En 2019, Amundi, plus grand gestionnaire d’actifs en Europe, devenait, à travers son groupe Crédit Agricole, le premier acteur financier français à prendre l’engagement de sortir du charbon et à exiger que les entreprises produisent des plans de sortie du secteur d’ici 2021. Alors que l’année touche à sa fin, Reclaim Finance dresse le bilan, peu fameux, de cette politique et identifie plusieurs failles conséquentes liées tout autant à sa forme qu’à l’application qui en est faite. Le diagnostic est clair : si des révisions s’imposent, Amundi ne pourra tenir ses promesses sans sanctionner dès 2022 les entreprises qui ne disposent toujours pas de plans de sortie du charbon.

2021 et après ? Amundi face à l’absence de plans crédibles de sortie du charbon

Amundi est un des nombreux acteurs financiers français à avoir demandé aux entreprises actives dans le charbon et encore détenues en portefeuille à adopter un plan de sortie du charbon d’ici fin 2021. Alors que l’année touche à sa fin, Reclaim Finance publie une analyse, des plans de sortie du charbon d’une cinquantaine d’entreprises, la Coal Companies Watch List. Cette analyse révèle que 94% des entreprises du charbon présentes dans le portefeuille des grandes institutions financières françaises ne disposent pas de plans de sortie satisfaisants. Amundi est investi dans l’intégralité de ces entreprises, dont près d’un tiers continuent à développer de nouvelles capacités de production de charbon et plus de la moitié ne prévoient pas de sortir du charbon à temps pour respecter l’Accord de Paris.

Amundi vote encore en faveur des entreprises expansionnistes du secteur charbon

L’un des principaux écueils de la politique charbon d’Amundi est qu’elle ne s’applique pas à tous ses actifs sous gestion (1). La plupart des actifs sous gestion passive est en roue libre (les actifs sous gestion passive représentent 10 à 15% du total des actif gérés par Amundi). Avec le rachat de Lyxor, ces fonds non “ESG” gérés “passivement” représenteront un montant significatif dans le portefeuille d’Amundi. Le gérant de la gestion d’actifs indique compenser l’absence d’exclusion dans ces fonds par une politique d’engagement volontariste. L’investisseur avait indiqué publiquement qu’il n’hésiterait pas à voter dès 2021 contre la direction des entreprises exclues de son univers d’investissement actif mais toujours présentes dans son portefeuille passif, ce qui concerne au premier chef les développeurs de nouveaux projets dans le secteur du charbon (2).

Or l’analyse des votes d’Amundi en 2021 montre que les développeurs de nouveaux projets charbon ont continué à bénéficier d’un fort niveau de soutien de la part du gestionnaire d’actif. Amundi a voté en faveur de 78% des résolutions proposées par la direction des 13 développeurs analysés par Reclaim Finance dans le cadre de la « Coal Companies Watchlist » (3). Amundi peut parfois aller jusqu’à cautionner explicitement leur stratégie climaticide, comme c’est le cas pour la multinationale minière Glencore. L’investisseur a ainsi voté en faveur de son plan “climat” lors de l’AG 2021, alors que le texte indique explicitement que le géant minier “continuera à opérer ses mines [de charbon] jusqu’à la fin de leur durée de vie”. Dans le même temps, Amundi s’est opposé au renouvellement d’un seul des huit administrateurs de Glencore.

Une politique d’engagement largement perfectible

Au-delà du défaut d’application des engagements pris, on voit également poindre d’autres faiblesses intrinsèques à la politique d’Amundi et à celle du groupe concernant la demande d’adoption de plans de sortie du charbon. Ces faiblesses ne sont pas propres à Amundi mais se retrouvent aussi chez d’autres investisseurs, ce qui peut contribuer à expliquer le faible nombre d’entreprises y ayant donné suite.

Premièrement, la demande adressée aux entreprises n’est pas suffisamment précise : hormis l’horizon de retrait du charbon en 2030 et 2040, Amundi ne formule aucune autre exigence sur le contenu des plans de sortie (4) et ses “succès” montrent d’importantes limites. Amundi s’enorgueillit, par exemple, d’avoir obtenu un engagement de BHP Group à sortir du charbon d’ici 2022, sans se formaliser de la vente de ses mines à d’autres acteurs qui continueront à les opérer bien après cette date (5). Il en va de même pour RWE : Amundi salue un « pas dans la bonne direction » alors que l’entreprise allemande maintiendra certaines centrales en activité jusqu’en 2038, a attaqué le gouvernement néerlandais en justice pour contester son calendrier de sortie du charbon et prévoit de convertir deux centrales à la biomasse (6).

Deuxièmement, les sanctions appliquées par Amundi ne sont pas suffisamment claires et contraignantes. Pour les entreprises qui échouent à établir un plan de sortie du charbon avant fin 2021, Amundi ne prévoit pas de suspendre les services financiers – comme le fait, par exemple, la filiale bancaire de BNP Paribas – mais simplement de les restreindre aux projets dits verts (7).

Face à ces défis, nous appelons donc Amundi – et l’ensemble des institutions financières concernées – à : i) préciser le contenu attendu d’un plan de sortie crédible du charbon, en reprenant a minima les critères requérant un calendrier de sortie détaillé et l’engagement à une fermeture définitive ; ii) communiquer publiquement sur les mesures mises en place vis-à-vis des entreprises n’ayant pas répondu à cette demande ; et iii) s’engager à exclure les entreprises n’ayant pas remédié à cette situation dans un laps de temps court.

La demande de sortie du charbon formulée de manière inédite par Amundi dès 2019 s’est donc heurtée à plusieurs limites. Derrière un bilan apparemment excellent lorsque l’on s’en tient à l’analyse agrégée des votes (8), Amundi peine donc à traduire sa stratégie d’engagement en résultats concrets, à travers des demandes précises, cadrées dans le temps et assorties de sanctions claires allant jusqu’au désinvestissement. S’agissant du charbon, Amundi devra crédibiliser sa stratégie d’engagement dès 2022 pour rester crédible en tant qu’investisseur visant la neutralité carbone.

Notes:

(1) Les fonds gérés activement et les fonds “ESG” gérés passivement sont concernés et ne contiennent donc en théorie plus de développeurs de charbon. D’ici 2025, la promesse faite par Amundi est d’atteindre 40% de fonds “ESG” parmi ses fonds gérés passivement. Une large partie des fonds passifs (60%) échapperont donc à toute exclusion systématique.

(2) Document « Amundi’s Shareholder Engagement Priorities for 2021 » : « Strengthen actions on targeted “laggards” that could end-up with a vote “against” management as soon as 2021, for corporates that […] are excluded from the Amundi active investment universe but could be present in passive funds. »

(3) Même si Amundi laisse entendre que le vote “contre le management” concerne toutes les résolutions soutenues par l’émetteur (cf. graphique p. 23 du rapport d’engagement 2020), le résultat est similaire lorsque l’on restreint cette analyse aux résolutions portant sur la nomination d’administrateurs puisqu’Amundi s’ est opposé à seulement 24% d’entre elles.

(4) Or de nombreux autres paramètres doivent être pris en compte pour évaluer de manière précise la qualité d’un plan de sortie. Afin d’accompagner les acteurs financiers, Urgewald et Reclaim Finance ont ainsi publié un cadre d’analyse listant 10 critères à prendre en compte pour évaluer les plans de sortie du charbon.

(5) https://www.lefigaro.fr/flash-eco/glencore-rachete-les-parts-de-bhp-et-anglo-american-dans-une-mine-de-charbon-en-colombie-20210628.

(6) La conversion à la biomasse engendre un coût sanitaire et environnemental lourd et des émissions de GES équivalentes à celles du charbon (source)

(7) Amundi prévoit de placer ces émetteurs « dans un portefeuille sous vigilance entraînant la limitation des services financiers aux seuls projets de financement et d’investissement en faveur de la transition énergétique. »

(8) Un récent rapport de ShareAction montre qu’Amundi a voté en faveur de 97% des résolutions d’actionnaires sur le climat en 2021.