Demain, Bruno Le Maire inaugurera la dernière Climate Finance Day du quinquennat et Paris n’est toujours pas la capitale de la finance verte et durable qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux au début de son mandat. Malgré les appels scientifiques qui se multiplient pour enclencher une baisse de la production de pétrole et de gaz et l’appel du Ministre à sortir des hydrocarbures non-conventionnels, seules La Banque Postale, MAIF et l’Ircantec se sont engagées à se plier aux impératifs climatiques. A quelques jours du top départ de la COP26, la Climate Finance Day doit corriger le tir : engager la place de Paris contre l’expansion pétro-gazière et pour la sortie des hydrocarbures non-conventionnels d’ici 2030, et imposer le cadre règlementaire qui fait cruellement défaut.

Il y urgence (climatique) à sonner le glas du pétrole et du gaz

Depuis l’appel de Bruno Le Maire d’octobre 2020 appelant la place financière de Paris à se doter d’une stratégie de sortie des hydrocarbures non-conventionnels, un fort consensus scientifique et politique s’est construit en faveur de la mise à l’arrêt, non seulement de tout nouveau projet de charbon, mais aussi de pétrole et de gaz. En mai puis en octobre, l’Agence Internationale de l’Energie concluait qu’il fallait cesser dès 2021 d’investir dans le développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers. À la sortie du 1er volet du 6ème rapport du GIEC cet été, Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, déclarait qu’il est temps de “sonner le glas du charbon et des énergies fossiles, avant qu’ils ne détruisent la planète”. Selon une nouvelle étude scientifique publiée dans Nature en septembre, limiter le réchauffement climatique en-deçà de 1,5 °C exige que la majorité des réserves de charbon, pétrole et gaz ne doit pas être extraite. Elle souligne qu’il ne faudrait pas toucher au pétrole et gaz en Arctique, renoncer au pétrole et gaz de schiste, ainsi qu’à 84 % du pétrole issu des sables bitumineux.

Non, l’industrie pétro-gazière ne va pas se plier d’elle-même aux impératifs climatiques

Début septembre, Carbon Tracker calculait que pour s’aligner sur le scénario “Net Zero by 2050” de l’AIE, la plupart des grandes compagnies pétro-gazières du monde doivent réduire leur production de moitié d’ici 2030. Or, les géants pétro-gaziers continuent de miser massivement sur l’exploitation de nouvelles réserves d’énergies fossiles, et les grandes entreprises pétrole et gaz et clientes de premier ordre des banques et investisseurs français ne font pas figure d’exception en la matière, faisant même pour certaines le pari des hydrocarbures non-conventionnels. En effet, les hydrocarbures non conventionnels représentent plus de 30% de la production en phase de développement de TotalEnergies, Eni et Shell, plus de 50% pour BP, et près de 70% pour Chevron et ExxonMobil. Malgré une ambition affichée d’atteindre la neutralité carbone, TotalEnergies prévoit actuellement une hausse de 35% de sa production gazière entre 2019 et 2030 et continue d’ouvrir de nouveaux champs gaziers et pétroliers. D’ici 2030, les hydrocarbures représenteront encore 80% de ses dépenses d’investissement. Difficile dans ces conditions de parler d’une entreprise “en transition”.

Résultat des courses : en soutenant sans conditions l’industrie pétro-gazière, les banques françaises ont par exemple octroyé plus de $17 milliards de soutiens aux principaux producteurs et développeurs d’hydrocarbures de schiste entre janvier 2020 et mars 2021 et $31,2 milliards de financements aux développeurs d’hydrocarbures en Arctique entre 2016 et 2020.

Quelques pionniers, encore beaucoup de cancres

Épinglées à maintes reprises pour leurs soutiens au secteur, la semaine dernière, les grandes banques françaises se sont contentées d’une réponse collective purement cosmétique. Malgré les appels scientifiques sans équivoque, elles ne répondent toujours pas au premier des impératifs climatiques : la fin immédiate du développement des hydrocarbures. Côté assurance, AXA n’a toujours pas pris la décision d’arrêter d’assurer tout nouveau projet pétrolier et gazier. Comble de la schizophrénie : AXA est un des principaux assureurs de l’industrie pétro-gazière dans le monde et dans le même temps, chef de file d’une coalition internationale d’assureurs engagés à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pompier ou pyromane, il faut choisir.  AXA a su montrer la voie après la COP21 en devenant le 1er assureur au monde à annoncer sa sortie du secteur du charbon. Demain, Thomas Buberl devra répondre aux dizaines de milliers de signataires de la pétition l’appelant à devenir le 1er assureur à ne plus soutenir l’expansion pétro-gazière.

Heureusement, plusieurs acteurs financiers montrent la voie à ceux qui naviguent à vue. La Banque Postale, MAIF et l’Ircantec ont créé un précédent historique : le 14 octobre 2021, la Banque Postale devenait la 1ère banque à s’engager pour une sortie totale du pétrole et du gaz d’ici 2030. Le 21 octobre, la MAIF s’engageait, elle aussi, à ne plus investir dans l’expansion pétro-gazière et à sortir des hydrocarbures non-conventionnels d’ici 2030. Le 22 octobre, le fonds de réserves des retraites l’Ircantec allait encore plus loin en excluant dès 2022, 95% des entreprises impliquées dans les hydrocarbures non-conventionnels, et a fortiori, tous les géants de l’industrie pétro-gazière qui s’y développent.

Bruno Le Maire sera-t-il cancre ou pionnier ? Sans cadre d’exclusion clair, robuste et contraignant, une grande partie de la Place financière française continuera de faire partie des soutiens financiers clés de l’industrie pétro-gazière et soutiendra ses velléités expansionnistes. Le gouvernement doit désormais créer le cadre réglementaire indispensable pour organiser et accélérer la fin des soutiens de la Place financière française aux énergies fossiles : il est impératif que toutes les banques, tous les investisseurs et tous les assureurs cessent sans plus tarder de soutenir l’expansion pétrolière et gazière, et s’engagent dans la sortie des énergies fossiles non-conventionnelles d’ici 2030.

Alors que les engagements en faveur de la neutralité carbone d’ici 2050 se multiplient, le Climate Finance Day 2021 va permettre de tester leur crédibilité et faire le tri entre les acteurs financiers véritablement engagés et alignés avec les impératifs scientifiques, et ceux qui préfèrent continuer d’alimenter la crise climatique.

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