Il y a dix ans, l’Accord de Paris fixait un objectif clair : limiter le réchauffement au plus proche des 1,5 °C, ce qui impliquait de mettre fin à l’expansion des énergies fossiles et de réorienter les trillions de financements mondiaux vers des activités soutenables. Alors que la France s’apprête à célébrer cet anniversaire, notamment lors du Forum de Paris sur la Paix consacré en partie à la sortie du charbon, Reclaim Finance dresse dans un rapport le bilan de dix années de réorientation (ou non) des flux financiers privés. Dix ans de fausses promesses et de faux espoirs.
Dix ans après l’Accord de Paris, le constat est amer : 1570 nouveaux projets de pétrole et de gaz ont été approuvés (1), chacun sapant un peu plus les chances de contenir les pires impacts du dérèglement climatique. Et si les responsabilités sont multiples, les acteurs financiers occupent une place centrale : prêts, conseils, assurances, obligations – sans eux, ces projets n’auraient jamais vu le jour.
Une finance encore au service des énergies fossiles
Le prétendu « faits d’armes » des grandes banques françaises sur le charbon thermique restent fragiles. Reclaim Finance décompte toujours des transactions à des entreprises problématiques du secteur, y compris à celles développant de nouveaux actifs. Ces manquements se reflètent dans les classements internationaux : BNP Paribas reste la troisième banque européenne à avoir financé l’industrie du charbon entre 2022 et 2024, avec 1,5 milliard de dollars (2). Le charbon métallurgique reste, globalement, un angle mort : toutes les grandes banques françaises peuvent encore financer ses développeurs.
Sur le pétrole et le gaz, le constat est encore plus sombre. Si BNP Paribas et Crédit Agricole ont cessé leurs soutiens stratégiques à l’extraction pétro-gazière, Société Générale et BPCE ont, elles, augmenté leurs financements à son expansion de 91 % et 133 % entre 2023 et 2024. Le gaz naturel liquéfié (GNL) demeure quant à lui un angle mort pour toutes les grandes banques et Crédit Agricole se distingue par la multiplication de ses transactions dans le secteur, avec pas moins de 152 transactions aux développeurs de GNL pour un montant total de 5,6 milliards de dollars entre 2021 et 2024.
Les banques freinent la décarbonation du secteur électrique : elles peuvent encore financer de nouvelles centrales à gaz et leurs financements aux énergies soutenables — indispensables pour remplacer progressivement les fossiles — restent largement insuffisants. Entre 2021 et 2024, elles ont accordé presque 50% plus de financements aux fossiles qu’aux alternatives soutenables. Alors qu’il faudrait atteindre un ratio de 6:1 d’ici 2030 (pour chaque euro aux énergies fossiles, 6 euros doivent aller aux énergies soutenables), BPCE affiche un ratio 0,57:1 sur la période 2021-2024, conséquence directe d’une hausse de 130 % de ses financements à l’extraction fossile sur la période.
Privatisation des gains et socialisation des pertes
Le constat est clair : malgré des engagements parfois pionniers, l’autorégulation a échoué et les décideurs publics ont laissé faire. Plutôt que d’imposer des règles contraignantes, ils ont préféré accompagner les marchés, multipliant labels et produits “verts” sans freiner les financements fossiles. Résultat : le triomphe du greenwashing. Des fonds comme “Amundi MSCI Emerging ESG Broad Transition” investissent encore dans Petrobras ou Saudi Aramco, tandis que la responsabilité est renvoyée aux épargnants, sommés de “choisir les bons produits”. Les superviseurs, eux, se contentent d’observer — l’AMF a bien soutenu l’exclusion des développeurs fossiles des fonds “durables”, mais la mesure est restée lettre morte.
Laissé à lui-même, le secteur financier continue de traiter le dérèglement climatique comme un risque à gérer plutôt qu’à prévenir, suivant la logique de privatisation des gains et de socialisation des pertes. Face à l’explosion des dommages liés au dérèglement climatique, les grandes sociétés d’assurance augmentent leurs primes et se retirent des zones jugées trop risquées, laissant les plus vulnérables démunis, sans chercher à limiter leur rôle dans l’expansion fossile. AXA, qui continue d’assurer le développement du GNL, a réduit de 60 % ses souscriptions aux catastrophes naturelles depuis 2022 tout en augmentant ses tarifs – tout en ayant enregistré près de 8 milliards d’euros de bénéfices nets en 2024, dont 75 % reversés aux actionnaires (3).
Du Green Deal à la contre-offensive réglementaire
Les rares initiatives réglementaires susceptibles de changer la donne ont été neutralisées ou affaiblies. Le Green Deal européen, et notamment la directive sur le reporting de durabilité (Corporate Sustainability Reporting Directive – CSRD) et sur le devoir de vigilance européen (Corporate Sustainability Due Diligence Directive – CSDDD) devaient obliger les acteurs financiers à dépasser la seule prise en compte de de l’impact du climat sur leurs activités pour les contraindre à prévenir et réparer les impacts de leurs activités sur les droits humains et l’environnement, à aligner leurs portefeuilles sur l’objectif 1,5 °C et à mettre en place des plans de transition contraignants.
Cependant, ces ambitions ont été rapidement sapées. Dès 2022, de concert avec les lobbies financiers et industriels, l’Elysée et le gouvernement français ont été parties prenantes de la dérégulation, en affaiblissant, entre autres, les exigences de la CSRD et de la CSDDD : suppression de plus de 80 % du reporting et des entreprises couvertes, suppression de la notion de « mise en place » des plans de transition, calendrier de mise en œuvre retardé, etc. On ne compte plus les retours en arrière sur le climat, l’environnement, les droits humains ou la biodiversité tant ils sont nombreux.
Dix ans après l’Accord de Paris, le bilan est clair : la finance verte ou durable est une escroquerie tant les institutions financières continuent de soutenir massivement les énergies fossiles. L’autorégulation a montré ses limites et les décideurs publics n’ont pas assumé leur responsabilité : plutôt que d’imposer des contraintes réelles, les décideurs publics ont privilégié l’accompagnement volontaire, laissant le système inchangé tout en donnant l’impression d’agir. Tant que les règles ne viseront pas à réduire effectivement les flux vers les activités climaticides, toute prétention à une “finance durable” restera un simple vernis sur un modèle inchangé.