Décryptage pré-AG & Réaction post-AG ↓

AXA a une réputation de grand champion du climat. L’assureur a été un pionnier de l’exode des assureurs du secteur du charbon et est devenu en 2020 le chef de file de l’alliance des assureurs pour l’atteinte de la neutralité carbone. Malheureusement, l’assureur et sa filiale de gestion d’actifs AXA IM continuent d’assurer et d’investir dans l’expansion pétro-gazière. A l’instar de nombreux autres acteurs financiers, AXA met en avant sa volonté de peser sur la stratégie climat des plus gros pollueurs de la planète. Mais le discours bien rôdé et les slogans qui marquent déçoivent très vite ceux qui s’attardent à regarder les détails : de fait, AXA semble prétendre qu’une entreprise ouvrant de nouveaux projets de production fossile pourrait avoir un plan de transition crédible. Cela n’est pas sérieux. Espérons donc que la saison des assemblées générales 2022 soit l’occasion pour AXA de se mettre enfin au diapason des recommandations des scientifiques du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie.

Membre fondateur et leader de la Net Zero Insurance Alliance, mais également membre des alliances Net Zéro des détenteurs et gestionnaires d’actifs, AXA s’est engagé à atteindre la neutralité carbone de ses portefeuilles d’assurances et d’investissements d’ici 2050 suivant une trajectoire 1,5°C. Sur le papier, AXA coche donc toutes les cases du bon élève. Et pourtant, le géant de l’assurance et de la gestion d’actifs est très loin de donner suite aux enseignements des scientifiques du GIEC et de l’Agence internationale de l’énergie quant aux mesures à adopter pour tenir ces objectifs. En effet, celles adoptées en octobre 2021 et mars 2022 par AXA et AXA IM autorisent de fait encore le développement de nouveaux projets de production pétrolière et gazière.

AXA assure directement de nouveaux projets pétroliers et gaziers

En tant qu’assureur, AXA continue tout simplement de délivrer de nouvelles couvertures d’assurance à de nouveaux projets de production gazière et pétrolière. Pour l’instant, seuls certains projets, dans des secteurs des pétrole et gaz dits non conventionnels sont exclus. Pour le pétrole, AXA envisage de ne plus soutenir de nouveaux projets de production à partir de 2024, alors que le scénario Net-Zero de l’AIE ne contient aucun nouveau projet de production pétrolière dès… janvier 2022. Pour le gaz, c’est pire : AXA n’envisage tout simplement pas de ne plus assurer aucun nouveau projet dans les gaz de schiste, en Arctique, et encore moins dans le gaz conventionnel, alors que tous sont autant incompatibles avec les objectifs climatiques que les nouveaux projets pétroliers (1).

AXA et AXA IM tentent de redéfinir les termes du débat

Au-delà des soutiens à de nouveaux projets, AXA et AXA IM ont une approche extrêmement biaisée des enjeux liés à la transition des entreprises pétrolières et gazières. Les deux adoptent des politiques avec des exceptions pour les entreprises qui auraient ce qu’ils considéreraient être des plans de transition crédibles et robustes. En théorie, rien d’illogique. Quand AXA se donne l’année de 2022 pour définir exactement ce que c’est, l’autre donne aux entreprises jusqu’en 2025 pour répondre à plusieurs exigences jugées indispensables pour prétendre avoir un tel plan. On peut déplorer la lenteur du calendrier mais l’argument se tient, surtout qu’AXA IM fait valoir un processus robuste d’engagement. Avec son “three strikes out”, AXA IM indique qu’il exclura une entreprise au terme d’un processus d’escalade si elle ne satisfait pas une demande communiquée à trois reprises.

Le bât blesse autre part, sur la teneur des demandes : les deux se concentrent en effet sur des indicateurs de second rang en oubliant la mesure indispensable à mettre en place maintenant pour tout simplement conserver nos chances de limiter le réchauffement à 1,5°C : l’arrêt de l’expansion pétro-gazière. La pauvreté des critères requis par AXA IM fait apparaître le “three strikes out” comme rien d’autre qu’un slogan marketing. Les entreprises ont même jusqu’en 2030 pour enfin se doter d’objectifs de baisse de décarbonation sur leurs émissions de scope 3, soit sur la majorité de leurs émissions.

Le test des AG 2022

Derrière les politiques d’AXA/AXA IM se cachent l’ombre des majors pétro-gazières européennes. TotalEnergies, Shell, BP et les autres se sont en effet engagées à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et ont adopté des cibles de décarbonation. Celles-ci ont beau être très en-deçà de ce qu’ils leur faudraient viser (2), cela suffit à donner le la aux acteurs financiers désireux de continuer à les soutenir sans se dédire complètement en matière climatique. Et en effet, l’analyse des votes d’AXA IM sur les deux dernières années révèle une très grande complaisance à l’égard de certaines de ces majors : AXA IM s’est opposé à des résolutions d’actionnaires demandant à TotalEnergies en 2020 et à Shell et BP en 2021 d’en faire plus pour le climat. A l’inverse, AXA IM votait pour les faux plans climat de Shell et TotalEnergies en 2021 (3).

Peut-on espérer un changement pour la saison 2022 ? 5 majors européennes, dont TotalEnergies, vont consulter leurs actionnaires sur leurs plans climat (4). D’après l’initiative Climate Action 100+ (dont AXA est membre), aucune ne dispose d’un plan de transition compatible avec un scénario 1,5°C (5). AXA devrait donc voter contre. Certes AXA ne fait pas partie du nombre encore limité mais encourageant d’actionnaires français s’inquiétant publiquement du caractère lacunaire des plans présentés, mais AXA indiquait même l’année dernière qu’il serait plus exigeant cette année quant à la qualité des plans présentés.

Alors que l’expansion pétro-gazière est incompatible avec un scénario +1,5°C, AXA doit cesser tout soutien aux nouveaux champs fossiles et aux développeurs de pétrole et de gaz. Lors des prochaines assemblées générales, les discours pro-engagement d’Axa (6) doivent s’accompagner d’actions : voter contre les stratégies climat incomplètes et incompatibles avec un scénario +1,5°C des majors pétrolières et s’opposer au renouvellement des mandats des administrateurs des entreprises n’ayant pas l’intention de cesser les développements fossiles.

Notes :

  1. Alors que près de la moitié de l’expansion pétro-gazière à court terme est non-conventionnelle selon la Global Oil and Gas Exit List, AXA n’a qu’annoncé cesser d’ici fin 2023 les couvertures d’assurances aux entreprises dont les pétrole et gaz de schiste représentent plus de 30% de leur production et exclut les activités de production et transport des sables bitumineux.
    Pour l’Arctique, l’exclusion, d’ici 2024 des couvertures d’assurances ne concerne que les entreprises dont l’extraction pétro-gazière en Arctique représente plus de 10% de la production totale de l’entreprise ou représente plus de 5% de la production totale de la zone, l’Arctique étant restreinte au périmètre AMAP hors opérations norvégiennes. Axa ajoute à nouveau une exception pour les entreprises considérées comme en transition.
  2. Loin d’être en transition, les majors européennes dont TotalEnergies, BP et Shell, pourtant considérés comme les bons élèves du secteur devraient dépasser leur budget carbone compatible avec une trajectoire 1,5°C au plus tard en 2038.
  3. Même lorsque l’on regarde les statistiques comparatives de vote agrégées, qui font généralement apparaître les gestionnaires d’actifs français sous un jour favorable, les résultats d’AXA apparaissent médiocres: AXA se classe 19ème sur 42, avec un taux de vote des résolutions climat à peine supérieur à la moyenne des membres de la Net Zero Asset Manager Initiative (ShareAction, 2021).
  4. BP, Equinor, Repsol, Shell et TotalEnergies
  5. Une seule entreprise, Sasol, dispose de CAPEX fossiles 2021 – 2030 alignés avec un scénario “bien en-dessous de 2°C”.
  6. Hans Stoter, Global Head d’AXA IM Core déclarait en 2021 : “L’engagement est au cœur de la stratégie d’investissement responsable d’AXA IM. Le dialogue régulier que nous maintenons avec les entreprises nous permet de suivre activement nos investissements et de maintenir des échanges fructueux susceptibles d’entraîner des évolutions positives pour la société, la planète et, bien entendu, nos clients.”.

Paris, le 28 avril 2022 – Réaction suite à l’assemblée générale :

Question de Lucie Pinson, Directrice de Reclaim Finance :

Nous le savons, aligner les portefeuilles d’investissements et d’assurance avec un objectif 1,5°C n’a rien de facile. Il s’agit d’une transition, donc de progressivité, et en effet, il ne s’agit pas de sortir du jour au lendemain des énergies fossiles. En revanche, il faut dès maintenant cesser de développer de nouveaux projets d’énergies fossiles.

Vous le savez plus qu’aucun autre car vous avez été le premier DG au monde à prendre des engagements sur l’industrie du charbon en 2017. Malheureusement, vous n’avez pas appliqué la même cohérence au secteur pétrolier et gazier. Les mesures annoncées en octobre dernier vous autorisent à toujours investir dans les expansionnistes des énergies fossiles et à assurer de nouveaux champs pétroliers et gaziers, y compris dans les secteurs que vous reconnaissez comme particulièrement dangereux, comme les gaz de schiste. Les mesures prévoient un arrêt des soutiens à des nouveaux projets pétroliers en 2024, sauf pour les entreprises que vous considérez en transition.

C’est une antinomie : il n’y a pas d’expansionniste des énergies fossiles en transition.

Je ne m’attends pas à ce que vous annonciez aujourd’hui l’arrêt de vos couvertures à de nouveaux projets d’énergies fossiles. Je le déplore car cela serait cohérent avec votre position de chef de file de la Net Zero Insurance Alliance… Mais pouvez-vous au moins reconnaître l’impératif scientifique de ne plus développer de nouveaux projets et vous engager à vous doter d’ici la COP27 d’une stratégie visant le respect de cet impératif sur un horizon de temps court ?

Réponse de Thomas Buberl, Directeur général d’AXA :

Il faut encourager la transition. Il faut accompagner ces entreprises.

On était, comme vous l’avez bien dit, les premiers à se prononcer sur le pétrole et le gaz. C’était unique dans notre secteur. Et parce que nous avons encore une dépendance énorme sur le pétrole et le gaz, on a dit qu’on mettait l’action sur les activités non-conventionnelles et les nouvelles explorations greenfield.

Cela veut donc dire qu’on les assure et on n’investit plus… Sauf dans le cas où l’entreprise à un plan de transition qui est « backé » par des Science Based Targets pour la partie investissement et, pour la partie de couverture assurance, uniquement les entreprises qui ont moins de 30% de gaz de schiste. Avec ça, on peut accompagner nos clients. On peut respecter le fait que le pétrole et le gaz sont malheureusement encore en grande demande dans les sociétés – on le voit tous les jours aujourd’hui – et on aide vraiment les entreprises à se développer en se basant sur des plans de transition énergétique.

Ainsi, le groupe a préféré nier la science climatique.

Tant les travaux de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) que ceux des scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indiquent qu’il ne faut plus développer de nouveaux projets d’énergies fossiles pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 et limiter le réchauffement à +1,5°C. Pourtant, AXA prétend qu’une entreprise qui développe de nouveaux projets d’énergies fossiles peut être en transition.

Selon Lucie Pinson, le Directeur général d’AXA, Thomas Buberl, hier leader reconnu en matière de lutte contre le dérèglement climatique grâce à ses prises de position sur le charbon, indique aujourd’hui ne pas vouloir revoir sa très faible stratégie climatique sur le pétrole et le gaz. Au contraire, en reconnaissant que des développeurs d’énergies fossiles ont des plans de transition crédible, il fait ainsi le jeu des climatosceptiques et nie publiquement la réalité des faits scientifiques.

À défaut d’avoir saisi l’opportunité de son assemblée générale pour renforcer sa propre politique, AXA doit impérativement prendre ses responsabilités lors des assemblées générales des majors pétrolières et gazières et voter contre leurs faux plans climat, tel que celui de TotalEnergies.