Selon les derniers chiffres publiés par la Fédération bancaire française (FBF) sur le financement du secteur énergétique par les banques françaises (1), ces dernières seraient “leaders du financement de la transition écologique”. Malgré un doublement des encours de “crédits verts et durables” à la définition floue, elles sont encore très loin de financer la transition énergétique au rythme et dans les proportions dressés par l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Par ailleurs, elles continuent de soutenir l’expansion fossile, en particulier Crédit Agricole et BPCE qui sont en retard par rapport à BNP Paribas et Société Générale sur le financement de projets pétroliers et gaziers.
Comme à son habitude, la FBF se saisit de la COP pour vanter l’action des banques françaises en matière climatique à travers sa communication annuelle sur leur exposition aux énergies fossiles, leurs financements des énergies renouvelables, leurs encours “durables” et le rappel de leurs engagements climatiques. (1) Selon Nicolas Namias, Président de la FBF et de BPCE, les banques françaises seraient “résolument engagées dans la lutte contre le changement climatique”. Mais le sont-elles vraiment ?
Les banques françaises alimentent toujours l’expansion des énergies fossiles
Selon la FBF (1), en décembre 2022, les banques françaises étaient toujours exposées à hauteur de 2,3 milliards d’euros au secteur du charbon et 78 milliards d’euros aux hydrocarbures (- 24 % par rapport à 2017). Une exposition bien supérieure à celle affichée l’an dernier (23 Mds€) du fait d’un changement de méthode de calcul et de source de données à la demande de l’ACPR, et qui se rapproche des chiffres des ONG (2) – que la FBF avait pourtant jugé “fantaisistes”. (3)
De plus, contrairement au rapport de l’an dernier (4), ces chiffres ne disent rien de leur participation aux opérations d’émission d’obligations alors que ce service financier participe pleinement au financement des entreprises du secteur (5). Ils ne disent rien non plus ni de la responsabilité historique des banques françaises au financement des énergies fossiles à hauteur de 406 milliars de dollars entre 2016 et 2022 (6), ni de leur contribution actuelle et future à l’expansion pétrolière et gazière pourtant incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C (7), notamment par leur rôle majeur dans le financement des bombes carbones. (8)
A ce jour, les engagements pris par les principales banques françaises en matière de financement des énergies fossiles restent encore bien trop insuffisants pour prétendre être “au service de la transition écologique”. Une insuffisance que la FBF a préféré masquer puisque contrairement à l’an dernier, le récapitulatif des engagements des banques n’a pas été communiqué. Reclaim Finance en propose donc une synthèse :
- Le groupe BPCE est la toute dernière banque française à n’avoir pris aucun engagement pour limiter sa participation à l’expansion pétrolière et gazière, y compris en matière de financement dédié à des nouveaux projets. Par ailleurs, un des affiliés de sa filiale de gestion d’actifs Natixis IM reste fortement impliqué dans le secteur du charbon. (9)
- Crédit Agricole soutient activement la stratégie d’expansion des compagnies pétro-gazières et en particulier TotalEnergies, notamment en tant que conseiller financier du projet gazier Papua LNG. (10)
- BNP Paribas, qui s’est engagé en 2023 à ne plus financer de nouveaux projets d’exploration et d’exploitation de pétrole et de gaz alors qu’elle a été le quatrième plus gros financeur de l’expansion fossile au monde depuis la signature de l’Accord de Paris, se laisse toujours la liberté de financer inconditionnellement les entreprises qui les développent (à l’exception des indépendantes spécialisées). (11)
- Société Générale, qui a pris les devant en s’engageant en septembre 2023 à ne plus financer les projets pétroliers et gaziers – y compris les terminaux de GNL et pipeline associés, mais qui maintient son soutien actif au projet Mozambique LNG (12) et se permet toujours de financer les entreprises qui développent de nouveaux projets pétroliers et gaziers (à l’exception des indépendantes spécialisées). (13)
- Crédit Mutuel, qui a pris l’engagement de ne plus financer les entreprises qui ne voient pas leurs productions baisser dans les prochaines années, se laisse toujours la liberté de financer les développeurs de nouveaux projets. (14)
Par ailleurs, aucune des filiales d’assurance ou de gestion d’actifs de ces groupes bancaires n’a pris l’engagement de restreindre leurs investissements dans l’expansion. (15)
Un financement de la transition encore loin d’être au bon rythme
Selon la FBF, les banques françaises auraient “incité leurs clients à investir dans les crédits verts à hauteur de 216 milliards d’euros en 2022”, dont 51 milliards d’euros dans des projets d’énergie renouvelable (+ 22% par rapport à 2021). Bien que la progression soit encourageante, les banques sont encore très loin de la trajectoire dressée par le scénario “Net Zero Emissions by 2050” (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui vise la neutralité carbone à horizon 2050 et la limitation du réchauffement planétaire à 1,5°C. Un chemin et un objectif auxquels toutes les banques se réfèrent. (16)
Selon le scénario NZE de l’AIE, l’investissement annuel dans la transition énergétique devrait être multiplié par 2,5 d’ici 2030 par rapport à aujourd’hui. La réussite de cette transition rapide et juste impliquerait d’atteindre dès 2030 un ratio de financement de 6:1. C’est-à-dire que 6 euros devraient être alloués à l’électricité soutenable pour chaque euro alloué aux énergies fossiles.
Or, à ce stade, le ratio moyen de financement des banques françaises s’établit à 0,94:1 – voir 0,65:1 selon les chiffres de la FBF (voir tableau ci-dessous).
Bien que les banques françaises aient majoritairement adopté des cibles financières pour leur soutien futur à l’électricité soutenable, aucune parmi elles n’a encore mis en cohérence ces cibles avec le timing et l’ambition de ce ratio 6:1 d’ici 2030. (17)
Par ailleurs, la FBF évalue à 216 Mds€ les “crédits verts et durables”, sans donner de définition claire de ce que cela inclut. L’allusion faite au bon classement des banques françaises sur le marché des “prêts à impact” (Sustainability-linked loans), dont la crédibilité est fortement critiquée (18), laisse penser que le montant total affiché par la FBF ne présente aucun gage de qualité en termes de contribution réelle à la transition écologique.
Ainsi, il est bien prétentieux d’affirmer que les banques françaises sont “leaders de la transition énergétique”. Le chemin à parcourir est encore long pour se mettre au bon rythme de la transition.
Ratio d’exposition entre les énergies fossiles et les énergies renouvelables des banques françaises à fin-2022
En millions d’euros | BNP Paribas | Crédit Agricole | Société Générale | BPCE | Crédit Mutuel | La Banque Postale | Exposition totale et ratio moyen*** |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Exposition aux énergies fossiles* | 15 149 | 17 602 | 13 402 | 4 251 | 869 | 306 | 51 579 |
Exposition aux énergies renouvelables** | 15 818 | 10 328 | 10 158 | 9 356 | 2 333 | 717 | 48 710 |
Ratio “renouvelables : fossiles” | 1,04 : 1 | 0,59 : 1 | 0,76 : 1 | 2,2 : 1 | 2,68 : 1 | 2,34 : 1 | 0,94 : 1 |
Source : calcul de Reclaim Finance à partir des informations fournies par les Documents d’enregistrement universel 2022 des banques et qui fait la somme des expositions aux activités suivantes :
* Extraction de houille et de lignite (B.05) ; extraction d’hydrocarbures (B.06) ; cokéfaction et raffinage (C.19) ; entreprises exclues des indices de référence “Accord de Paris” de l’Union Européenne pour la production et distribution de combustibles gazeux (D35.2), pour les services de soutien aux industries extractives (B.09) et pour les production, transport et distribution d’électricité (D35.1).
** Production, transport et distribution d’électricité (D35.1), sauf les entreprises exclues des indices de référence “Accord de Paris” de l’Union européenne pour ce même secteur.
*** L’exposition aux énergies renouvelables à fin-2022 rapportée par la FBF (51 Mds€) est équivalente à celle estimée par Reclaim Finance (48,7 Mds€). En revanche, l’exposition aux énergies fossiles rapportée par la FBF (78 Mds€) est supérieure à celle estimée par Reclaim Finance (51,5 Mds€). Cette dernière est sous-évaluée et prudente parce qu’elle se limite aux principaux secteurs des énergies fossiles. Sur la base des chiffres de la FBF, le ratio moyen s’établirait donc à 0,65:1, encore moins bon que celui estimé par Reclaim Finance (0,94:1).