Alors que la France s’apprête à célébrer les dix ans de l’Accord de Paris, ses engagements en matière de politiques de transition du charbon restent en deçà des efforts nécessaires pour limiter l’augmentation de la température mondiale à 1,5°C [1]. L’absence de régulation contraignante pour les acteurs financiers français et une diplomatie française au ralenti permettent encore de soutenir les entreprises du secteur et de nouveaux projets de mines et centrales à l’international. La France doit reprendre son rôle de pionnière pour une sortie juste et effective du charbon.
La France n’en a pas fini avec le charbon
Le recours au charbon thermique et métallurgique reste la principale source d’émissions de CO2 dans le monde [2]. Bien que la France soit en passe de tourner la page du charbon sur son territoire, les acteurs financiers publics et privés ont une responsabilité historique et globale à adopter et mettre en œuvre des politiques de sortie effectives du charbon. Des politiques publiques ont notamment prévu l’arrêt des deux centrales à charbon encore en activité en France métropolitaine à l’horizon 2027 [3] en accord avec le scénario “Net Zero Emissions” (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de fermeture de toutes les centrales à charbon dans les pays de l’OCDE d’ici à 2030 [4].
Cependant, le manque de régulation contraignante laisse encore une large marge de manœuvre aux acteurs financiers privés pour soutenir directement ou indirectement des entreprises et activités liées au charbon malgré leurs engagements affichés. À l’occasion du Climate Day en 2018, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Économie et des Finances, déclarait que les acteurs financiers français n’avaient d’autre choix que de sortir du charbon ou d’y être contraints, leur demandant « qu’ils arrêtent définitivement de financer les activités les plus nocives pour le dérèglement climatique, en particulier le charbon, que ce soit les centrales ou les mines » [5]. Un an plus tard, le gouvernement revient sur cette déclaration et s’associe à une annonce des fédérations professionnelles qui préconise des engagements volontaires [6], laissant les acteurs financiers adopter des politiques de sortie du charbon hétérogènes comportant de nombreuses failles.
Malgré une diminution de leurs financements aux entreprises du secteur, les banques françaises continuent à soutenir l’industrie du charbon et son expansion. BNP Paribas occupait en 2025 la troisième place du podium des banques européennes qui ont le plus soutenu l’industrie du charbon thermique entre 2022 et 2024 à hauteur de près d’1,5 milliard de dollars, suivie au niveau français par la Société Générale (511 millions US$), de Crédit Agricole (453M$) et du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne – BPCE (245M$) [7]. Notre analyse a également montré que des failles dans leurs politiques ont permis aux quatre banques françaises de continuer à soutenir des entreprises développant de nouvelles mines ou centrales à charbon entre 2021 et 2023 malgré leurs engagements à ne plus soutenir ce type d’entreprises pris en 2020. De telles transactions continuent depuis, comme le financement par le Crédit Agricole en septembre 2024 de Taishan Aluminum qui prévoit une nouvelle centrale captive au charbon de 160 MW en Indonésie, ou celui de BNP Paribas en août 2025 à China Cinda Asset Management qui prévoit une expansion minière de charbon thermique en Chine.
Le charbon métallurgique, toujours dans l’angle mort des banques françaises
Utilisé pour la production d’acier, le charbon métallurgique est le principal responsable de l’impact global de l’industrie de l’acier, qui représente 11 % des émissions de CO2 mondiales [8]. Cet impact est d’autant plus grand si les fuites de méthane provenant de l’extraction charbon métallurgique – dont une majeure partie est du charbon à coke [9] – sont prises en compte : elles ajoutent à l’impact climatique du secteur de l’acier l’équivalent des émissions annuelles de CO2 de l’Allemagne et plus que l’ensemble des gazoducs et des installations de GNL dans le monde [10].
Décarboner le secteur de l’acier – techniquement possible dès les années 2040 [11] – requiert la fin de l’utilisation du charbon. La première étape pour y parvenir est de mettre fin à l’expansion du charbon métallurgique [12]. Bien que les grandes banques françaises – BNP, Crédit Agricole, et Société Générale – fassent partie du peu d’acteurs financiers ayant inclus le charbon métallurgique dans leurs politiques, celles-ci sont largement insuffisantes, puisqu’elles concernent seulement les nouveaux projets de charbon métallurgique, et non pas les entreprises qui les développent. BNP et Crédit Agricole ont ainsi par exemple participé le mois dernier à des émissions obligataires de BHP [13], qui développe des mines de charbon métallurgique en Australie. Ces mêmes banques continuent également de soutenir de manière inconditionnée des aciéristes comme ArcelorMittal, qui ne cesse de repousser ses projets de décarbonation en Europe, et construit de nouveaux hauts fourneaux en Inde.
La distinction que font les banques entre charbon thermique et charbon métallurgique est obsolète et ne reflète pas la réalité : le charbon métallurgique désigne tout charbon utilisé pour la production d’acier, y compris du charbon thermique, et de nombreuses entreprises produisent les deux, allant parfois jusqu’à commercialiser comme “métallurgique” du charbon qui sera finalement brûlé dans des centrales thermiques [14]. Qu’il soit extrait pour produire de l’électricité ou de l’acier, le charbon reste extrêmement polluant, et il est urgent de mettre fin à son extraction et son utilisation.
L’action des banques françaises est également insuffisante concernant le financement des secteurs clés permettant de mettre fin au charbon pour la production d’acier, en premier lieu la production d’électricité soutenable.
Une diplomatie française de sortie du charbon au ralenti
Depuis la COP21 en 2015, la France a été motrice dans plusieurs mécanismes pour une juste transition du charbon. Le Coal Transition Accelerator (CTA) lancé en 2023 à la COP28 de Dubaï par Emmanuel Macron visait notamment à « débloquer de nouvelles sources de financement public et privé pour faciliter la transition juste du charbon vers l’énergie propre » [15].
Un des piliers du CTA est l’établissement d’un standard de référence (“Gold standard”) par l’OCDE pour les investissements du secteur privé dans le secteur du charbon. Malheureusement cette initiative semble aujourd’hui au point mort. Les travaux de consultation de la société civile et des pays membres de l’OCDE ont été freinés par le blocage de plusieurs pays dont le Japon et la Pologne, puis mis définitivement à l’arrêt suite à l’élection de Donald Trump. Ce standard aurait pourtant été une première tentative louable d’uniformisation au niveau international des politiques de sortie du charbon.
Le bilan des deux autres piliers n’est pas plus encourageant. Une initiative de la Banque mondiale visant à promouvoir une stratégie pour réduire le coût du capital pour les investissements dans les énergies propres dans les pays du Sud [16] semble avoir disparu sans laisser de traces. De même, une Commission sur la transition du charbon (CTC) co-présidée par la France et l’Indonésie a publié son premier rapport [17] mais sans aucun impact perceptible sur les politiques des gouvernements ou des institutions financières publiques ou privées.
Des paroles aux actes : quels engagements nécessaires pour les acteurs français
Nos recommandations [18] :
La célébration des dix ans de l’Accord de Paris en décembre 2025 et la présidence française du prochain sommet du G7 en 2026 sont deux opportunités majeures pour que la France acte la fin de l’ère charbon. L’encadrement des politiques de ses acteurs financiers et la démonstration d’un courage politique à l’international doivent être les fers de lance de la fin du soutien à un secteur d’arrière-garde.