Communiqué de presse

Paris, le 20 avril 2022 – Reclaim Finance et trois ONG partenaires publient aujourd’hui un classement de 30 grands gestionnaires d’actifs et de leurs engagements climatiques (1), notamment au regard du secteur des énergies fossiles (2). L’analyse fournit des données inédites sur leurs investissements dans les entreprises avec les plans d’expansion les plus massifs dans les énergies fossiles (3). Sur les 30 gestionnaires d’actifs évalués, 25 sont membres de la Net Zero Asset Manager Initiative (NZAM). Pourtant, pas un seul d’entre eux n’exige des entreprises de leur portefeuille qu’elles cessent de développer de nouveaux projets de charbon, de pétrole ou de gaz pour se conformer à la science climatique. Les ONG appellent les gestionnaires d’actifs à sanctionner ces expansionnistes dès la saison des Assemblées générales.

Des investissements massifs face à des actions minimes

Les 30 gestionnaires d’actifs évalués détiennent plus de 82 milliards de dollars dans des entreprises développant de nouveaux projets de charbon. Les chiffres sont encore plus inquiétants pour l’industrie pétro-gazière : ensemble, ils détiennent 468 milliards de dollars dans 12 grandes entreprises pétrolières et gazières développant des nouveaux projets de production de façon massive (4).

Le rapport constate que leurs politiques d’investissement laissent la porte ouverte aux pires pollueurs et ne permettent pas aux gestionnaires d’actifs d’aligner leurs portefeuilles sur un objectif net zéro.

  • 17 gestionnaires d’actifs ont désormais une politique sur le secteur du charbon (5) et 12 ont une politique sur le pétrole et le gaz. Parmi ceux sans politique figurent les géants Vanguard, State Street Global Advisors et PIMCO, branche de gestion d’actifs d’Allianz.
  • Parmi les gestionnaires d’actifs ayant une politique, sept seulement restreignent leurs investissements dans les entreprises développant de nouveaux projets de charbon (6), un nombre inchangé depuis l’année dernière. Par ailleurs, aucun ne restreint les investissements dans les entreprises développant de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz (7), y compris en France où AXA IM, Amundi et BNP AM investissent encore sans conditions dans de nombreuses entreprises développant de tels projets (8).
  • De plus en plus de politiques introduisent des exceptions aux critères d’exclusion. Parmi les sept gestionnaires d’actifs cités ci-dessus, trois prévoient d’introduire des exceptions vaguement définies (9).

Plus inquiétant encore, le rapport révèle une tendance croissante d’engagements qui ne s’appliquent qu’à une petite partie des actifs sous gestion.

  • Aucun des gestionnaires d’actifs n’a de politique d’exclusion des énergies fossiles pour ses fonds gérés de manière « passive », ce qui est particulièrement inquiétant si l’on considère que la gestion « passive » ne cesse de croître et représente 46 % des actifs couverts par le rapport. Les neuf plus gros investisseurs « passifs » au sein de notre échantillon de 30, parmi lesquels Amundi, la filiale du Crédit Agricole, font également partie des plus grands soutiens aux développeurs de charbon (10).
  • Dix gestionnaires d’actifs ont publié des cibles de décarbonation pour 2030, mais bien souvent ne couvrant qu’une petite part de leurs portefeuilles (11).

Ces résultats profondément décevants sont publiés un jour avant le premier anniversaire de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ). Les résultats témoignent du manque d’efficacité de l’alliance, des membres éminents tels que Vanguard, Credit Suisse et PIMCO étant identifiés parmi les principaux retardataires.

Lara Cuvelier, chargée de campagne chez Reclaim Finance : « A ceux qui se demandent si le secteur de la gestion d’actifs a changé sa manière d’investir en fonction de la science climatique et de la nécessité de mettre fin à l’expansion des énergies fossiles, la réponse est un « non » catégorique. Les plus gros gestionnaires d’actifs tournent autour du pot sans demander aux entreprises d’arrêter d’aggraver la situation. Soyons clairs : forer un nouveau puits de pétrole ou ouvrir une nouvelle mine de charbon n’est pas une chose normale à faire en situation de catastrophe climatique. BlackRock incarne le mieux l’hypocrisie du secteur : tout en s’étant engagé à réduire ses émissions, il continue d’investir dans des entreprises comme Glencore, qui a des plans d’expansion massifs dans le charbon. »

Engager ou désinvestir : un faux débat ?

Le rapport examine les demandes concrètes faites par les gestionnaires d’actifs aux entreprises fossiles. Bien que les gestionnaires d’actifs soient très éloquents quant aux vertus de leurs activités d’engagement pour le climat (12), le dialogue largement non structuré et imprécis qu’ils entretiennent avec les entreprises n’a pas permis d’empêcher le développement de nouveaux gisements de pétrole et de gaz.

  • 25 gestionnaires d’actifs déclarent qu’ils engagent les entreprises pour qu’elles s’améliorent sur les questions liées au climat, mais aucun n’appelle à une diminution de la production globale d’énergies fossiles des entreprises ou à l’arrêt de tous les nouveaux projets de production.
  • Aucun des 30 gestionnaires d’actifs n’a publié de demandes claires et complètes, tandis que seuls huit demandent publiquement aux entreprises d’adopter des objectifs de réduction des émissions à court terme (13).
  • L’absence de demandes précises, assorties de sanctions crédibles, rend les activités d’engagement le plus souvent inefficaces. Les six majors européennes du pétrole et du gaz, qui prétendent être les meilleures de leur secteur en termes de transition de leur activité, en sont un exemple. Le rapport décrit leurs plans d’expansion massifs et leur décalage par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris, illustrant l’échec de l’engagement des investisseurs à leur égard. BP et TotalEnergies, par exemple, auront épuisé tout leur budget carbone restant pour suivre une trajectoire de réchauffement de 1,5°C d’ici 2035.

Lara Cuvelier, chargée de campagne à Reclaim Finance, a déclaré : « Cela confirme que le débat « désinvestir vs engager » est un leurre. Les gestionnaires d’actifs n’engagent pas les entreprises sur les questions climatiques clés pour limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Il est également frappant de constater qu’ils envoient en fait le signal inverse, puisqu’ils continuent d’acheter de la dette aux entreprises responsables des pires projets d’énergies fossiles. Les gestionnaires d’actifs qui fournissent de l’argent frais à des entreprises qui ignorent la science climatique jettent purement et simplement de l’huile sur le feu. »

Le rapport appelle les gestionnaires d’actifs à adopter enfin des politiques d’exclusion et d’engagement pour lutter contre l’expansion fossile. En pratique, cela signifie demander aux entreprises de renoncer à leurs projets d’expansion, suspendre tout nouvel investissement tant que cette demande n’est pas satisfaite et prendre les mesures qui s’imposent à l’égard de celles qui n’y répondent pas. Au-delà de voter contre les résolutions de leur management, incluant les “Say on Climate” (14), ils doivent être prêts à désinvestir après un court délai.

Notes :

1) Le rapport est intitulé « The asset managers fueling climate chaos » et est soutenu par les ONG urgewald, ReCommon et The Sunrise Project. Vous pouvez lire le rapport complet ici.

(2) La première édition de ce classement a été publiée en avril 2021. Elle se concentrait sur le charbon, le secteur qui nécessite la sortie la plus urgente. Un an après que l’Agence internationale de l’énergie a clairement indiqué que l’atteinte d’un objectif « net zero » signifiait également l’absence de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz, cette deuxième édition se penche également sur le secteur du pétrole et du gaz.

(3) Selon les bases de données publiques Global Coal Exit List (GCEL) et Global Oil & Gas Exit List (GOGEL) qui identifient les entreprises opérant sur l’ensemble de la chaîne de valeur du charbon, du pétrole et du gaz, y compris les plus grands expansionnistes des énergies fossiles (c’est-à-dire les entreprises qui continuent d’explorer et de développer de nouvelles réserves, de construire de nouveaux oléoducs et gazoducs, ou de construire de nouvelles usines de charbon).

(4) 12 grandes majors pétrolières et gazières qui figurent parmi les plus grands développeurs à court terme de pétrole et du gaz, selon la GOGEL. Ces entreprises sont : TotalEnergies, Eni, Equinor, BP, Shell, Repsol, Exxon, Chevron, Gazprom, Saudi Aramco, Petrobras et ConocoPhillips. Leurs plans d’expansion à court terme combinés s’élèvent à 68761 millions de MMboe.

(5) 13 avaient une politique charbon au moment de la publication de la 1ère édition de ce classement (avril 2021).

(6) Ceci intervient deux semaines seulement après la publication du rapport du GIEC et l’appel du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour que les investisseurs ayant des engagements nets zéro adoptent  » des plans complets, sans exceptions ni lacunes, et avec des actions  » pour éliminer progressivement le charbon.

(7) Ostrum a une politique qui exclut indirectement les entreprises dont les plans d’expansion représentent au moins 50 % de toutes les ressources en cours de développement (selon la GOGEL).

(8) Les politiques de ces gestionnaires d’actifs sont analysées en détail dans le Oil and Gas Policy Tracker (https://oilgaspolicytracker.org/).

(9) Les politiques de Generali Insurance Asset Management et d’Aegon AM introduisent des exceptions non définies à leurs critères sur l’expansion du charbon. Pour M&G Investments, si les exceptions sont mieux définies, le calendrier d’exclusion est trop tardif (le désinvestissement « commencera à partir de mars 2024 pour les émetteurs hors UE/OCDE »).

(10) Par exemple, le plus grand gestionnaire d’actifs européen, Amundi, a une politique robuste de sortie du charbon pour sa gestion active, mais n’applique cette politique qu’à moins de 40 % de ses actifs gérés « passivement ».

(11) Un seul gestionnaire d’actifs (AXA IM) est sur le point de publier des cibles de décarbonation qui couvriront 100 % de ses actifs éligibles. Néanmoins, comme pour de nombreux autres gestionnaires d’actifs, les cibles ne couvriront que les émissions de scope 1 et 2, ce qui souligne l’importance de les combiner avec des politiques ciblées sur les secteurs à forte intensité carbone.

(12) On observe une tendance croissante au sein de la communauté des investisseurs à condamner l’exclusion et le désinvestissement comme des outils à la fois irréalistes et inefficaces pour décarboniser l’économie, de nombreux investisseurs privilégiant l’approche « rester plutôt que vendre » pour influencer les entreprises. Le rapport défend le point de vue selon lequel opposer l’engagement et l’exclusion comme des pratiques diamétralement opposées est au mieux une erreur et au pire une stratégie délibérée pour éviter l’exclusion, en particulier compte tenu de la faiblesse des activités d’engagement des entreprises évaluées.

(13) Seuls deux gestionnaires d’actifs, LGIM et Schroders, associent clairement cette demande à un délai de mise en conformité et à un processus d’escalade. Alors que sept d’entre eux mentionnent les sanctions par le vote comme une possibilité pour les entreprises ne respectant pas cette demande, aucun ne décrit un vote systématique contre l’ensemble des administrateurs.

(14) Plusieurs entreprises vont consulter leurs actionnaires sur leur plan climat cette année, dont 5 des 6 grandes entreprises pétro-gazières européennes. Parmi elles, TotalEnergies (plus de détails sur la faiblesse de son plan climat ici), qui fait également face à deux résolutions climatiques de la part de ses investisseurs.

Contacts :

  • Anaïs Lehnert, Responsable de la communication, +33 (0)6 70 08 58 98  
  • Lara Cuvelier, Chargée de campagne Investissements durables, +33 (0)6 68 45 18 93