Lors de la COP26, la pression gigantesque exercée par la société civile a poussé les alliances « net zero » du secteur financier à reconnaître qu’elles devaient s’attaquer aux énergies fossiles. Cette reconnaissance pourrait représenter un tournant : jusqu’à présent, les alliances étaient concentrées à rassembler de nouveaux membres tout en sous-estimant l’importance de développer des directives solides et de s’assurer de leur suivi. Mark Carney était fier d’annoncer, au cours de la première semaine de la COP26, que la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), qu’il préside, comptait désormais plus de 450 membres, contrôlant plus de 130 000 milliards de dollars d’actifs, et engagés à réduire de moitié leurs émissions d’ici à 2030, en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Cependant, un examen attentif des directives et des critères des alliances d’investisseurs, de banques et d’assureurs de la GFANZ montre qu’ils sont totalement inadaptés pour atteindre cet objectif au cours des huit prochaines années. Si quelques institutions financières ont pris les devants et annoncé des mesures ambitieuses, nous sommes encore loin d’une ambition suffisante de la part de l’ensemble des membres.

Une reconnaissance (tardive) de l’importance des énergies fossiles

Il était temps. Au cours des premiers jours de la COP26, les initiatives “net-zéro” du secteur financier regroupées sous l’égide de GFANZ (1) ont enfin mis des mots sur le cœur du problème : les énergies fossiles. Après avoir été largement critiquées pour la faiblesse de leurs critères, GFANZ et deux de ses principales alliances ont publié de nouveaux documents admettant la nécessité d’agir sur les énergies fossiles. 

  • Le premier jour de la COP, GFANZ et la campagne Race to Zero de l’ONU ont précisé, par le biais d’une fiche d’information, qu’ils tentaient “d’accélérer la sortie des énergies fossiles”. GFANZ précisait également pouvoir exclure les membres qui « ne respectent pas leurs engagements publiés », et l’avoir déjà (bien que l’on ne sache pas exactement qui a été exclu et pour quelle raison). GFANZ a également publié un rapport d’étape qui indique que « la publication de politiques spécifiques sur l’utilisation des crédits carbone, des énergies fossiles, du charbon et de la déforestation » est une bonne pratique des plans « net zéro ». 
  • Le même jour, la Net Zero Asset Managers Initiative (NZAM) publiait un document de position vague (2) sur les énergies fossiles, appelant ses membres à adopter une « politique solide et basée sur la science en ce qui concerne la sortie progressive des énergies fossiles » et demandant aux membres de publier des informations sur leurs politiques « sur les investissements dans le charbon et les autres énergies fossiles » en parallèle de la publication de leurs objectifs à 2030. 
  • Enfin, la Net-Zero Asset Owner Alliance (AOA), dans une réponse publique au rapport de Reclaim Finance sur GFANZ, a déclaré qu’elle accélérerait l’adoption par ses membres de politiques relatives au charbon – bien qu’elle soit restée silencieuse sur la question clé de l’expansion des énergies fossiles. 

Ne nous emballons pas : à ce stade, il s’agit de mesures très timides.  Admettre la nécessité d’agir sur les énergies fossiles doit ouvrir la voie à des exigences plus audacieuses et précises.  Les alliances net-zéro doivent maintenant publier de toute urgence des directives robustes et obligatoires sur la manière de mettre fin au soutien à l’expansion des énergies fossiles.

Les politiques actuelles ne sont pas alignées sur la science climatique

Malheureusement, les initiatives « net-zéro » du secteur financier ne fournissent pas à leurs membres les plans dont ils ont besoin pour s’attaquer au charbon, au pétrole et au gaz. Actuellement, aucune des initiatives n’exige de mettre fin aux investissements dans l’expansion des énergies fossiles, la ligne rouge tracée par l’Agence internationale de l’énergie pour rester sous la barre des 1,5°C. La plupart des membres n’ont pas de stratégies et de politiques d’entreprise alignées sur la science climatique. La NZAM est un bon exemple de cette contradiction : elle s’exprime sur la nécessité de s’attaquer aux énergies fossiles et pourtant, elle ne dispose même pas de directives adéquates sur la sortie du charbon. Parmi les 130 membres de la NZAM actuellement couverts par le Coal Policy Tool de Reclaim Finance, seuls 13 excluent les investissements dans la majorité de développeurs de charbon, et moins de la moitié (51) ont un ou plusieurs critères pour exclure une partie du secteur du charbon. Même l’AOA, considérée comme la plus ambitieuse des alliances, autorise toujours, dans son document de position sur le charbon, la poursuite des investissements dans les entreprises qui développent les quelque 195 centrales à charbon en construction dans le monde.

Tant que les initiatives de GFANZ ne publient pas de directives solides exigeant des acteurs financiers qu’ils cessent de soutenir l’expansion des énergies fossiles, nous devons nous remettre aux engagements individuels pris par les institutions financières. Et jusqu’à présent, il y en a eu très peu. Alors que la banque belge KBC a annoncé qu’elle ne financerait plus aucun nouveau projet de développement et d’exploration de pétrole et de gaz, et que quelques grandes banques et investisseurs excluent désormais les développeurs de charbon (4), les engagements sont encore peu nombreux et très faibles, et sont loin de correspondre à ce qui est nécessaire pour répondre à l’urgence climatique.

Des objectifs de décarbonisation imparfaits ne suffiront pas

L’une des seules exigences pour les membres des alliances « net-zéro » est de fixer des objectifs de décarbonisation pour leurs portefeuilles. Mais la façon dont cela est fait présente d’énormes lacunes. Le récent scandale autour de la tentative de HSBC d’affaiblir les critères de la Net-Zero Banking Alliance est également révélateur du sérieux des engagements des membres à réduire de moitié leurs émissions d’ici 2030. Du côté des investisseurs, selon le rapport de novembre 2021 de la NZAM, les 43 des 220 membres qui ont fixé des objectifs ne se sont engagés jusqu’à présent que sur 35 % de leurs actifs, ce qui compromet considérablement leur potentiel de réduction des émissions (5). UBS AM a annoncé des objectifs couvrant seulement 20 % de ses actifs sous gestion. L’objectif de LGIM, l’un des plus gros gestionnaires d’actifs européens et le premier investisseur anglais dans le charbon, couvre 40 %. Et si 13 gestionnaires ont annoncé des objectifs couvrant la totalité de leurs actifs, la plupart (et aucun des plus grands) ne l’ont pas fait. 

En outre, les membres sont autorisés par la NZAM à appliquer leurs politiques de sortie des énergies fossiles uniquement à la partie des actifs engagée vers le zéro net (6). Ceci est extrêmement problématique, car beaucoup des plus grands gestionnaires d’actifs refusent de fixer des critères d’exclusion liés aux énergies fossiles pour leurs fonds indiciels en pleine expansion. Huit grands membres de la NZAM – dont UBS AM et BlackRock – ont plus de 60 % de leurs actifs totaux sous gestion sans aucune restriction sur le charbon (7). Il s’agit là d’une autre illustration du fait que le leadership du GFANZ n’apporte pas de solutions adéquates au problème (8) : des objectifs de décarbonisation crédibles doivent être soutenus par des politiques claires et solides prévoyant une fin progressive des soutiens aux énergies fossiles.

Les institutions financières ne peuvent plus éviter de s’attaquer à l’éléphant dans la pièce : l’industrie des énergies fossiles et ses plans d’expansion. Leurs alliances « net-zero » reconnaissent peu à peu publiquement que leur crédibilité va de pair avec des politiques de sortie des énergies fossiles. Un défi majeur pour les alliances de la GFANZ est d’identifier et d’imposer des politiques fortes en matière d’énergies fossiles – et d’appliquer des sanctions (y compris en excluant des alliances) aux institutions financières qui ne s’alignent pas sur la science climatique et continuent à soutenir l’expansion fossile. 

Notes :

  1. Les initiatives sont la Net-Zero Asset Owner Alliance (AOA), la Net Zero Asset Managers Initiative (NZAM) la Paris Aligned Investment Initiative (PAII), la Net-Zero Banking Alliance (NZBA), la Net-Zero Insurance Alliance (NZIA), la Net Zero Financial Service Providers Alliance (NZFSPA) et la Net Zero Investment Consultants Initiative (NZICI).
  2. L’intitulé du document de position sur les énergies fossiles de la NZAM est trompeur, car le texte ne mentionne que le charbon et ignore complètement le pétrole et le gaz. En outre, les cinq positions sur le charbon d’initiatives connexes qui y sont citées sont d’une qualité et d’une ambition très variables : la « position sur le charbon thermique » de l’AOA autorise les investissements dans des entreprises impliquées dans des centrales à charbon en cours de construction ; le framework « Net Zero » de la PAII est très faible en ce qui concerne la réduction de la production d’énergies fossiles ; la ligne directrice de l’Alliance « Powering Past Coal » contient quatre lacunes importantes. La NZAM devrait promouvoir un cadre plus ambitieux, aligné sur les conclusions de l’IEA NZE et sur la science du climat, tel que le SBTi RI10, et obliger ses membres à aligner leurs politiques charbon sur ces lignes directrices, pour tous leurs actifs.
  3. Sur la base du Coal Policy Tool. Les 13 membres qui excluent la majorité des entreprises développant de nouveaux projets charbon sont AXA IM, Amundi, LFDE, WHEB, BNP PAM, DGAM, LBPAM, La Française, Candriam, CCLA, Danske AM, Rothschild & Co AM, et Tikehau.
  4. LGIM, le plus grand investisseur britannique dans le charbon, a publié le 3 novembre une nouvelle politique charbon, qui exclut les « entreprises réalisant de nouveaux investissements dans le charbon thermique ». Cette politique comporte toutefois une énorme lacune : elle s’applique à moins de 40 % des actifs sous gestion de LGIM. Credit Suisse, NatWest, Standard Chartered, tous des poids lourds de l’industrie bancaire européenne, ont annoncé qu’ils ne financeraient plus les entreprises développant de nouveaux projets de charbon. Malheureusement, les trois banques n’ont pas encore confirmé leur définition de ces développeurs de charbon, ce qui pourrait affaiblir considérablement la mise en œuvre de cette mesure.
  5. Un rapport récent d’Universal Owner révèle que seulement 10 % des participations des membres de la NZAM étaient responsables d’au moins 85 % de toutes les émissions de leur portefeuille. Ce chiffre montre pourquoi l’adoption d’objectifs basés sur une proportion (et non sur 100 %) du total des actifs sous gestion est une approche imparfaite, si toutes les entreprises des secteurs les plus émetteurs ne sont pas incluses dans ce sous-ensemble.
  6. La position de la NZAM sur les énergies fossiles stipule : « Au minimum, cette [politique de sortie progressive des énergies fossiles] devrait couvrir les actifs sous gestion qu’un signataire s’engage à gérer conformément au principe du zéro net, et suivre l’une des positions ci-dessous en ce qui concerne au moins ces actifs ». LGIM ne s’engageant qu’à hauteur de 38 % ou UBS AM à hauteur de seulement 20 % de leurs actifs sous gestion totaux, cela signifie que les 62 % ou 80 % restants pourraient être laissés de côté dans les politiques tout en étant considérés comme acceptables par les normes NZAM.
  7. Notre scorecard sur 29 gestionnaires d’actifs, publié en avril 2021, a révélé que les plus grands gestionnaires d’actifs passifs ne prennent pas les mesures appropriées pour pousser les entreprises à sortir du charbon. Il décrit ce que devraient être ces mesures.
  8. Une autre illustration est l’Asset Owner Alliance qui permet à ses membres de fixer des objectifs basés uniquement sur l’intensité des émissions plutôt que sur les émissions absolues. Sur les 29 membres de l’AOA ayant des objectifs, à la mi-octobre 2021, un seul, le fonds de pension français FFR, indique explicitement que son objectif est basé sur les émissions absolues.