Alors qu’un nombre croissant d’acteurs financiers exigent des entreprises de leurs portefeuilles d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, le think tank sur le climat et l’énergie, Ember, publie aujourd’hui un rapport sans appel sur la stratégie climat d’Engie. Non seulement Engie tarde à publier un plan de fermeture de ses dernières centrales à charbon, mais son pari sur le gaz fait peser des risques lourds sur le climat et sur les actionnaires dans un contexte d’urgence climatique et de compétitivité croissante des énergies renouvelables. Décryptage.
L’histoire de la décarbonisation d’Engie jusqu’à aujourd’hui
Engie s’est engagé en 2015 à ne pas construire de nouvelles centrales à charbon et à réduire son activité dans ce secteur. En décembre 2017, Engie a rejoint la Powering Past Coal Alliance, réaffirmant son engagement à œuvrer pour l’élimination progressive de l’utilisation du charbon à l’échelle mondiale. Pourtant, Engie a poursuivi le développement de nouvelles centrales à charbon au Brésil (Pampa Sul), au Chili (Infrastructura Energetica Mejillones-IEM), en Mongolie et au Maroc. Elle a pour la plupart du temps vendu ses actifs dans le secteur du charbon au lieu de les fermer – n’apportant aucun avantage réel en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre (1).
Bien qu’Engie ait réduit sa capacité de production d’électricité au charbon de plus de 75 % – de 20 872 MW en 2015 à 4 700,8 MW en 2019, elle exploite encore actuellement 10 centrales au charbon pour un total de 4 GW de capacité installée. 76 % en Amérique latine (Chili, Brésil et Pérou), 14 % au Maroc et 10 % au Portugal (2).
Sur cette capacité installée, 70 % n’a toujours pas de date de fermeture : 3 des centrales à charbon d’Engie au Chili (Andina, Hornitos et IEM), 2 au Brésil et 1 au Maroc. Engie essaie de vendre ses centrales à charbon au Brésil.
L’avenir du business-as-usual d’Engie
Un nouveau rapport du think tank sur le climat et l’énergie Ember, qui passe en revue la stratégie de transition d’Engie, met en garde contre l’absence d’une stratégie globale de retrait progressif du charbon et l’incohérence de l’objectif SBTi de 2°C de la société avec les objectifs de l’Accord de Paris (3).
Les énergies renouvelables représentent actuellement 27 % de la capacité totale installée d’Engie, contre 54 % pour le gaz. Malgré le plan d’Engie visant à augmenter la capacité solaire et éolienne, la stratégie d’Engie se concentre sur le passage du charbon au gaz fossile et au biogaz/biomasse pour la production d’électricité d’ici 2050. Dans une interview à France inter, Claire Waysand, directrice générale par interim et secrétaire générale du groupe Engie laissait entendre que les centrales chiliennes seraient reconverties au gaz ou à la biomasse (5).
Même en Europe, Engie œuvre pour défendre le gaz au niveau des réglementations et développer de nouvelles infrastructures gazières. C’est le cas de la centrale de Vado Ligure gérée par Tirreno Power détenue à 50% par Engie. La centrale était alimentée à 100 % par du charbon avant la conversion au gaz fossile d’une unité de 800 MW en 2007 et la fermeture ultérieure des unités à charbon en raison de la violation des normes sanitaires. Cependant, Tirreno Power a récemment annoncé qu’elle allait doubler la capacité de la centrale pour produire de l’électricité à partir de gaz fossile.
Le rapport d’Ember souligne également que la dépendance prévue du gaz fossile au cours des prochaines décennies est une source de risques climatiques et réglementaires potentiels pour Engie, en particulier si le gaz de schiste devait être l’une des sources de combustible étant donné le risque plus élevé de fugitivité. D’un point de vue financier, l’effondrement du coût de la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables réduit la viabilité financière des actifs liés au gaz fossile et entraînerait à terme l’abandon de ces actifs.
Un scénario alternatif
La stratégie actuelle d’ENGIE en matière de décarbonisation n’est pas alignée sur l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, ni d’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050. C’est pourtant la demande d’un nombre croissant d’investisseurs, notamment de ceux engagés dans la Net Zero Asset Owner Alliance).
Non seulement 24 institutions financières françaises (6) attendent de leurs clients actifs dans le secteur du charbon qu’ils adoptent un plan de sortie du charbon, mais beaucoup d’entre eux se sont également engagés à aligner leurs activités sur les objectifs de l’Accord de Paris. Néanmoins, Engie est loin de satisfaire à cette attente : son retard à publier un plan de fermeture de ses dernières centrales à charbon s’ajoute au risque d’être l’un des principaux promoteurs du gaz comme énergie de transition.
Reclaim Finance appelle les acteurs financiers à se saisir du dossier au plus vite pour pousser Engie à publier une feuille de route pour fermer ses actifs dans le charbon sans passer par la biomasse ou le gaz, et à l’inscrire dans une stratégie globale de transition vers un objectif de neutralité carbone cohérent avec une trajectoire à 1,5°C.