Pour éviter une catastrophe climatique et limiter le réchauffement planétaire à 1.5°C, la consommation de combustibles fossiles doit baisser de 6% par an dès maintenant. Mais l’industrie pétro-gazière ne l’entend pas de cette oreille, et développe de plus en plus de méthodes d’extraction d’hydrocarbures très risquées sur les plans environnemental et socio-économique : forages en offshore très profond, forages en Arctique, pétrole et gaz de schiste, et sables bitumineux. Rien que sur ces trois derniers secteurs, les capacités de production pourraient augmenter de 157% sur les trente prochaines années, de quoi consommer jusqu’à 2/3 du budget carbone restant (1).

Pétrole et gaz de schiste  : ennemi public numéro 1

La production de pétrole et gaz de schiste a connu un essor historique ces dix dernières années, propulsant les Etats-Unis au rang de premier producteur d’hydrocarbures et cinquième exportateur de gaz. D’ici 2025, l’Amérique du Nord, essentiellement les Etats-Unis, accueillera 85% de la croissance de la production mondiale.

Si la tendance se prolonge jusqu’en 2050, elle consommerait 27 à 31% du budget carbone qu’il nous reste pour limiter le réchauffement planétaire à 1.5°C. En prime, la production d’hydrocarbures de schistes impactera directement les populations : déjà aujourd’hui, celles-ci subissent les risques de pollution des réserves d’eau potable et d’expositions aux composés toxiques de cette industrie, d’augmentation de l’activité sismique, et de compétition d’accès à l’eau. Au-delà des risques climatiques, ce secteur représente aussi un gros risque financier : entre 2010 et 2019, 34 entreprises spécialisées dans la production d’hydrocarbures de schistes ont dépensé 189 milliards de dollars de plus qu’elles n’en ont engrangé par leurs ventes. La crise récente a fini de prouver la fragilité de ce secteur face aux aléas du marché.

GNL  : moteur polluant de l’essor du gaz

Si les industriels aiment présenter le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) comme une énergie de transition, cela n’en reste pas moins faux. L’ Évaluation mondiale du méthane du PNUE souligne que la simple utilisation des infrastructures de gaz existantes compromet déjà grandement notre capacité à maintenir le réchauffement planétaire à 1.5°C ; tout projet d’expansion de celles-ci et prolongation de l’utilisation du gaz naturel nous écarte donc dangereusement de cet objectifs. Le GNL est donc problématique: entre 2019 et 2020, les investissements en terminaux GNL ont plus que doublé pour atteindre 200 milliards de dollars. En outre, les processus de transformation et transport qu’il implique sont énergivores et sources de fuites de méthane, à tel point que sur l’ensemble de son cycle de vie, le gaz transporté par GNL peut émettre jusqu’à 16% plus de CO2e que le charbon pour produire de l’électricité.

Arctique  : les compagnies pétro gazières n’ont pas froid aux yeux

L’industrie pétro-gazière est en train de faire main basse sur les ressources contenues en Arctique, plus facilement accessibles à mesure que ses glaces fondent. Si exploités, le pétrole et le gaz en Arctique consommeraient à eux seuls près d’un quart de notre budget carbone d’ici 2050 (2). A ce jour, plus de la moitié de ces ressources sont déjà exploitées, ou sont concernées par des projets de développement. Outre les conséquences potentiellement incontrôlables et dévastatrices pour ses écosystèmes en cas d’accident, c’est à notre climatiseur planétaire que nous touchons ici. En effet, l’immense étendue blanche de l’Arctique lui permet de réfléchir l’essentiel de l’énergie solaire qu’elle reçoit, limitant ainsi le réchauffement du climat. L’exploitation d’hydrocarbures réduit le pouvoir réfléchissant de l’Arctique. Cela favorise en retour le réchauffement, la fonte, puis la réduction de cette étendue et donc de son pouvoir réfléchissant : l’exploitation d’hydrocarbure en Arctique accélère une boucle de rétroaction qui aggrave le réchauffement climatique.

Pour toutes ces raisons, il est urgent de réagir et de sanctuariser l’Arctique et ses écosystèmes fragiles telle que délimitée par l’AMAP, groupe de travail du Conseil de l’Arctique dont le mandat est de s’assurer de la santé et de la non-pollution de l’Arctique.

Sable bitumineux : un sombre tableau

Les sables bitumineux ne contiennent pas de pétrole, mais du bitume, une forme plus lourde et plus visqueuse, difficile à extraire et nécessitant un traitement à très haute température pour être transformé en pétrole. Pour y parvenir, l’équivalent de 24% à 77% de l’énergie du pétrole final est consommée et la production d’un baril de pétrole émet en moyenne 3 fois plus de CO2 que les autres méthodes. Le pétrole issu des sables bitumineux obtient la palme de la source d’énergie la moins énergétiquement rentable et la plus polluante.

C’est aussi une méthode d’extraction destructrice pour l’environnement: Au Canada, 140 000 km² de forêt boréale vierge (l’équivalent de la Floride) et les écosystèmes qu’elle contient sont ainsi mis en danger. L’exploitation de cette ressource est également très polluante et a déjà généré plus de mille milliards de litres de déchets toxiques et cancérigènes, contaminant les populations et écosystèmes alentours. Malgré la chute du cours du pétrole concomitante à la crise sanitaire, les sables bitumineux ont toujours le vent en poupe, et une croissance de 30% du secteur est attendue d’ici 2030, amplifiant d’autant toute les externalités négatives de l‘exploitation de cette ressource.

Offshore très profond : on touche le fond

Les profondeurs auxquelles pétrole et gaz sont recherchés ne cessent d’augmenter, et avec elles, les risques de dysfonctionnements. L’offshore très profond, par plus de 1500 mètres de hauteur d’eau, est un milieu hostile: volcan de boue, glissement ou effondrement de terrains, poche de gaz et d’eau sous pression sont autant de risques pesant sur le forage et l’exploitation d’un puit sous-marin. Les intempéries climatiques menacent également les installations en surface, comme les ouragans Ike, Rita et Katrina l’ont prouvé, causant le déversement de millions de litres d’hydrocarbures dans les océans. Comme le déclarait cette industrie à l’époque, « there was no way [they] could have foreseen or prepared for the environmental mess ». Les accidents de marée noire survenus depuis ont montré notre inefficacité à réagir à ce genre d’évènement, et les conséquences que ces derniers peuvent avoir sur l’environnement et le tissu socio-économique. En l’absence d’accident, cette industrie reste nocive pour la biodiversité marine. Les méthodes de sondages par ondes sismiques détériorent la santé et la capacité de reproduction d’espèces sous-marines, et ont été impliquées dans des épisodes d’échouement de baleines.

De plus, les acteurs financiers engagés dans ce secteur doivent être conscient du risque pris : avec des frais opérationnels atteignant le million d’euros par jour pour un navire d’exploration, et plus de la centaine de millions de dollars pour le forage d’un puit, ce secteur est particulièrement vorace en capital et risqué.

Notes :

  1. Afin de limiter le réchauffement climatique sous le seuil des +1.5°C par rapport à l’ère préindustrielle, le GIEC définit la notion de budget carbone, correspondant à la quantité de carbone émise menant à un dépassement du seuil de 1.5°C avec 50% de probabilité. Pour limiter le réchauffement climatique, il est impératif de limiter nos émissions sous ce seuil. Pour plus d’informations, consulter le résumé du Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C.
  2. Estimation sur la base d’un budget carbone tel que défini par le GIEC pour un objectif de +1.5°C maximum, sur la base des ressources estimées récupérables en Arctique par l’U.S. Geological Survey et des facteurs d’émissions de l’U.S. Environmental Protection Agency.

Pour aller plus loin :