analyse de Reclaim Finance. 
  11. Plusieurs gestionnaires d’actifs américains, tels que BlackRock et Vanguard, ont quitté l’initiative NZAM et plusieurs dizaines ont tourné le dos à l’initiative d’engagement collaboratif Climate Action 100+. Par ailleurs, le taux de soutien aux résolutions actionnariales ESG a atteint son plus bas niveau historique en 2024 d’après l’ONG britannique ShareAction. 
  12. Actuellement, la Caisse des Dépôts ne communique pas les noms de ses gestionnaires d’actifs externes. 

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2025-07-18T10:18:01+02:00