Qui sont les investisseurs derrière la dernière levée de capital de TotalEnergies ?

Suite à la dernière levée par TotalEnergies de US$4.25 milliards sur le marché obligataire en avril dernier, Reclaim Finance révèle les noms des investisseurs qui y ont participé. Parmi eux, se trouvent notamment les américains BlackRock et Vanguard et les français BNP Paribas et Crédit Agricole. En acceptant de prêter de l’argent à TotalEnergies sur du très long terme (jusqu’à 2064), ces investisseurs, en plus de permettre à la major de financer ses projets dévastateurs, parient activement contre la transition énergétique de nos sociétés, la stratégie actuelle de TotalEnergies ne lui permettant pas de suivre une trajectoire 1,5°C réaliste.

Première source de financement de TotalEnergies (1), les obligations sont des prêts émis sur les marchés financiers qui permettent à la major de financer ses activités, dont le développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers, à rebours des recommandations scientifiques pour limiter le réchauffement à 1.5°C. Ces transactions sont de plus en plus décriées (2), dans un contexte où certaines banques, notamment françaises, se sont engagées à ne plus financer directement les projets controversés de la major française tels que EACOP ou Papua LNG.

Les investisseurs présents lors de la dernière levée de capital de TotalEnergies

Cette émission de trois obligations, réalisée le 5 avril 2024, est la plus importante émission de la major depuis 2019. Réalisée avec l’aide de sept banques (3), dont le groupe français BPCE, elle aura permis à TotalEnergies de lever 4,25 milliards de dollars auprès d’investisseurs.

D’après des informations obtenues sur le terminal Bloomberg, au moins 80 investisseurs ont contribué à réunir le montant demandé, dont 3 investisseurs français, Crédit Agricole (notamment via sa filiale Amundi), BNP Paribas et BPCE Groupe/Natixis (4). Ce montant sera dédié “aux besoins généraux de l’entreprise” et pourra être utilisé par TotalEnergies comme l’entreprise le souhaite, y compris pour continuer à développer de nouveaux projets pétroliers et gaziers dans 53 pays, comme au Mozambique, en Papouasie Nouvelle Guinée ou encore en Afrique du Sud (5).

  • Au niveau mondial, les gestionnaires d’actifs ayant le plus investi sont Vanguard, BlackRock et Capital Group (plus de 394 millions de dollars à eux trois).
  • Au sein de l’Union Européenne, les soutiens de TotalEnergies sur cette opération sont les allemands Deutsche Bank et Union Investment, les français BPCE Groupe/Natixis, BNP Paribas et Crédit Agricole/Amundi et les néerlandais Aegon et Robeco.

Les gestionnaires d’actifs européens (UE) les plus impliqués dans la dernière obligation de TotalEnergies (millions de dollars investis) :

Gestionnaire d’actifs Pays Montant investi* dans les obligations émises en avril (mln $)
Deutsche Bank Allemagne 1,4
Union Investment Allemagne 1
Natixis France 0,6
Aegon Pays-Bas 0,5
BNP Paribas France 0,3
Crédit Agricole France 0,3
Robeco Pays-Bas 0,2

* Données au 19.07.2024. L’information obtenue sur le terminal Bloomberg ne nous permet pas d’avoir accès à l’entièreté des investissements réalisés. Nous n’avons accès qu’à environ 20% du montant levé par TotalEnergies, il est donc important de noter que les montants communiqués sont largement sous estimés.

Des investissements clés pour assurer à TotalEnergies des financements pour les décennies à venir

Les obligations représentent 70 % des sources de financement de TotalEnergies entre 2016 et 2023. Alors que les banques aident l’entreprise dans le processus d’émission d’obligations, ce sont les investisseurs qui les achètent, fournissant ainsi directement des capitaux frais à TotalEnergies. Dans un contexte d’urgence climatique, ces achats de nouvelles obligations sont un pied de nez à la nécessité de mettre fin au soutien à l’expansion fossile et de sanctionner les entreprises qui poursuivent des activités incompatibles avec la limitation du réchauffement à 1.5°C. TotalEnergies entre dans cette catégorie, en étant même la première entreprise privée à développer le plus de nouveaux projets de production de pétrole et de gaz dans le monde. Tout investisseur épinglé dans cette transaction participe donc à l’aggravation de la crise climatique.

Pire encore, une étude (6) réalisée à partir du terminal Bloomberg montre que TotalEnergies émet des obligations sur des durées de plus en plus longues. Ainsi, la maturité moyenne des obligations de TotalEnergies était de 22 ans entre 2020 et 2024 contre 6 ans entre 2000 et 2004 (alors que la maturité moyenne reste stable sur la même période pour l’ensemble du marché).

Le fait que les investisseurs ne cillent pas face à cette tendance, qui les voit accepter de prêter de l’argent à la major sur des durées de plus en plus longues alors même que le secteur du pétrole et du gaz est voué au déclin, pose de graves questions sur la capacité du marché financier à prendre en compte le risque climatique. Mais cette tendance révèle aussi que les investisseurs dans les obligations de TotalEnergies parient activement contre la transition. En effet, ils ont accepté de prêter de l’argent jusqu’en 2064, sans aucune condition sur la stratégie climatique de l’entreprise qui est pourtant loin d’être alignée 1.5°C (7), alors que leurs investissements auraient pu être conditionnés.

Deux poids deux mesures ?

La présence de certaines filiales de groupes bancaires parmi les investisseurs des dernières obligations de TotalEnergies pose question. Alors que les groupes Crédit Agricole et BNP Paribas refusent désormais de participer à l’émission d’obligations de TotalEnergies, on retrouve pourtant Amundi, filiale de gestion d’actifs du Crédit Agricole, et BNP Paribas AM, filiale de BNP Paribas, parmi les investisseurs de ces mêmes obligations. Cette incohérence pose question : pourquoi continuer à investir dans des produits financiers que l’on refuse par ailleurs d’aider à structurer car ils contribuent au dérèglement climatique ? L’argument qui veut que ces filiales, en tant que gestionnaire d’actifs, investissent pour le compte de leurs clients et ne peuvent donc pas adopter de telles restrictions, ne tient pas. Les deux filiales ont ainsi mis en place depuis plusieurs années des restrictions pour le secteur du charbon (8).

Groupe bancaire Ne facilite plus les émissions d’obligations des entreprises fossiles* N’investit plus dans les obligations des entreprises du secteur fossile**
BNP Paribas
Crédit Agricole
BPCE Groupe

* Via les services de banque d’investissement proposés par ces groupes
** Via les activités d’investissement, notamment de gestion d’actifs, proposés par ces groupes

Il faut espérer que l’engouement pour la prochaine obligation émise par TotalEnergies sera moins fort, et permettra de tracer une ligne entre les investisseurs responsables et les autres. BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE Groupe, et leur pairs, doivent urgemment s’engager à ne plus investir dans les nouvelles obligations d’entreprises qui ignorent les conclusions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) sur l’incompatibilité de l’expansion fossile avec un scénario 1,5°C crédible. BPCE Groupe devra également rattraper son retard sur ses activités bancaires.

Notes :

  1. Entre 2016 et 2023, 69.8% des financements de TotalEnergies proviennent des obligations selon le rapport Banking On Climate Chaos.
  2. Près de 60 ONG du monde entier, dont Reclaim Finance, appellaient récemment dans deux lettres ouvertes les banques et investisseurs de TotalEnergies à ne pas participer à ses émissions d’obligations, qui participent indirectement au financement de ces projets.
  3. BofA Securities, Deutsche Bank Securities, Morgan Stanley, MUFG Securities Americas, Natixis Securities North America, SMBC Nikko Securities America, Standard Chartered Bank ont participé à l’émission d’obligations de TotalEnergies Capital SA le 5 avril 2024.
  4. Les informations sur les investisseurs viennent du terminal Bloomberg, extraction réalisée le 11.07.2024.
  5. Donnée extraite du briefing de Reclaim Finance sur TotalEnergies et son recours au marché obligataire ici.
  6. Buyers of long-dated oil bonds beware, Josephine Richardson, AFII.
  7. Stratégie d’investissement de TotalEnergies, avril 2024
  8. Coal Policy Tracker, Reclaim Finance.

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2024-07-29T09:45:57+02:00