Début septembre, le fonds de pension néerlandais PFZW a retiré un mandat de 14 milliards d’euros à BlackRock [1], dans un contexte de reculs climatiques du gestionnaire américain. De leur côté, les assureurs-vie français refusent toujours de franchir ce cap en s’autorisant encore à déléguer l’épargne de leurs clients à des gestionnaires d’actifs soutenant massivement l’expansion fossile. Ce faisant, ils travaillent avec des gérants sapant leurs propres efforts climatiques. Certains assureurs-vie français ont pourtant renforcé ces derniers mois leurs mesures visant à réduire leur soutien à l’expansion fossile. Face à cette incohérence, Reclaim Finance appelle les assureurs-vie français à adopter une sélection plus stricte de leurs gestionnaires sur la base de critères climatiques, en commençant par faire de l’expansion fossile une ligne rouge.
Le changement climatique représente un risque financier majeur, dans la mesure où il aura un impact structurel sur l’économie, dès maintenant et sur le long terme. La BCE estime que le coût du changement climatique pourrait peser jusqu’à 5% du PIB de la zone euro d’ici 2030, et une étude de l’Institut des actuaires britanniques montre que l’économie mondiale pourrait subir une perte de 50% de son PIB entre 2070 et 2090 [2]. Réduire les risques climatiques doit donc être une priorité pour les investisseurs de long terme, comme les assureurs-vie, et leurs bénéficiaires épargnants.
Or, les assureurs-vie délèguent la gestion des investissements de leur fonds euro à des partenaires, les gestionnaires d’actifs, et choisissent les gestionnaires dont ils vont proposer les fonds pour leur offre en unités de compte (UC). Ils ont donc une responsabilité importante pour inciter ces gestionnaires à limiter les conséquences financières du changement climatique sur l’épargne de leurs bénéficiaires. Par ailleurs, avec près de 29,4 % du passif des fonds français [3], les assureurs-vie ont un pouvoir et un devoir d’influence significatifs sur leurs gérants d’actifs.
L’incohérence entre les ambitions climatiques des assureurs vie et celles de leurs gestionnaires d’actifs
A ce jour, 12 assureurs-vie français ont stoppé leurs nouveaux investissements obligataires dans les entreprises qui développent de nouveaux champs pétroliers et gaziers [4]. Parmi eux, Suravenir, MACSF, MACIF et MAIF vont encore plus loin en cessant également les nouveaux investissements obligataires dans les entreprises qui développent de nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié. Mais ces efforts risquent d’être sapés par les pratiques de leurs gestionnaires d’actifs à qui ils délèguent une partie de leurs investissements. En effet, la plupart de ces assureurs-vie n’ont pas de politique stricte pour sélectionner leurs gestionnaires d’actifs, alors que la majorité des gérants soutiennent encore fortement l’expansion fossile par leurs investissements et leurs votes aux assemblées générales.
A titre d’exemple, Suravenir, CNP Assurances ou encore Groupama proposent des fonds de BlackRock et JP Morgan Asset Management parmi leurs supports en unités de compte (UC) dans leurs contrats d’assurance-vie. Et ceci alors même que ces gestionnaires affichent des reculs climatiques, comme BlackRock ayant quitté l’alliance Net Zero Asset Managers (NZAM) et n’ayant soutenu que 2% des résolutions actionnariales environnementales et sociales en 2025, contre 40% en 2021.
La nécessaire sélection des gestionnaires d’actifs selon des critères climatiques robustes
Pour chaque nouveau mandat de gestion attribué au sein du fonds euro, pour chaque nouvel investissement dans un fonds ouvert, et pour chaque nouveau référencement d’un fonds dans la gamme d’UC, les assureurs-vie peuvent et doivent sélectionner leurs gestionnaires sur la base de critères basés sur la science climatique. Ces exigences doivent être attendues au niveau des gestionnaires d’actifs et non seulement au niveau de leurs fonds (fonds dédiés ou fonds ouverts).
La très grande majorité des assureurs-vie n’a pour l’instant aucune exigence climatique claire pour leurs gestionnaires d’actifs externes. Certains, comme Abeille Assurances, Macif, CNP Assurances, Suravenir ou Groupama, ont pris de l’avance en publiant une liste de demandes pour leurs gestionnaires d’actifs concernant leur politique d’exclusion aux entreprises fossiles. Toutefois, ces assureurs-vie ne font toujours pas du soutien à l’expansion fossile une ligne rouge empêchant la délégation de nouveaux investissements ou le référencement de fonds en UC.
Ne plus confier d’investissements aux gestionnaires dangereux pour le climat
Aujourd’hui, la majorité des assureurs-vie laisse la porte ouverte aux gestionnaires ne respectant pas les lignes rouges définies par la science climatique. Pour s’aligner avec une trajectoire 1,5°C et réduire les risques financiers liés au dérèglement climatique, les assureurs-vie doivent demander en priorité la fin des soutiens de leurs gestionnaires à l’expansion fossile [5]. Afin d’être crédible, ils doivent fixer une date limite au-delà de laquelle aucun nouvel investissement ne sera confié aux gérants refusant de se conformer à leurs demandes. C’est l’approche adoptée par la MAIF : depuis 2024, l’assureur-vie a arrêté de confier de nouveaux investissements à des gestionnaires qui n’auraient pas défini de stratégie de sortie progressive du charbon thermique d’ici 2030 [6].
Dialoguer avec ses gestionnaires d’actifs actuels
Pour les mandats et les investissements existants, ainsi que pour les fonds déjà référencés dans la gamme d’UC, les assureurs-vie peuvent utiliser leur statut de client pour pousser leurs gestionnaires à améliorer leurs pratiques climatiques.
De grands investisseurs institutionnels ont montré l’exemple, par exemple en publiant une déclaration conjointe adressant leurs demandes aux gestionnaires d’actifs ou des lettres publiques condamnant les reculs climatiques de certains gestionnaires [7]. L’influence est en effet démultipliée lorsqu’elle est exercée publiquement et collectivement.
Le dialogue des assureurs-vie français avec leurs gestionnaires se limite encore souvent à l’envoi de questionnaires ESG et des rendez-vous bilatéraux, sans sanctions prévues en cas d’absence de progrès. Afin de crédibiliser ce dialogue et le rendre fructueux, ils doivent définir un calendrier d’engagement progressif, qui s’appliquera tant que le gestionnaire d’actifs n’aura pas respecté les demandes fixées.
Dans l’intérêt de leurs clients actuels mais aussi des générations d’épargnants futures, les assureurs-vie se doivent d‘utiliser tous les leviers d’action à leur disposition, dont l’influence de leurs partenaires les gestionnaires d‘actifs. Il est urgent qu’ils renforcent leurs actions dans ce domaine et ne confient plus de nouveaux investissements aux gestionnaires qui soutiennent massivement l’expansion fossile.