Malgré un effort pour recentrer l’exercice sur les trajectoires compatibles avec 1,5°C, les scénarios climatiques publiées par le « Network for Greening the Financial System » (NGFS), en juin 2021 ne proposent toujours pas de trajectoires réalistes, peu risquées et en mesure de limiter le réchauffement climatique en deçà 1,5°C (1).

Les hypothèses utilisées dans les scénarios 1,5°C du NGFS font courir le risque de dépasser largement le seuil d’1,5°C tout en recourant à des sources d’énergie non-durables et en investissant dans des activités nocives. Le NGFS occulte un impératif : celui de mettre fin aux nouveaux investissements dans le pétrole, le gaz et le charbon et de réduire drastiquement leur production. Reclaim Finance a analysé le travail du NGFS afin de proposer des recommandations clefs au NGFS et à ses membres.

A l’origine, des scénarios très critiquables 

En février 2021, Oil Change International et Reclaim Finance ont publié une analyse du premier ensemble de scénarios publiés par le NGFS en juin 2020. Cette analyse a révélé des défauts majeurs, qui pourraient retarder l’action climatique et augmenter les risques financiers associés. La révision des scénarios du NGFS aurait pu permettre de corriger ces défauts, notamment en évitant de recourir à l’absorption technologique de dioxyde de carbone (CDR) et en mettant en exergue les scénarios privilégiant des actions de réduction immédiates.

De telles améliorations sont essentielles pour rendre le système financier plus durable. En effet, les scénarios du NGFS sont déjà utilisés par les régulateurs français, anglais et européens pour réaliser des analyses de risques. Ils sont également au cœur de la stratégie visant la finance privée conçue par la présidence britannique de la COP26 et au cœur de la nouvelle stratégie de financement durable de l’UE. En outre, la deuxième série de scénarios du NGFS a été publiée en juin 2021, au moment où les engagements se multiplient du côté des institutions financières et juste après la sortie du premier scénario « net-zéro » de l’Agence Internationale de l’Énergie. Ce nouveau scénario soulignait la nécessité de mettre un terme aux investissements dans les réserves d’énergies fossiles et d’en réduire significativement la production.

Un cadrage plus ambitieux… qui masque des hypothèses très problématiques

Pour cette deuxième série de scénarios, le NGFS se focalisent sur les scénarios permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Le NGFS fait ainsi la promotion de deux ensembles de scénarios : les scénarios« net-zéro 2050 » (NZ) et des scénarios « net-zéro divergents » (DNZ). Au total, six scénarios issus de trois modèles différents, visent à ne pas dépasser le seuil d’1,5°C.

Malheureusement, si le nouveau cadre choisi par le NGFS reconnaît la nécessité d’une action climatique forte, les hypothèses sous-jacentes retenues dans ses scénarios 1,5°C pourraient conduire les institutions financières à faire exactement le contraire :

  • Les scénarios du NGFS s’appuient trop lourdement sur le captage et le stockage du carbone (CSC). Cette hypothèse a pour conséquence de ralentir le déclin des énergies fossiles. À cet égard, la distinction faite par le NGFS entre les scénarios en fonction de la disponibilité de technologies d’absorption du carbone (CDR) est largement trompeuse. Pire, le NGFS encourage le recours au CSC et à d’autres technologies à émissions négatives (NET). En effet, il présente les scénarios NZ (ceux qui recourent le plus aux énergies fossiles et à l’absorption technologique du carbone (CDR)) comme plus “méthodiques”. Le NGFS juge également plus risqués les scénarios avec une disponibilité faible de moyens de capture du carbone.
  • Les niveaux d’investissement dans les énergies fossiles dans les scénarios NGFS sont particulièrement inquiétants. Le NGFS ne reconnaît pas la nécessité de mettre fin aux investissements dans le charbon, le pétrole et le gaz et de décarboner le système électrique bien avant 2050.
  • Les scénarios NGFS impliquent une utilisation importante de la biomasse. Ils surestiment largement le potentiel de production durable de biomasse. En outre, ils misent toujours sur un recours important à la biomasse et à la capture et séquestration du carbone (BECCS) à long terme.

Ces défauts pourraient faire dérailler gravement les efforts d’atténuation du changement climatique, nous poussant à dépasser un réchauffement planétaire de 1,5°C. Les scénarios du NGFS poussent également les institutions financières à prendre des risques supplémentaires en finançant : davantage d’énergies fossiles (y compris de nouveaux projets qui risquent de devenir des actifs échoués), le développement potentiel de biomasse non-durable et des programmes très incertains de capture du carbone .

Vers des scénarios crédibles et à risques faibles du NGFS 

Pour fournir une voie crédible et à faible risque, le NGFS doit de toute urgence :

  1. Reconnaître la nécessité de mettre fin aux investissements dans de nouveaux projets de charbon, pétrole et gaz et ajuster les prévisions d’investissement dans les énergies fossiles de ses scénarios 1,5°C.
  2. Fonder ses scénarios 1,5°C sur des niveaux très bas (ou même zéro) d’absorption technologique de dioxyde de carbone (CDR), notamment pour le CSC – et arrêter de présenter les scénarios misant le plus sur les technologies de capture du carbone comme moins risqués ou plus méthodiques
  3. Refléter la nécessité de réduire immédiatement et de manière significative l’utilisation et la production d’énergies fossiles pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.
  4. Adopter une approche de précaution pour l’utilisation de la biomasse, en évitant une utilisation supplémentaire des terres pour la production de bioénergie et en tenant compte de la fourchette durable de production de biomasse définie par la Commission transition énergétique.

En outre, comme Oil Change International et Reclaim Finance l’ont souligné dans leur précédent rapport, l’analyse des scénarios est intrinsèquement limitée et devrait être complétée par des mesures concrètes pour atténuer les dérèglements climatiques et les risques qui leur sont liés. Le NGFS devrait formuler des recommandations concrètes pour une action immédiate, notamment afin de réduire le soutien aux entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles ou impliquées de manière significative dans le charbon ou le pétrole et le gaz non conventionnels.

Paul Schreiber, chargé de campagne chez Reclaim Finance, conclut:

Malheureusement, le NGFS a raté une nouvelle occasion de proposer au secteur financier une trajectoire d’action climato-compatible. Si le réseau des banques centrales met enfin l’accent sur les scénarios visant à limiter le réchauffement à 1,5°C, les hypothèses choisies nous emmèneraient bien au-delà de cette limite à ne pas franchir. Ces scénarios s’appuient trop lourdement sur les technologies d’absorption du carbone et autorisent la poursuite des investissements dans les énergies fossiles. De quoi nous entraîner tout droit vers le chaos climatique et créer des actifs échoués. Le NGFS doit se mettre au diapason et s’aligner avec les recommandations des scientifiques et de l’AIE en refusant tout nouveau projet et investissement dans les énergies fossiles.

Annexe – Analyse et notation des scénarios NZ et DNZ

Les scénarios NZ et DNZ de NGFS sont analysés et notés dans le tableau ci-dessous. Notre analyse révèle qu’ils contiennent tous des hypothèses très problématiques concernant l’utilisation des – et les investissements dans – les énergies fossiles, , l’utilisation de la biomasse et/ou l’absorption technologique de dioxyde de carbone (CDR).

Lisez notre analyse détaillée pour plus d’informations

Évaluation et notation des scénarios NZ et DNZ du NGFS


Notes

1) Le NGFS est un réseau des banques centrales et superviseurs désireux de travailler au « verdissement » de la finance.