Répondre au défi climatique nécessite de décarboner l’intégralité des flux financiers, le mot clé étant “intégralité”. Alors qu’il n’a pas encore trouvé de solution ni ne s’est doté des outils nécessaires pour décarboner ses ETF, Amundi, filiale du Crédit Agricole, poursuit une stratégie offensive visant à augmenter sa gestion passive. Au 1er janvier 2022, les encours gérés non couverts par la politique charbon d’Amundi ont même bondi de 84% avec son rachat de Lyxor, très impliqué dans ce type de gestion. Dans le rapport « Amundi: enquête sur un géant de l’investissement« , nous dressions l’état des lieux de cette menace et identifions des pistes de solutions. Amundi a réagi en répondant à nos inquiétudes dans différents articles, allant jusqu’à affirmer son désaccord complet sur le fond des demandes formulées. Nous lui répondons à notre tour.

Un peu d’ESG ne remplace pas une exclusion totale du charbon

Amundi met en avant ses fonds ESG pour répondre à la critique formulée sur sa gestion passive. Le rachat de Lyxor ne serait pas problématique pour le climat car les ETFs ESG de Lyxor appliqueront la politique charbon d’Amundi, et car Amundi aura 40% d’ETFs ESG en 2025.

  • Amundi tente de nous faire dire ce que nous ne disons pas. Jean-Jacques Barbéris, directeur en charge de l’ESG chez Amundi, déplace habilement le débat en mettant en avant le fait qu’Amundi applique un filtre ESG à une part plus importante de ses fonds gérés passivement que ne le faisait Lyxor. Le Directeur entend ainsi faire paraître le rachat de Lyxor par Amundi comme un progrès. Sauf que Jean-Jacques Barbéris n’est pas sans ignorer que 60% des fonds reçus de Lyxor échapperont à cette approche ESG et que notre rapport souligne l’incohérence de poursuivre une stratégie de croissance dans la gestion passive sans avoir de plan pour faire grimper ce taux à 100%.
  • Amundi exclut les entreprises du secteur du charbon de tous ses fonds gérés “activement” et des fonds ESG gérés passivement. Mais la grande majorité des actifs gérés passivement par Amundi ne sont actuellement couverts par aucune restriction liée au charbon (les 60 % environ d’actifs qui ne sont pas “ESG”).
  • S’engager à augmenter le nombre de fonds ESG et à y appliquer les exclusions charbon ne garantit en rien que les actifs « non ESG » diminueront en montant absolu, ou qu’aucun nouvel investissement ne sera réalisé dans des développeurs de charbon.
  • Amundi gère 80 milliards d’euros d’actifs d' »investissement responsable » sur les 282 milliards d’euros qu’elle gère actuellement de manière passive. Cela signifie que 202 milliards d’euros peuvent encore être investis dans des développeurs de charbon. Et en 2025, cela signifiera que plus de 252 milliards d’euros seront dans ce cas.

Amundi vote pour l’expansion du charbon

Amundi met en avant ses bonnes pratiques de vote et défend un engagement progressif pour accompagner les entreprises qui progressent. L’exemple de Glencore, entreprise exclue des fonds actifs mais toujours présente dans les fonds passifs, est mis en avant par Amundi :

  • Jean-Jacques Barbéris, directeur en charge de l’ESG chez Amundi, déclare : Nous estimons que le fait qu’une société comme Glencore présente une stratégie climatique va dans le bon sens […]. En particulier parce que le groupe a présenté des plans de fermeture de mines et non pas de cessions; cela est essentiel pour réussir la transition. Le groupe a également pris des engagements de réductions des émissions de scopes 1, 2 et 3, ce qui n’est pas le cas des autres acteurs du secteur. »
  • Or, il n’est pas sans savoir que si Glencore entend en effet fermer quelques mines dans les années à venir, il ne s’agit pas d’une prouesse puisque ces mines arriveront en fin de vie, avec des réserves épuisées. Glencore entend appliquer la même approche à ses autres mines (1), ce qui entraînera une exploitation jusqu’à 2050, bien après les dates de sortie de 2030 pour les pays de l’OCDE, et 2040 pour les autres exigées par la science et par Amundi dans sa propre politique. Glencore poursuit en vérité une stratégie d’expansion, a récemment acheté les parts de BHP et Anglo-American dans leur mine controversée de Colombie (2), et prévoit une augmentation de 45 millions de tonnes/an de sa production de charbon à travers 9 projets (3).
  • Quant à ses objectifs de réduction des émissions, Glencore n’a aucun objectif de court terme et son objectif à moyen terme n’est pas aligné sur 1,5°C (4). Seul le recours à une méthodologie biaisée permet de montrer que Glencore finira par être aligné sur le long terme (5).
  • Enfin, Jean-Jacques Barbéris met en avant qu’Amundi a bien voté contre un des membres du board, mais omet de mentionner son soutien au renouvellement du mandat de six autres membres et ne peut ignorer la faiblesse de ce vote négatif face à celui en faveur de l’adoption d’un plan climat (6) qui fait la part belle à l’expansion du charbon.

Amundi soutient l’expansion pétro-gazière au nom de la transition

Amundi affirme ne pas vouloir cesser de soutenir les entreprises du secteur énergétique pour les aider dans leur transition. Il met en avant sa politique d’engagement du secteur ainsi que sa politique sur les énergies fossiles non conventionnelles :

  • Comme le reconnaît Amundi, sa propre politique charbon a été élaborée en “prenant en compte les scénarios conçus par le Sustainable Development Scenario de l’AIE, Climate Analytics Report et Science-Based Targets ». Dans cette logique, Amundi a décidé d’exclure en 2020 toute entreprise développant ou prévoyant de développer de nouvelles capacités de charbon thermique. Amundi doit maintenant reconnaître ce que disent les scénarios les plus récents et alignés avec son propre engagement à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, suivant une trajectoire 1,5°C. Ces scénarios stipulent l’exigence de ne plus soutenir l’expansion de la production pétro-gazière.
  • Au-delà des mesures sur le charbon, le scénario NZE de l’AIE prévoit de ne plus développer de nouveaux projets de production pétrolière et gazière (hormis ceux qui ont obtenu leur FID au plus tard fin 2021) et de renoncer à l’extrême majorité des projets de GNL. Les prévisions sur la décarbonation de l’électricité rendent aussi très risquées le soutien à des nouveaux projets de centrales à gaz. Or, Amundi ne fait pas de l’arrêt de l’expansion un critère de sa politique récemment annoncée sur le pétrole et le gaz non conventionnels, laquelle autorise des investissements dans des entreprises responsables de 75% de tous les plans d’expansion de la production pétro-gazière. Sa stratégie d’engagement très vague ne présente ni les demandes faites aux entreprises du secteur, ni les délais pour les appliquer.
  • Amundi se retrouve ainsi face à une embarrassante contradiction : il annonce vouloir soutenir les entreprises pour qu’elles disposent “des capex nécessaires pour mener la transition« , mais ne met pas en place les mécanismes nécessaires pour stopper l’allocation de capex à l’expansion fossile.

Notes :

  1. Le plan climat de Glencore indique : « 

    tant qu’il y aura une demande de charbon, et qu’il sera économique de le faire, nous continuerons à exploiter nos mines jusqu’à ce qu’elles arrivent en fin de vie

    . »

  2. https://www.lefigaro.fr/flash-eco/glencore-rachete-les-parts-de-bhp-et-anglo-american-dans-une-mine-de-charbon-en-colombie-20210628

  3. Source : Global Coal Exit List (coalexit.org).
  4. Source : sous-critères 3.3 du CA100+ Net Zero Company Benchmark.
  5. https://reclaimfinance.org/site/en/2021/12/06/the-tpi-benchmark-misleading-approach-dangerous-conclusion/
  6. Amundi a voté en faveur de la proposition 14 proposée par le management de Glencore en 2021 (“Approve Company’s Climate Action Transition Plan”).