Le 10 mars 2021, la « Paris Aligned Investment Initiative » (PAII) – coalition travaillant sur des protocoles permettant aux investisseurs de s’aligner sur les objectifs de l’Accord de Paris (1) – a publié son « Net-Zero Investment Framework » (2). Dans un contexte de multiplication des engagements de neutralité carbone des institutions financières, ce cadre définit des objectifs et critères à suivre pour les investisseurs. Si ce protocole vise réellement l’alignement sur l’Accord de Paris, il rate sa cible en oubliant que l’élimination progressive des énergies fossiles est un impératif pour limiter le réchauffement climatique.

Un engagement basé sur des scénarios 1,5°C réalistes

La PAII propose de n’utiliser que des trajectoires (3) ayant une « forte probabilité d’atteindre l’objectif de 1,5°C ». Concrètement, le cadre demande aux institutions financières d’opter pour des trajectoires à 1,5°C à « faible dépassement ou sans dépassement » (« low/no overshot »), adoptant une approche de précaution envers les technologies d’émissions négatives. Ces trajectoires devraient être définies plus précisément, notamment en fixant des niveaux maximums d’émissions négatives et une trajectoire d’élimination progressive des énergies fossiles. Toutefois, elles fixent une ambition qui réellement compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Ainsi, les scénarios actuels de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et du Network For Greening the Financial System (NGFS) ne devraient pas être acceptés par la PAII.

Les critères de sélection des scénarios neutralité carbone de la PAII sont beaucoup plus réalistes que ceux utilisés par la Net Zero Asset Owner Alliance (NZAOA). L’alliance permet à ses membres de parier sur de grandes quantités de NET (notamment en utilisant les scénarios de trajectoire 3 du GIEC au lieu des scénarios des trajectoires 1 ou 2).

Les énergies fossiles oubliées

Alors que l’élimination progressive de la production de énergies fossiles est un impératif pour avoir une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, le protocole est très faible lorsqu’il s’agit de réduire la production de ces énergies (4). En effet, il recommande seulement aux investisseurs de « s’engager activement et de manière croissante afin de s’assurer qu’aucune nouvelle production de charbon thermique n’est développée et qu’aucune autre ressource de sable bitumineux n’est exploitée, et également que l’élimination progressive des capacités et des activités existantes non exploitées est entreprise conformément aux trajectoires de neutralité carbone ».

En se limitant à ces quelques recommandations, la PAII laisse d’énormes échappatoires aux investisseurs qui soutiennent les combustibles fossiles en dépit de leurs engagements de neutralité carbone. Pour être pleinement cohérent, le protocole devrait

  • Recommander le désinvestissement des entreprises qui prévoient tout nouveau projet d’énergies fossiles : La PAII ne définit même pas les nouveaux projets de charbon ou de combustibles fossiles non conventionnels comme une ligne rouge. Les nouveaux investissements dans les développeurs de charbon et de sables bitumineux devraient être immédiatement suspendus et l’interdiction devrait être élargie aux entreprises qui planifient le développement de tout projet facilitant l’ouverture de nouvelles réserves de combustibles fossiles.
  • Cibler l’ensemble de la chaîne de valeur du charbon et tous les combustibles fossiles non conventionnels : Le protocole laisse de côté l’extraction du charbon et les infrastructures liées au charbon. Les sables bitumineux ne sont qu’un type de combustibles fossiles non conventionnels et le protocole devrait être élargi pour inclure le pétrole et le gaz de schiste, les eaux très profondes et le forage en zone Arctique (sur la base de la définition de l’AMAP).
  • Demander des dates de sortie alignées sur l’Accord de Paris pour chaque combustible fossile : Le protocole ne demande pas aux investisseurs de fixer des dates de sortie pour chaque combustible fossile. Il devrait notamment leur demander de sortir du charbon au plus tard en 2030 dans l’UE/OCDE et en 2040 dans le monde, et du pétrole et du gaz dix ans plus tard, avec des dates intermédiaires pour les combustibles fossiles non conventionnels. Bien qu’elle n’ait pas exigé de ses membres qu’ils cessent de soutenir le développement du charbon, la NZAOA demande déjà à ses membres de suivre un tel calendrier d’élimination progressive du charbon.

Fixation des objectifs et mise en œuvre inadéquates

Lorsqu’il s’agit de fixer des objectifs et de définir les paramètres et les conditions de mise en œuvre, le protocole « neutralité carbone » de la PAII est proche de celui de la NZAOA. Les deux :

  • Autorisent la fixation d’objectifs sur l’intensité carbone uniquement – et non sur les émissions absolues.
  • Donnent la priorité à l’engagement sans le lier à une stratégie d’escalade claire : Il s’agit d’un problème majeur car l’objectif fixé par la PAII pour que les émissions financées s’alignent sur une trajectoire de neutralité carbone permet aux investisseurs de compter toute entreprise qui a fait l’objet d’une démarche d’engagement actionnarial, même si celle-ci ne porte pas ses fruits. En fait, les investisseurs pourraient atteindre les objectifs d’engagement de la PAII en contactant simplement les entreprises ou en devenant membres de groupes d’engagement collectifs – comme Climate Action 100+. La préférence de la PAII pour l’engagement actionnarial la pousse également à recommander l’utilisation du moins ambitieux des deux benchmarks européens pour les fonds indiciels (5), alors que même l’utilisation du plus ambitieux serait insuffisante pour s’aligner sur l’Accord de Paris.
  • Ne poussent pas leurs membres à agir contre les entreprises qui s’engagent dans le lobbying anti-climatique : Les investisseurs doivent s’assurer que les entreprises dans lesquelles ils investissent ou les groupes d’intérêts dans lesquels ils siègent ne font pas pression pour affaiblir la législation climatique. Ils devraient s’engager à sortir des entreprises qui le font et à quitter tout groupe impliqué, après une période d’engagement d’un an (6).

Tout comme le protocole de fixation d’objectifs de la NZAOA, le protocole « neutralité carbone » de la PAII ne parvient pas à fournir un protocole « neutralité carbone » réaliste et ambitieux aux investisseurs. Si le protocole vise le bon objectif – limiter le réchauffement climatique à 1,5°C – sa passivité face aux énergies fossiles et sa foi en un engagement actionnarial dont l’échec n’est pas lié à des conséquences claires risquent de le faire dévier de sa trajectoire.

Notes :

  1. Lancé par l’IIGCC en 2019, le PAII est désormais dirigé par quatre réseaux régionaux d’investisseurs – AIGCC (Asie), Ceres (Amérique du Nord), IIGCC (Europe) et IGCC (Australasie). Il rassemble 110 investisseurs représentant 33 000 milliards de dollars d’actifs.
  2. Réagissant à la série d’engagements de neutralité carbone adoptés en 2020 et 2021, et à l’instar d’autres initiatives financières axées sur le climat, la PAII a élaboré un protocole « net-zéro » afin de fixer des exigences claires pour les investisseurs. La version finale du cadre a été publiée le 10 mars 2021, après examen de 90 réponses – dont celle de Reclaim Finance – à une consultation spécifique. 35 investisseurs, gérant 8,5 milliards de dollars d’actifs, se sont déjà engagés à l’appliquer.
  3. Lorsque l’on examine un protocole « net-zéro », il faut commencer par examiner le scénario climatique ou la trajectoire utilisée. Comme l’explique la PAII, « les informations relatives à la trajectoire seront utilisées par les investisseurs pour déterminer leurs propres objectifs au niveau du portefeuille en ce qui concerne les réductions d’émissions et les investissements, pour évaluer l’alignement des actifs sous-jacents avec une trajectoire de neutralité carbone, et pour garantir que les fournisseurs de méthodologie qui offrent ces services utilisent une base appropriée pour leur analyse ».
  4. Il est intéressant de noter que plusieurs dispositions du protocole devraient inciter les investisseurs à adopter des exigences fortes en matière d’énergies fossiles. La PAII recommande l’adoption d’un objectif de réduction de l’exposition aux réserves d’énergies fossiles, suggère que le désinvestissement peut être basé sur « l’incohérence de l’activité de l’entreprise avec des trajectoires de neutralité crédibles » et exige qu’elles « fournissent des informations différenciées sur les trajectoires pour les régions et les secteurs qui peuvent nécessiter l’atteinte de la neutralité plus tôt ou plus tard ».
  5. La PAII recommande l’utilisation du « Climate Transition Benchmark » (CTB) qui n’exclut pas les activités les plus polluantes. Cette recommandation ne tient pas compte du fait que l’atteinte de la neutralité carbone, qui nous donnerait une chance de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, nécessite la réduction du soutien aux activités les plus polluantes qui entravent la transition.
  6. Pour plus d’informations sur le lobbying anti-climat, voir le benchmark du Climate Action 100+ et le rapport de Reclaim Finance sur une taxonomie européenne des activités polluantes.