En amont de leurs Assemblées générales, les six géants européens du secteur pétrolier et gazier ont présenté leurs nouvelles stratégies, marquées par des reculs importants sur le climat (1). Les stratégies climaticides de ces entreprises ne font aujourd’hui plus aucun doute : alors que le scénario Net Zero Emissions by 2050 (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) depuis 2021 intègre l’absence de nouveaux champs fossiles et de terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) (2), ces entreprises ne cessent de privilégier l’expansion fossile. Pire encore, cette année, elles accroissent leurs plans de production de pétrole et de gaz et réduisent la voilure sur les énergies renouvelables. Les institutions financières ne peuvent plus se voiler la face : loin d’être en transition, ces entreprises n’ont aucune intention de changer de modèle.
L’année 2025 a été marquée par l’abandon par BP de sa stratégie climatique pour privilégier le pétrole et le gaz et réduire fortement la voilure dans les énergies renouvelables, alors que celles-ci étaient déjà le parent pauvre de leur stratégie. Cette annonce ne s’est pas faite sans contestation, avec près d’un quart des actionnaires qui se sont opposés à la réélection de Helge Lund comme directeur, contre moins de 5 % l’année passée (3).
Investissements dans le « bas carbone » : une réduction drastique
Lors de récentes annonces, les cinq plus grandes entreprises pétro-gazières européennes ont considérablement réduit leurs ambitions d’investissements dans les activités soi-disant « bas carbone ». Ces activités incluent les énergies renouvelables, mais aussi des solutions controversées comme la bioénergie, la capture de carbone, et même les centrales à gaz.
- BP a divisé par cinq ses investissements annuels prévus dans le « bas carbone » et réduit la temporalité de son plan d’investissement (4) ;
- Eni a réduit de près d’un quart ses investissements prévus dans les énergies renouvelables lors des quatre prochaines années (5) ;
- Shell a vu sa part d’investissements prévus dans les « énergies renouvelables & solutions énergétiques » chuter de 19 % en 2025 à 9 % entre 2025 et 2030 (6) ;
- TotalEnergies a diminué ses investissements prévus à 2030 dans l’ « électricité intégrée et les molécules bas carbone », passant de 33 % à 26 % (7) ;
- Equinor a abandonné son objectif d’allouer 50 % de ses investissements bruts aux « énergies renouvelables et bas carbone » d’ici 2030 (8).
Seule Repsol maintient son plan d’investissement inchangé, avec 19 % de ses investissements prévus dans les renouvelables. Ces ajustements montrent clairement la priorité donnée aux énergies fossiles par les grandes entreprises européennes, qui captent pour chacune plus de 60 % des investissements prévus. Pourtant, pour respecter la trajectoire du scénario NZE, ces entreprises devraient cesser tout investissement dans de nouveaux projets fossiles et allouer la majorité de leurs ressources aux « énergies propres » (9).
Ces nouveaux plans d’investissements ont amené les entreprises à revenir sur certains de leurs engagements clés : BP a abandonné son objectif de capacités renouvelables à 2030 (10), quand Equinor l’a fortement revu à la baisse (11).
Un écart croissant entre le mix énergétique produit et les objectifs climatiques
Aucune des six grandes entreprises européennes ne prévoit désormais de réduire sa production fossile. Le NZE repose pourtant sur une baisse de la production de pétrole et de gaz de 21% et 13 % respectivement d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2023 (12).
- BP, Eni, Equinor et TotalEnergies ont revu à la hausse leurs objectifs de production de pétrole et de gaz d’ici 2030, dépassant la trajectoire du NZE de plus de 50 % ;
- Shell, qui avait déjà abandonné son objectif de réduction de la production de pétrole (13), prévoit une augmentation de sa production de pétrole et de gaz de 1 % par an jusqu’en 2030, dépassant ainsi le NZE de plus de 20 % ;
- Repsol n’a pas accru ses objectifs de production, mais ne prévoit pas de réduire sa production de pétrole et de gaz, ce qui la placera également plus de 50 % au-dessus du NZE en 2030.
Ces objectifs reposent en partie sur la production de gaz, et plus particulièrement le GNL. Shell, TotalEnergies, Eni, BP et Equinor prévoient toutes d’ici 2030 de nouveaux terminaux d’exportation de GNL, incompatibles avec le NZE. Le GNL, souvent décrit comme une énergie de transition, est une énergie fossile dévastatrice pour le climat, qui favorise le développement de nouveaux champs gaziers en leur offrant de nouveaux débouchés, et responsable d’importantes fuites de méthane tout au long de la chaîne de valeur.
Impacté par les baisses de capacités renouvelables prévues et les hausses de production fossile, la production d’Eni, Equinor, Shell et TotalEnergies sera en 2030 très carboné, alors que les énergies renouvelables représenteront moins de 10 % de leur production.
Émissions indirectes : un déni de responsabilité
En misant davantage sur les énergies fossiles et en ignorant la trajectoire du scénario NZE, les entreprises continuent de produire des émissions excessives de gaz à effet de serre. Pour ces six entreprises européennes, les émissions indirectes (scope 3) représentaient en 2024 plus de 90 % de leurs émissions (14). Réduire ces émissions nécessiterait un changement de modèle, ce qui n’est pas l’orientation prise par ces entreprises. Bien au contraire, ces dernières minimisent leur responsabilité sur les émissions scope 3, visant une baisse “ensemble avec la société” dans le cas de TotalEnergies par exemple, ou prônant de fausses solutions comme la capture de carbone ou la compensation.
Les reculs climatiques des entreprises lors des douze derniers mois par indicateur
BP | Eni | Equinor | Repsol | Shell | TotalEnergies | |
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Part du “bas carbone” dans le plan d’investissement | ![]() |
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Production de pétrole et de gaz | ![]() |
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Capacités installées d’énergies renouvelables en 2030 | ![]() |
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N/A | ||
Cibles de décarbonation | ![]() |
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Cette absence de volonté stratégique de s’aligner avec une trajectoire à 1,5°C se traduit par une révision des cibles de décarbonation dramatique pour le climat. BP, Equinor et Repsol ont ainsi abandonné ou revu à la baisse certaines de leurs cibles incluant le scope 3 pour 2030. Repsol a tenté de masquer son recul, l’entreprise a abandonné sa cible de baisse de l’intensité carbone scopes 1, 2 et 3 entre 2016 et 2030, et mis en place une nouvelle cible, en absolue cette fois, sur les trois scopes, et en changeant l’année de référence à 2018 (15). Quant à BP, l’entreprise a tout simplement abandonné sa cible scope 3 à 2030 et son engagement à atteindre la neutralité carbone sur sa production pour ses scopes 1, 2 et 3 d’ici 2050. Ces reculs illustrent une absence totale de volonté de transformation à court, moyen et long terme.
Ces stratégies, néfastes pour le climat, ne sont possibles que grâce au soutien des acteurs financiers. Ces derniers ne peuvent plus se cacher derrière les promesses de diversification de ces entreprises, qui privilégient le pétrole et le gaz au détriment des énergies renouvelables. En cette période d’Assemblées générales, les investisseurs doivent tout particulièrement prendre leurs responsabilités. Les investisseurs doivent notamment voter en faveur de la résolution actionnariale demandant davantage de transparence sur la stratégie de GNL et son adéquation avec la stratégie carbone à l’Assemblée générale de Shell le 20 mai (16), afin de condamner clairement l’expansion fossile. Reclaim Finance appelle également les investisseurs de Shell et TotalEnergies, qui tiendra son AG le 23 mai, à voter contre les réélections des administrateurs et le vote sur leur rémunération.