L’incohérence des groupes d’assurance face à l’expansion fossile

Les grands assureurs européens Allianz, Aviva, AXA et Generali, se sont engagés depuis plusieurs années à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 dans leurs portefeuilles d’assurance et d’investissements en tant que membres de la Net Zero Insurance Alliance (NZIA) et de la Net Zero Asset Owner Alliance (NZAOA) (1). Alors que ces groupes d’assurance sont engagés à ne plus assurer de nouveaux champs pétroliers et gaziers, ils continuent pourtant d’investir, en tant que détenteur d’actifs et par l’intermédiaire de leurs filiales de gestion d’actifs, dans les entreprises qui les développent. A travers l’achat de nouvelles obligations, ces assureurs et leurs filiales continuent de fournir de l’argent frais nécessaire aux plans d’expansion des plus grands développeurs pétro-gaziers. En tant qu’actionnaires, ils approuvent également leur faux plan climat ainsi que le renouvellement et la rémunération des dirigeants pourtant responsables de ces stratégies climaticides

Alors que ces 4 grands groupes d’assurance ont tous un engagement de neutralité carbone applicable à l’ensemble des activités de leur groupe, Reclaim Finance pointe du doigt l’incohérence entre les politiques pétrole et gaz applicables à leurs activités de souscription, d’investissements et de gestion d’actifs censées toutes permettre l’atteinte de la neutralité carbone à 2050.

Stopper l’expansion pétro-gazière pour atteindre la neutralité carbone

Déboursant plus de 100 milliards par an depuis 4 ans face aux catastrophes climatiques (2), les assureurs connaissent les causes et les conséquences d’une planète qui se réchauffe. Ils connaissent également les mesures d’urgence à mettre en œuvre pour ne pas aggraver la situation : dans son scénario de neutralité carbone (Net Zero Emissions by 2050 ou NZE)(3), l’Agence internationale de l’énergie (AIE) projette notamment l’arrêt du développement de nouveaux champs de pétrole et gaz approuvé après 2021. Sur la base de ces projections, Allianz, Aviva, AXA et Generali ont notamment pris un à un l’engagement de ne plus fournir de capacité d’assurance pour de nouveaux champs de pétrole et de gaz (4).

Défendre une transition sans expansion fossile

Certains assureurs comme AXA disent favoriser le dialogue avec certaines entreprises afin qu’elles se transforment sans pour autant fixer des lignes rouges à leurs clients assurés développant de nouvelles ressources pétro-gazières. Pire encore, AXA adopte une position à rebours de la science climatique en indiquant qu’il continuera d’assurer de nouveaux champs pétroliers et gaziers développés par des entreprises dites “en transition” alors que la transition implique au contraire un arrêt du développement de tels projets.

En 2019, le groupe AXA, lors du renforcement de sa politique charbon, ne faisait pourtant pas preuve d’une telle incohérence : “la nouvelle stratégie climatique d’AXA s’inscrit dans une approche globale, qui exclut non seulement les investissements et souscriptions dans le charbon” (5). AXA s’était alors engagé à réduire à zéro l’exposition de ses portefeuilles d’assurance et d’investissements au charbon d’ici 2030 dans les pays de l’Union européenne (UE) et de l’OCDE et d’ici 2040 dans le reste du monde.

Cette approche globale sur le charbon, à la fois pour les activités d’assurance et d’investissement, n’est toujours pas retenue par AXA et les autres grands assureurs lorsqu’il s’agit de l’expansion pétro-gazière.

Ne plus assurer l’expansion pétro-gazière…et ne plus y investir le moindre centime

Ne plus assurer de nouveaux champs pétroliers et gaziers est un pas dans la bonne direction pris par ces grands groupes d’assurance face à l’expansion pétro-gazière. Une direction qui n’a pourtant pas été prise dans les portefeuilles d’investissements. En effet, Allianz, Aviva, AXA, et Generali se donnent toujours la possibilité de réaliser de nouveaux investissements dans des entreprises développant de nouveaux champs pétroliers et gaziers, alors même qu’ils refusent de les assurer pour des raisons climatiques. Une telle incohérence s’observe également chez leurs filiales de gestion d’actifs Allianz Global Investors (AGI), Aviva Investors, AXA Investment Managers (AXA IM), Generali Investments et PIMCO (6). Elles continuent d’investir, à la fois les primes collectées par leur groupe d’assurance et l’argent pour compte de tiers, dans de nouvelles obligations des champions de l’expansion pétro-gazière tels que TotalEnergies, BP ou Eni (7). Les filiales de gestion d’actifs d’Allianz ont par exemple été impliquées dans l’achat d’obligations de BP et Eni en mai 2023 (8).

Ces assureurs doivent donc s’engager à ne plus investir dans les entreprises du secteur développant de nouveaux projets pétro-gaziers upstream et midstream incompatibles avec une trajectoire 1.5°C. En parallèle, ils doivent exiger un engagement identique de leurs filiales de gestion d’actifs garantissant un alignement de l’ensemble des activités du groupe avec l’engagement de neutralité carbone à 2050.

L’incohérence illustrée par l’engagement et le vote

L’incohérence du discours des assureurs sur l’expansion fossile se retrouve dans les votes de leurs filiales de gestion d’actifs en assemblée générale. En 2023, elles ont majoritairement soutenu les plans climat des développeurs fossiles malgré leur incompatibilité avec un scénario 1,5°C. Allianz Global Investors et Aviva Investors ont voté en faveur des résolutions Say on Climate (9) de TotalEnergies et Shell, validant ainsi les stratégies des ces entreprises qui développent encore de nouveaux projets pétro-gaziers.

TotalEnergies Shell
Allianz Global Investors Pour Pour
Aviva Investors Pour Pour
Axa Investment Managers Pour Contre
Generali Insurance Asset Management Abstention Non publié

Tableau 1 – Votes des filiales de gestion d’actifs des grands assureurs européens aux Say on Climate 2023 de TotalEnergies et Shell

Au-delà des votes spécifiques au climat, ces gestionnaires d’actifs ont continué d’apporter leur soutien massif à la stratégie globale des développeurs fossiles à travers des votes stratégiques (réélection des administrateurs, approbation de la rémunération, approbation des comptes financiers, versement des dividendes) au lieu de les utiliser systématiquement pour s’opposer à des plans climat insuffisants (10). En approuvant le versement de dividendes élevés, les investisseurs privilégient la rémunération du capital au financement de la transition, dans un contexte de besoins financiers importants pour massifier les énergies soutenables et développer les technologies visant à réduire les émissions des infrastructures existantes. De la même façon, en soutenant la réélection des administrateurs et la rémunération des dirigeants, ils se font complices de ces choix d’allocation d’actifs et de la stratégie d’expansion fossile de ces entreprises.

Graphique 2 – Votes de soutien des filiales de gestion d’actifs des grands assureurs européens aux résolutions stratégiques de routine aux assemblées générales 2023 de 75 développeurs fossiles (11)

Alors que les assemblées générales des principales compagnies pétro-gazières vont débuter, les groupes d’assurance doivent impérativement adopter une politique pétrole et gaz cohérente au niveau groupe en commençant par suspendre l’achat de nouvelles obligations des développeurs fossiles ne démontrant pas une réelle volonté d’alignement avec un scénario 1.5°C. Ils doivent exiger un engagement similaire de leur filiale de gestion d’actifs ainsi que des pratiques de votes à la hauteur de leurs engagements de neutralité carbone. 

Notes :

  1. Allianz, Aviva, AXA et Generali sont tous les quatre membres fondateurs de la NZIA. Allianz et AXA ont quitté cette alliance en mai 2023 sans pour autant renoncer à leurs engagements. Allianz est membre fondateur de la NZAOA ensuite rejoint par d’autres membres dont Aviva, AXA et Generali.
  2. Reinsurance News, Swiss Re predicts over $100 billion in nat cat losses for 2023, 2023.
  3. Agence Internationale de l’Energie (AIE), World Energy Outlook 2023, 2023.
  4. Plus d’informations sur la comparaison des engagements climatiques d’Allianz, Aviva, AXA et Generali dans l’Insurance Scorecard 2023.
  5. AXA, AXA s’engage à éliminer progressivement le charbon, 2019
  6. A elles 5, ces filiales de gestion d’actifs représentent plus de €3700 milliards d’encours sous gestion : Allianz Global Investors (AGI, 516 milliards d’euros d’actifs sous gestion), Aviva Investors (251 milliards d’euros d’actifs sous gestion), AXA Investment Managers (AXA IM, 842 milliards d’euros d’actifs sous gestion), Generali Investments (491 milliards d’euros d’actifs sous gestion) et PIMCO (filiale du groupe Allianz, 1 685 milliards d’euros d’actifs sous gestion)
  7. TotalEnergies, BP et Eni font partie des entreprises du secteur pétrole et gaz aux plus importants plans de développement de nouvelles ressources pétro-gazières. Selon la base de données Global Oil and Gas Exit List, elles arrivent respectivement en 6ème, 16ème et 19ème position à l’échelle mondiale.
  8. D’après les données de Bloomberg.
  9. Une résolution Say on Climate est un vote organisé par une entreprise demandant l’approbation de son plan climat ou de sa mise en œuvre par ses actionnaires.
  10. Pour plus d’informations sur les votes de ces gestionnaires d’actifs, vous pouvez consulter notre rapport complet sur les votes climatiques 2023. A noter que même dans le cas de votes d’opposition, il est difficile de savoir si ces votes sont motivés par des enjeux climatiques à cause de l’absence de justifications.
  11. Les données publiées par Generali Insurance Asset Management et PIMCO sont trop partielles pour être analysées pour toutes les catégories de résolution. Cela peut s’expliquer par un manque de transparence ou l’absence d’actionnariat dans les entreprises étudiées.

lire aussi

2024-04-03T09:52:25+02:00