Alors que le fonds de pension néerlandais PFZW a récemment retiré un mandat au gestionnaire d’actifs BlackRock, plusieurs acteurs clés des retraites en France confient toujours des investissements au géant américain. L’Agirc-Arrco, l’ERAFP, et le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR) cautionnent ainsi un gestionnaire connu pour son soutien massif à l’expansion fossile et ses récents reculs climatiques, tout en ayant pour responsabilité de sécuriser notre avenir. Reclaim Finance appelle ces organisations à se doter de critères climatiques basés sur la science lorsqu’elles sélectionnent un nouveau gestionnaire pour gérer l’argent de nos retraites, et à s’opposer publiquement aux pratiques dangereuses de BlackRock pour le climat.
L’Agirc-Arrco gère le régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé, et l’ERAFP celui des fonctionnaires [1]. De son côté, le Fonds de Réserve pour les Retraites (FRR) constitue des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraites [2]. L’Agirc-Arrco gère 86 milliards d’euros d’actifs financiers à fin 2024, l’ERAFP 48 milliards, et le FRR 20 milliards. Dans un récent rapport, Reclaim Finance expliquait que les retraites françaises étaient en partie déléguées à des gérants externes, dont certains ont des pratiques qui vont à l’encontre de la transition.
BlackRock, le meilleur ami de l’expansion des énergies fossiles
Même si dans le passé BlackRock a pu faire de grands discours sur les risques climatiques et rejoindre certaines alliances climatiques qu’il a maintenant quitté [3], les faits montrent une situation bien différente : ses agissements verrouillent la dépendance aux énergies fossiles.
En mai 2024, BlackRock détenait 431 milliards de dollars d’actions et d’obligations d’entreprises qui développent de nouveaux projets fossiles [4], y compris des parts importantes du capital de certaines majors comme TotalEnergies [5]. Le gestionnaire ne prévoit aucune réduction de son soutien à l’expansion fossile, et continue d’investir massivement dans ces entreprises. BlackRock a investi au moins 1,7 milliards de dollars dans les obligations récentes émises par des développeurs fossiles entre 2023 et 2024, alors même que ces émissions permettent aux entreprises fossiles de financer leurs projets d’expansion fossile [6].
BlackRock apparait également comme l’allié des développeurs fossiles dans ses votes aux assemblées générales. En 2024, le gérant avait voté en faveur de 90% des actions du conseil d’administration des plus grands développeurs fossiles au monde. Et il n’a soutenu que 2% des résolutions actionnariales environnementales et sociales en 2025, après en avoir pourtant approuvé 40% en 2021, affichant un net recul.
Ses activités de lobbying retardent également l’indispensable transition. En Europe, BlackRock s’est opposé à l’utilisation généralisée d’exclusions sectorielles auprès de l’autorité européenne de supervision des marchés financiers (ESMA) et dans le cadre de la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Et aux Etats-Unis, le lobby conservateur Business Roundtable, dont le directeur général de BlackRock est membre, a recommandé une interdiction des résolutions actionnariales ESG.
BlackRock et les retraites françaises : des relations contre-nature
A ce jour, l’Agirc-Arrco, l’ERAFP et le FRR ont tous recours aux services de BlackRock. Le FRR lui a attribué des mandats en 2021 et 2022, pour des durées respectives de cinq et quatre ans. Fin 2023, l’ERAFP lui a confié un mandat d’actions pour une durée d’au moins six ans. L’ERAFP a également sélectionné BlackRock en tant que titulaire de certains mandats stand-by en 2021, 2022 et 2023 – il se réserve ainsi la possibilité de les activer pendant au moins cinq ans. Aucun ne précise toutefois les montants des investissements confiés à BlackRock.
Même s’ils imposent à BlackRock d’investir selon leurs règles, ou lui confient parfois des mandats avec des exigences de durabilité [7], les pratiques globales de BlackRock sapent les engagements climatiques des acteurs français des retraites et sont en contradiction avec les préconisations scientifiques. L’Agirc-Arrco, l’ERAFP et le FRR cautionnent alors son soutien à l’expansion des énergies fossiles et donc son entrave à l’objectif 1,5°C, qui est pourtant la trajectoire prétendument suivie par ses acteurs.
Par ailleurs, cesser de collaborer avec BlackRock fait partie intégrante du devoir fiduciaire des investisseurs institutionnels, afin de protéger leurs portefeuilles et leurs bénéficiaires. Les conséquences du changement climatique engendrent en effet des pertes significatives pour l’ensemble de l’économie et donc les portefeuilles financiers [8], menaçant l’avenir des cotisants aux retraites – notamment les jeunes générations – dans les prochaines décennies.
Des acteurs des retraites européens prennent déjà leurs distances avec BlackRock
Contrairement aux acteurs français, de plus en plus de fonds de pension européens tournent le dos à BlackRock ou envisagent de rompre avec le gestionnaire prochainement. Début septembre, le deuxième fonds de pension néerlandais PFZW a retiré un mandat de 14 milliards d’euros à BlackRock, citant des préoccupations liées à la durabilité [9]. D’autres fonds de pension, PME aux Pays-Bas et AP7 en Suède ont annoncé en début d’année qu’ils envisageaient de ne pas renouveler des mandats avec BlackRock en raison de son départ de l’initiative NZAM [10].
D’autres gestionnaires d’actifs aux pratiques nocives pour le climat ont également été écartés. Les fonds de pension britannique The People’s Pension et danois Akademiker Pension ont ainsi retiré des mandats à State Street, à cause de ses faibles pratiques ESG.
Si l’ERAFP et le FRR ont récemment rejoint une coalition d’investisseurs institutionnels appelant leurs gestionnaires à renforcer leur dialogue actionnarial climatique [11], il est grand temps de joindre le geste à la parole en sanctionnant leurs gérants qui n’agissent pas en faveur du climat [12].
A l’heure où la crise climatique s’aggrave, il est urgent que les acteurs français des retraites prennent leurs responsabilités. Reclaim Finance les appelle à se doter de critères climatiques basés sur la science – particulièrement concernant l’arrêt des soutiens à l’expansion fossile – lorsqu’ils sélectionnent un nouveau gestionnaire, et à condamner publiquement les actions climaticides de BlackRock.