L’autorité européenne de supervision des marchés financiers (ESMA) établit depuis mai 2025 des critères minimaux pour les fonds qui utilisent des termes ESG dans leur nom [1]. Pourtant, certains gestionnaires d’actifs français réussissent à tirer parti des failles de la réglementation et à conserver des noms à connotation durable sans changer leurs pratiques. Reclaim Finance décrypte plusieurs cas emblématiques de cette pratique bien rodée, et appelle la Commission européenne à imposer l’exclusion des entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles pour tous les fonds à prétention ESG.
L’ajout d’un simple terme ESG permet à un fonds d’attirer davantage de capitaux en influençant les choix des épargnant·es [2] — un atout dont les gestionnaires d’actifs ne se privent pas, comme l’ont montré plusieurs analyses de Reclaim Finance dénonçant l’exposition persistante de fonds “verts” à des entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles [3]. Afin de limiter ces dérives, l’ESMA a publié des lignes directrices encadrant la dénomination des fonds. L’utilisation de termes liés à l’environnement, l’impact et la durabilité dans leurs noms impose désormais aux fonds d’exclure de leurs investissements les entreprises les plus impliquées dans les énergies fossiles, tandis que l’utilisation de termes liés à la transition, au social ou à la gouvernance ne les contraint pas à cette obligation.
L’art de renommer pour ne rien changer
Reclaim Finance a analysé 190 fonds immatriculés en France ou gérés par un gestionnaire d’actifs français ayant changé de noms entre mai 2024 et mai 2025, suite à la publication des lignes directrices de l’ESMA [4]. Près de la moitié ont modifié leur appellation pour échapper à certaines contraintes, tandis que d’autres tirent parti des failles de ces règles. Certains cas sont particulièrement révélateurs.
L’art d’influencer pour ne rien changer
La facilité avec laquelle certains gestionnaires d’actifs échappent aux principales contraintes de la nouvelle réglementation n’est pas un hasard. Elle s’explique par l’influence qu’ils ont exercée en amont, lors de la rédaction même de ces lignes directrices.
Dès la consultation publique de l’ESMA en 2022, les acteurs financiers se sont massivement mobilisés : Amundi, BNP Paribas Asset Management, UBS, BlackRock, JP Morgan AM… Opposés à l’utilisation généralisée des exclusions du Paris Aligned Benchmark (PAB) — qui impliquent l’exclusion d’entreprises du secteur des énergies fossiles —, ils ont plaidé pour des critères moins exigeants, en particulier pour les fonds se revendiquant “ESG” ou “Transition” [7].
BlackRock:
“Les investisseurs expriment leurs besoins et préférences en matière de durabilité de manières très diverses, et toutes ne passent pas par l’évitement de certaines entreprises ou secteurs. Lorsque ces préférences impliquent effectivement d’éviter certains types d’expositions, les investisseurs ne cherchent pas toujours à éviter les mêmes, ce qui rend problématique l’établissement d’un ensemble uniforme de critères minimaux d’exclusion pour tous les produits comportant un terme lié à l’ESG ou à la durabilité dans leur nom.”
Amundi:
“À titre général, nous estimons que les exclusions ne sont pas appropriées comme critères minimaux de sauvegarde pour les fonds d’investissement. De plus, les exclusions ne tiennent généralement pas compte des entreprises qui s’efforcent de réaliser leur transition.”
À l’approche de la révision du règlement SFDR, qui encadre la communication relative à la durabilité des fonds au niveau européen, les mêmes dynamiques de lobbying se reproduisent : les grands acteurs financiers multiplient les contributions et défendent une position similaire, demandant notamment de limiter les exclusions liées aux énergies fossiles à une seule catégorie. Cela offrirait aux entreprises développant de nouveaux projets fossiles un refuge dans les fonds « ESG », « responsables », « transition » ou « impact ». Si la Commission Européenne reprend ces propositions, les failles déjà identifiées dans la directive de l’ESMA se retrouveraient dans le règlement SFDR, institutionnalisant une finance durable à plusieurs vitesses vectrice de greenwashing.
Pour garantir la crédibilité de la finance durable européenne, il est impératif de poser une ligne rouge claire : aucun fonds se revendiquant durable, ESG ou de transition ne devrait être autorisé à investir dans des entreprises impliquées dans le développement de nouveaux projets fossiles [8]. À défaut, la finance durable restera un slogan creux.