Le rapport Banking on Climate Chaos 2025 (BOCC), co-publié par 8 ONG dont Reclaim Finance et soutenu par plus de 480 organisations (1), a suscité des critiques de la part des banques exposées pour leur soutien croissant aux énergies fossiles. La Banque Populaire Caisse d’Epargne (BPCE) est l’une des banques à s’être exprimée. En critiquant les données et la méthodologie du rapport plutôt que de remettre en question ses propres engagements et pratiques, le groupe bancaire français montre une fois de plus qu’il n’est pas prêt à participer à l’effort nécessaire contre l’expansion des combustibles fossiles et le changement climatique.
Dans sa réponse publique au BOCC (2), BPCE présente trois arguments principaux visant à discréditer le rapport :
- BPCE met en avant son financement des énergies renouvelables comme preuve de son engagement dans la transition énergétique.
- Contrairement à ce qu’affirme le BOCC, BPCE prétend réduire ses financements en faveur des énergies fossiles.
- BPCE affirme que la combinaison des prêts et des services stratégiques, comme l’aide à l’émission obligataire, en un seul chiffre est trompeuse.
Examinons ces arguments de plus près.
BPCE, leader du financement des énergies renouvelables ?
Le groupe français choisit de mettre en avant son financement des énergies renouvelables pour minimiser les chiffres des énergies fossiles présentés dans le BOCC. Cependant, le financement des énergies renouvelables ne compense pas le soutien accru aux combustibles fossiles. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) est claire : les énergies renouvelables doivent remplacer les combustibles fossiles, et non s’y ajouter. En soutenant l’expansion des combustibles fossiles en 2024, BPCE va à l’encontre de ses propres engagements climatiques, notamment son adhésion à la Net Zero Banking Alliance (NZBA).
En outre, un examen plus approfondi de l’objectif de financement des énergies soi-disant renouvelables de BPCE révèle un décalage par rapport à la science climatique. Cette cible d’augmentation de 15 % d’ici 2026 est insuffisante : pour s’aligner pleinement sur une trajectoire de 1,5°C, il faut allouer six dollars aux énergies durables pour chaque dollar consacré aux combustibles fossiles d’ici 2030 – un objectif que BPCE n’est pas en passe d’atteindre. De plus, le champ des activités que BPCE définit comme renouvelables est vague et inclut des technologies et des sources non durables, telles que la capture et le stockage du carbone (CCS) et la biomasse.
Les chiffres de BPCE excluent des activités clés liées aux énergies fossiles…
En réponse aux chiffres du BOCC, BPCE attire l’attention sur la récente réduction de son exposition aux combustibles fossiles (3), mais ne considère que la partie émergée de l’iceberg. En effet, le périmètre sur lequel elle calcule son exposition est trop restreint : pour les hydrocarbures, l’extraction pétro-gazière et le raffinage du pétrole sont les seuls sous-secteurs pris en compte. Cependant, il est essentiel de considérer également la liquéfaction et la regazéification du gaz, le transport par pipeline et la production d’électricité à partir du gaz, pour saisir toute l’étendue de son impact sur le climat. Comme Reclaim Finance l’a noté par le passé, BPCE a soutenu des entreprises telles que Venture Global LNG, le plus grand développeur de terminaux d’exportation de GNL au monde, lors de son introduction en bourse (4), et a participé à une émission d’obligations pour l’une de ses filiales en avril 2025 (5). En 2024, BPCE a également participé à trois levées de fonds pour Energy Transfer pour un montant total de 7,7 milliards de dollars (6).
Si les actifs fossiles représentent souvent une part limitée des bilans bancaires, même de petites sommes d’argent – en particulier lorsqu’elles sont prêtées aux entreprises à l’avant-garde de l’expansion fossile – peuvent avoir des impacts climatiques décuplés. L’indicateur utilisé par BPCE pour rendre compte de ses financements fossiles, l’exposition, omet également l’aide à l’émission d’obligations, pourtant une source majeure de financement pour le secteur.
…Et des services financiers clés
Même si les prêts et les obligations sont deux produits financiers distincts, ils remplissent les mêmes fonctions : fournir des liquidités à une entreprise. Près de la moitié des 869 milliards de dollars accordés par les 65 plus grandes banques du monde aux énergies fossiles en 2024 consistait en aide à l’émission d’obligations et d’actions (7). Pourtant, les chiffres de BPCE ne tiennent pas compte des sommes récemment empruntées sur le marché obligataire par les développeurs pétro-gaziers avec l’aide de la banque française : par exemple, 5 milliards de dollars pour Saudi Aramco en juin 2025, et 1 milliard de dollars pour Eni en mai (8). La banque française s’oppose tout simplement à ce que ses obligations fossiles soient mentionnées.
L’importance des obligations est également reconnue par les pairs de BPCE. BNP Paribas et le Crédit Agricole, par leurs annonces de 2024 sur les obligations conventionnelles, ont implicitement souligné à quel point ce type de service financier est crucial pour l’expansion pétro-gazière. Même si les obligations et les prêts de BPCE étaient présentés séparément, le résultat resterait le même : BPCE a augmenté son soutien aux développeurs de pétrole et de gaz (9), en contradiction avec ses engagements climatiques.
Deux poids, deux mesures sur l’agrégation
BPCE affirme que « l’assimilation des obligations et du financement bancaire » n’est pas pertinente, déclarant qu’ils sont « d’une nature totalement différente ». Pourtant, dans son dernier rapport durabilité, BPCE a agrégé ses financements au bilan et hors bilan, y compris les émissions obligataires, pour revendiquer plus de 16 milliards d’euros alloués aux énergies renouvelables (10). Cela montre l’hypocrisie de BPCE qui s’oppose à ce que les prêts et les obligations soient agrégés pour ses financements fossiles. Cela rend également ces 16 milliards incomparables avec le propre rapport de la banque sur le financement des énergies fossiles, qui se concentre sur l’exposition.
Cette incohérence n’est pas isolée. BPCE ignore également les chiffres de la Fédération bancaire française (FBF) agrégeant les obligations et les prêts pour montrer que les banques françaises ne figurent pas parmi les principaux financeurs mondiaux des énergies fossiles (11). Enfin, BPCE reconnaît elle-même l’importance de ces services financiers en incluant l’émission d’obligations dans le périmètre de ses politiques sectorielles et en appliquant les mêmes engagements aux services stratégiques et aux prêts.
Au lieu de détourner le regard de sa propre responsabilité dans l’aggravation du chaos climatique, BPCE devrait commencer par renseigner ses financements aux énergies fossiles de manière plus précise et transparente. Surtout, les auteurs du rapport du BOCC appellent BPCE à prendre enfin des engagements plus fermes pour mettre fin à son soutien à l’expansion des énergies fossiles. Cela commence par la suppression de tous les types de services financiers à tous les nouveaux projets de production pétrolière et gazière ainsi qu’aux projets de terminaux d’exportation de GNL, et aux entreprises qui les développent.