Le Climate Finance Day laisse place aux Rencontres de l’Institut de la Finance Durable (IFD). Mais certaines choses ne changent pas. La Fédération bancaire française (FBF) a, comme à son habitude, saisi l’occasion de cet événement de la place financière de Paris pour faire le point sur l’action climatique de ses membres. L’objectif est clair : démontrer, chiffres à l’appui, l’engagement des banques françaises pour la transition écologique et même leur leadership en la matière. Le choix des métriques n’étant jamais neutre, Reclaim Finance vous en offre une contre analyse.
La Fédération bancaire française (FBF) vient de publier les chiffres 2023 de la contribution des banques françaises à la transition écologique (1). Pas peu fière de constater une baisse d’exposition dans les hydrocarbures à 66 Mds€ en 2023 représentant 1,6 % des financements (contre 78 Mds€ en 2022, soit – 16 %) (2), la FBF met surtout en avant l’accélération des financements à la transition écologique dans l’ensemble de l’économie (337 Mds€ en 2023, contre 216 Mds€ en 2022, soit + 50 %). Parmi ces crédits “verts et durables” se trouvent 73 Mds€ destinés au financement de projets d’énergies renouvelables (contre 51 Mds€ en 2022, soit + 42 %).
Les banques françaises “pionnières de la sortie des énergies fossiles” ?
Le rôle leader des banques françaises dans la sortie du charbon est connu et reconnu. Mais parler de sortie du pétrole et du gaz est au mieux anticipé, au pire, mensonger. À ce jour, à l’exception de La Banque Postale (3), aucune banque française ne s’est engagée à sortir à terme du pétrole et du gaz (4).
De plus, si les autres banques ont adopté diverses cibles de baisses d’exposition (BNP Paribas et Société Générale) (5) ou des émissions financées liées au secteur pétrolier et gazier (6), seuls La Banque Postale et Crédit Mutuel Arkéa ont renoncé au financement de l’expansion du secteur. En effet, toutes les autres banques peuvent encore financer de nouveaux terminaux d’exportation ou d’importation de gaz naturel liquéfié (GNL) et surtout accorder des financements aux entreprises développant de nouveaux projets d’extraction ou de transformation et transport d’énergies fossiles.
C’est bien là que le bât blesse. Bien que l’on puisse se réjouir de la baisse du poids des énergies fossiles dans le bilan des banques, leurs soutiens à l’expansion pétro-gazière les maintiennent loin de l’objectif de limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C.
Exemple emblématique : Le groupe BPCE appartenant aux Banques Populaires et Caisses d’Epargne a beau avoir une cible de baisse de 70 % de ses émissions financées liées au secteur pétro-gazier à horizon 2030, sa filiale Natixis CIB a aidé ce mois-ci TotalEnergies à lever 4,25 milliards de dollars sur le marché obligataire. Autre exemple illustratif : BNP Paribas a beau avoir un objectif de réduire à 10 % le poids des énergies fossiles dans ses expositions de crédits à la production d’énergies à horizon 2030 (7), cela ne lui a pas empêché début 2024 de participer à un prêt de 3 milliards de dollars à Eni (8).
A noter par ailleurs que la FBF ne pousse pas l’effort de transparence en refusant de publier les chiffres ventilés entre chaque banque.
Les banques françaises “dans une dynamique exemplaire” en matière de financement des énergies renouvelables ?
“Transition écologique”, “énergies renouvelables” ou “sources non-fossiles” d’une part, “prêts verts”, “prêts à impact”, “obligations vertes”, “sociales” ou “à impact” d’autre part, la FBF mélange les concepts, les produits et les services. En résulte des comparaisons floues sur des périmètres peu ou pas définis qui brouillent la communication autour de la contribution des banques au financement de la transition énergétique.
Si la hausse des encours pour les énergies renouvelables est bienvenue (73 Mds€ en 2023, +42 % par rapport à 2022), suffit-elle pour que les banques françaises prétendent être “leaders de la transition” ? Pas forcément. Car une transition rapide et juste du secteur énergétique compatible avec la limitation du réchauffement global à 1,5°C requiert que ces énergies renouvelables se déploient en remplacement des énergies fossiles, et non en superposition. Il est donc nécessaire de regarder les deux côtés de l’équation.
Cette année encore, Reclaim Finance s’est appuyée sur les chiffres publiés par les banques françaises pour comparer leur exposition aux énergies fossiles et leur exposition aux énergies renouvelables.
En 2023, le ratio de leur exposition était en moyenne de 1,66 pour 1 (voir tableau ci-dessous) : pour chaque euro d’exposition de crédit aux énergies fossiles, les banques étaient exposées en moyenne à 1,66€ de crédits aux énergies renouvelables (contre 0,94:1 en 2022 (9)). D’après les chiffres de la FBF, ce ratio serait de 1,07:1 pour 2023 (10). Là encore, si cette augmentation est positive, elle est loin de suffire à faire des banques françaises des leaders – les autres principales banques de l’Union européenne présentant un ratio moyen d’exposition de 1,85:1 (11).
D’après le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), limiter le réchauffement global à 1,5°C et atteindre la neutralité carbone du système énergétique requiert de multiplier les financements annuels aux alternatives aux énergies fossiles par un facteur 2,3. Les financements annuels au secteur de l’énergie doivent atteindre un ratio de 6:1 d’ici 2030 – pour chaque dollar alloué aux énergies fossiles, 6 dollars doivent être alloués aux alternatives à ces énergies fossiles ‘12).
Il est essentiel de noter que ce ratio doit couvrir tous les financements, directs et indirects, à toute la chaîne de valeur des énergies fossiles, et comptabiliser les flux et non les stocks (13). Bloomberg NEF a calculé un ratio moyen de 1,24:1 pour les banques françaises en 2022 (14), bien loin du chiffre communiqué par la FBF “pour chaque euro de financement fossile, cinq euros financent la transition”, sans aucune explication méthodologique.
S’engager sur un tel ratio nécessite que les banques projettent une hausse substantielle de leurs financements aux énergies renouvelables, et ce jusqu’à l’horizon 2030. Pourtant, les banques françaises semblent dans une dynamique différente : Société Générale n’a toujours pas renouvelé sa cible de financement aux énergies renouvelables arrivée à échéance en 2023 et celle de BPCE arrive à échéance cette année. De son côté, BNP Paribas voit son exposition aux énergies renouvelables diminuer en 2023. La voie est clairement tracée, charge aux banques de s’y engager de manière crédible.
En millions d’euros | BNP Paribas | Crédit Agricole | Société Générale | BPCE | Crédit Mutuel | La Banque Postale | Exposition totale et ratio moyen*** |
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Exposition aux énergies fossiles* | 13 004 | 9 374 | 10 981 | 3 464 | 482 | 331 | 37 636 |
Exposition aux énergies renouvelables** | 13 768 | 20 326 | 14 031 | 10 534 | 2 446 | 1 432 | 62 537 |
Ratio “renouvelables : fossiles” | 1,06 | 2,17 | 1,28 | 3,04 | 5,07 | 4,33 | 1,66 |
Source : calcul de Reclaim Finance à partir des informations fournies par les Documents d’enregistrement universel 2023 des banques et qui fait la somme des expositions aux activités suivantes :
* Extraction de houille et de lignite (B.05) ; extraction d’hydrocarbures (B.06) ; cokéfaction et raffinage (C.19) ; entreprises exclues des indices de référence “Accord de Paris” de l’Union Européenne pour la production et distribution de combustibles gazeux (D35.2), pour les services de soutien aux industries extractives (B.09) et pour les production, transport et distribution d’électricité (D35.1).
** Production, transport et distribution d’électricité (D35.1), sauf les entreprises exclues des indices de référence “Accord de Paris” de l’Union européenne pour ce même secteur.
*** L’exposition aux énergies renouvelables à fin-2023 rapportée par la FBF (73 Mds€) est supérieure à celle estimée par Reclaim Finance (62,5 Mds€). Cependant, l’exposition aux énergies fossiles rapportée par la FBF (68,2 Mds€) est également supérieure à celle estimée par Reclaim Finance (37,6 Mds€). Cette dernière est sous-évaluée et prudente parce qu’elle se limite aux principaux secteurs des énergies fossiles. Sur la base des chiffres de la FBF, le ratio moyen s’établirait donc à 1,07:1, encore moins bon que celui estimé par Reclaim Finance (1,66:1).