Pour la fin du financement de nouveaux terminaux d’importation de GNL en Europe

Le boom récent des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) sur le continent européen a entraîné la multiplication de nouveaux projets de terminaux d’importation de GNL, qu’il s’agisse de nouveaux terminaux ou de l’extension de terminaux existants. L’expansion du GNL, fortement émissive et polluante, nous enferme dans un système énergétique fossile et présente de forts risques de développement d’actifs échoués.

Cette situation questionne la crédibilité des stratégies climat d’énergéticiens comme ENGIE, Enel ou RWE, qui développent de tels projets. Les institutions financières qui les soutiennent doivent exiger de ces entreprises l’arrêt du développement de nouveaux projets de terminaux d’importation et l’arrêt des signatures de contrats d’importation à long terme de GNL qui prévoient l’importation de volumes incompatibles avec la baisse de la demande et le respect des objectifs climatiques.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, le GNL a connu un succès grandissant (1), entraînant un important développement des infrastructures d’importation en Europe (2), afin d’augmenter les capacités d’approvisionnement du continent par voie maritime. 16 nouveaux développements de terminaux sont prévus d’ici à 2030 (3) dans plus d’une dizaine de pays (4). Des grands énergéticiens comme le français ENGIE l’allemand RWE et l’italien Enel sont impliqués dans l’expansion du GNL au travers de projets de terminaux d’importation ou de contrats d’approvisionnement à long terme (5). Dans cette course à l’expansion, ENGIE table sur l’extension de deux terminaux d’importation situés en France (6): le terminal de Montoir de Bretagne et celui de Fos Cavaou (7), et inscrit sa stratégie gazière dans la signature de contrats long-terme d’importation de GNL allant au-delà de 2040 (8).

Des nouveaux terminaux d’importation déjà obsolètes ?

En Europe, les capacités d’importation de GNL ont augmenté de 22% entre 2021 et 2023 et devraient croître de 62% d’ici 2028 par rapport à 2021 (9). Dans le même temps, la consommation de gaz a connu une baisse de 19%, qui devrait se poursuivre et atteindre 29% entre 2021 et 2028 (10). Le pic de demande de GNL en Europe s’est probablement produit en 2022, avec un niveau déjà très inférieur aux capacités installées sur le continent, et les prévisions montrent une baisse continue jusqu’en 2028 (11).

Graphique 1 : Evolution des capacités et besoins en gaz et GNL en Europe – IEEFA, Europe LNG Tracker, 2024

L’Europe, déjà en situation de surcapacité d’importation, devrait donc voir son taux d’utilisation des terminaux d’importation continuer à chuter au cours de cette décennie. Celui-ci est passé de 62% à 38% entre juin 2023 et juin 2024 dans l’Europe des 27 (12).

Les décideurs politiques justifient la mise en œuvre de nouvelles infrastructures d’importation par le besoin de sécurité énergétique du continent, en diminuant notamment la dépendance européenne vis-à-vis du gaz russe. L’analyse de l’évolution des besoins et des capacités montre que ces développements ne sont pas une solution. L’Europe est au contraire en train de développer d’importantes surcapacités d’importation de GNL. La solidarité européenne a également été invoquée (13), alors que plusieurs pays européens sont en train de développer leurs propres (sur)capacités d’import (14).

Quelles conséquences de la poursuite de l’expansion ?

La poursuite des investissements dans l’expansion du GNL nous dirige vers des situations de blocage. La baisse de la consommation de gaz, les efforts de sobriété et l’essor des énergies soutenables, font peser sur ces installations le risque de devenir à court terme des actifs échoués (15). Une telle situation engendrerait des pertes financières inévitables pour les acteurs financiers soutenant ces projets. 

Par ailleurs, le développement d’installations qui devraient rapidement devenir inutiles mais qu’il faudra rentabiliser, et le verrouillage des importations au travers de contrats long-terme, accentuent la dépendance du système énergétique européen au gaz fossile. Cela freine sa transformation vers des solutions soutenables et compromet l’atteinte des objectifs climatiques de l’Union Européenne : l’utilisation de gaz fossile est fortement émettrice de gaz à effet de serre et le GNL peut même dans certains cas s’avérer plus émissif que le charbon (16). 

Un autre préjudice notable réside dans l’origine du gaz importé et sa technique d’extraction. La part des importations européennes venant des Etats-Unis s’est élevée à 46% en 2023 (17). 

Hors, le gaz américain est principalement issu de la fracturation hydraulique (18,19), dont l’extraction et le transport présentent d’importants impacts environnementaux : pollution des nappes phréatiques par des produits chimiques, pollution de l’air par les rejets des sites d’extraction et émissions de gaz à effet de serre – plus élevées de 20 à 45% que pour le gaz exporté par gazoducs (20) et 28% supérieures à celles du charbon, notamment en raison des fuites de méthane (21). 

L’Europe, au lieu de se concentrer sur des alternatives soutenables, déjà disponibles et nécessaires à la sortie des énergies fossiles (22), s’expose donc à la création d’actifs échoués et s’enferme dans un système énergétique fossile, émissif et polluant.

La responsabilité des institutions financières dans les développements de terminaux d’import

Par leurs soutiens à des entreprises comme ENGIE, Enel ou RWE, qui développent de nouveaux terminaux d’importation, les institutions financières ont une forte responsabilité dans l’expansion du GNL. Ces énergéticiens ne recourent que marginalement au financement de projet pour développer ou étendre des terminaux, mais s’appuient essentiellement sur les financements “corporate” qui leur sont directement accordés. Lorsque la Société Générale, le Crédit Agricole ou la Caisse des Dépôts et Consignations soutiennent ENGIE, elles soutiennent donc pleinement l’expansion des terminaux d’importation.

Top 5 des banques françaises (2021 – 2023) (23) Montants accordés à ENGIE entre 2021 et 2023 (en million de US$) Top 5 des investisseurs français (2023) Montants totaux des investissements dans ENGIE en 2023 (en million de US$) (24)
Société Générale

Crédit Agricole

546

364

Caisse des Dépôts et Consignations

BNP Paribas

1 551

494

BNP Paribas 305 CNP Assurances 420
Groupe BPCE 248 Crédit Agricole (incl. Amundi) 388
Crédit Mutuel 214 Crédit Mutuel 157

Tableau 1: Principaux soutiens financiers d’ENGIE

Par conséquent, les principaux investisseurs d’ENGIE, parmi lesquels la Caisse des dépôts et CNP Assurances, doivent exiger dès maintenant un engagement public à mettre fin aux projets actuels d’extension des terminaux de Montoir de Bretagne et de Fos Cavaou, et à la signature de contrats d’approvisionnement à long terme en GNL qui prévoient l’importation de volumes incompatibles avec la baisse de la demande et le respect de nos objectifs climatiques (25). La révision de son plan de transition par l’entreprise, en amont du “Say on Climate” prévu lors de l’Assemblée Générale de 2025, constitue une opportunité pour les investisseurs de s’assurer de la crédibilité d’ENGIE, qui veut se positionner comme un acteur majeur de la transition énergétique.

Plus généralement, les institutions financières doivent exiger de ces entreprises un engagement immédiat à ne plus développer ni étendre de terminaux d’importation GNL. Cela nécessite que ces dernières mettent en place des plans de transition alignés avec l’objectif d’un réchauffement planétaire limité à 1,5°C. Les institutions financières doivent également exiger un engagement immédiat à ne pas signer de nouveaux contrats d’importation à long terme, ou l’extension de contrats existants, qui prévoient l’importation de volumes incompatibles avec la baisse de la demande et le respect de nos objectifs climatiques.

Notes :

  1. Connaissance des énergies, Consommation de gaz naturel liquéfié (GNL) en Europe, 2022
  2. Sauf mention contraire dans cet article, on désigne par “Europe” les 27 membres de l’Union Européenne (UE), la Grande-Bretagne, la Norvège et la Turquie.
  3. 35 projets de terminaux d’import ont déjà été réalisés entre 2022 et 2024. Cette estimation inclut les terminaux terrestres et les terminaux méthanier flottants (ou Floating Storage Regasification Unit – FSRU), et chaque phase ou train est considéré comme un projet distinct. Calculs réalisés par Reclaim Finance et basés sur les données étendues Global Oil and Gas Exit List (GOGEL) de 2023, incluant le développement de terminaux méthanier flottants (ou FSRU). Voir notre méthodologie pour plus d’informations.
  4. Global Energy Monitor, Tracker Map – Global Energy Monitor, consulté le 10 janvier 2025
  5. RWE, RWE hands over LNG infrastructure in Brunsbüttel to Deutsche Energy Terminal, décembre 2023
    Les Echos, L’allemand RWE et l’émirati ADNOC nouent un accord d’approvisionnement en GNL, septembre 2022
    Zonebourse, Enel prêt à reprendre son projet de GNL alors que l’Italie intensifie sa chasse au gaz, mars 2022
  6. GRT Gaz, Plan décennal de développement de GRTgaz 2022 – 2031, mars 2023
    ENSTOG, TYNDP_2024_Infrastructure_Report.pdf, 2024
  7. Ces projets de développement font suite à la mise en service d’un terminal méthanier flottant (ou Floating Storage Regasification Unit – FSRU) dans le port du Havre en 2023. L’énergéticien s’est également associé au développement et la gestion d’un terminal flottant à Wilhelmshaven.
    ENSTOG, TYNDP_2024_Infrastructure_Report.pdf, 2024
    Global Energy Monitor Wiki, Wilhelmshaven TES FSRU, consulté le 3 janvier 2025
    ENGIE, TES, E.ON and ENGIE partnership to manage the 5th Floating Storage Regasification Unit Import Terminal of Germany, septembre 2022
  8. Fin 2021, ENGIE a prolongé jusqu’à 2041 son contrat d’importation de gaz de schiste GNL avec Cheniere. En 2022, ENGIE a signé un contrat d’importation de GNL avec l’entreprise américaine Next Decade courant jusqu’en 2041. En 2023, ENGIE a signé un contrat d’importation de GNL avec l’entreprise australienne Tamboran pour une durée de 10 à 15 ans.
  9. Les capacités d’importation de GNL sont passées de 257 Gm3 à 313 Gm3 entre 2021 et 2023 en Europe et devrait atteindre 416 Gm3 en 2028. IEEFA, Europe LNG Tracker, Existing and planned LNG infrastructure, mise à jour septembre 2024
  10. La consommation totale de gaz devrait passer de 558 Gm3 à 397 Gm3 entre 2021 et 2028 en Europe. IEEFA, Europe LNG Tracker, Gas consumption trends and LNG outlook, mise à jour septembre 2024
  11. La demande de GNL devrait passer de 168,5 Gm3 à 111 Gm3 entre 2022 et 2028 en Europe. IEEFA, Europe LNG Tracker, Gas consumption trends and LNG outlook, mise à jour septembre 2024
  12. IEEFA, Europe LNG Tracker, Gas consumption trends and LNG outlook, mise à jour septembre 2024
  13. Pour le développement du terminal méthanier flottant du Havre, le gouvernement français a cité le besoin de « sécuriser rapidement les capacités de transit de gaz naturel vers l’Allemagne, la Belgique et la Suisse ».
  14. Les Amis de la Terre, Gaz fossile la fabrique de la dépendance, p.34, avril 2024
  15. Actifs dont la valeur économique a été dépréciée par des causes externes (évolution de la législation, des contraintes environnementales ou des technologies…).
  16. Robert W. Howarth, The Greenhouse Gas Footprint of Liquefied Natural Gas (LNG) Exported from the United States, mai 2024
  17. IEEFA, Europe LNG Tracker, Gas consumption trends and LNG outlook, mise à jour septembre 2024
  18. La technique de fracturation hydraulique est interdite en France depuis 2011.
  19. En 2022, 86,7% de la production américaine de gaz était issue de gaz de schiste, extrait très majoritairement par fracturation hydraulique. EIA, Natural gas explained, Where our natural gas comes from, mise à jour 31 décembre 2023
  20. Connaissance des énergies, Importations européennes de GNL américain : une nouvelle dépendance, juillet 2023
  21. Le méthane est, en moyenne, 80 fois plus réchauffant que le CO2 sur une période de 20 ans. Le potentiel de réchauffement global (PRG) du méthane sur une période de 20 ans est publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Pour plus d’informations, voir Reclaim Finance, Le méthane : une menace imminente pour le climat, octobre 2023
  22. Agence Internationale de l’Énergie (AIE), World Energy Outlook 2023, p.17, 30, 43, octobre 2023
  23. Calculs réalisés à partir des données du rapport Banking on Climate Chaos, 2024
    Pour le soutien des banques françaises à ENGIE, voir également l’article de Reclaim Finance ENGIE: les banques soutiennent massivement l’expansion du gaz fossile, 2024.
  24. Investing in climate chaos, Fossil Fuel Investment Data, mise à jour en 2024
  25. Selon le scénario Net Zero by 2050 (NZE) de l’AIE, le secteur de la production électrique doit être neutre en carbone d’ici 2035 en Europe, et les émissions de CO2 dues aux secteurs de l’électricité et de la chaleur cumulés doivent baisser de plus de 90% d’ici 2040. AIE, Net Zero by 2050, 2021.

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2025-02-04T10:05:01+01:00