L’intensité du dérèglement climatique ne faiblit pas. Au premier trimestre 2022, plus de 32 milliards de dollars (1) de dégâts ont été causés par des événements climatiques extrêmes à l’échelle internationale. Face à ces risques, les assureurs et réassureurs ont pour mandat de nous protéger. Mais de son côté, le (ré)assureur français SCOR, annonçait lors de sa dernière assemblée générale, son intention de réduire de 15% son exposition à des contrats de (ré)assurance liés aux catastrophes naturelles pour réduire l’impact de ces événements sur sa rentabilité (2). Une désertion qui interpelle alors que le 4ème réassureur mondial continue à l’opposé de couvrir les risques des industriels des énergies fossiles, en décalage avec les recommandations pour limiter les dégâts climatiques et en retard même sur ses pairs.

En 2017, SCOR devenait le premier (ré)assureur européen à abandonner l’assurance des nouvelles centrales et mines à charbon. Plus récemment (3), SCOR est allé plus loin en refusant de couvrir les nouveaux champs pétroliers (4). Cette avancée timide ne doit pas masquer le travail qu’il reste à accomplir pour se mettre au niveau des meilleurs standards climatiques de l’industrie de la réassurance et répondre à l’impératif soutenu par la très conservatrice Agence internationale de l’énergie de ne plus ouvrir de nouveaux champs pétroliers et gaziers pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Car non seulement SCOR peut toujours assurer de nouveaux champs gaziers, mais il autorise même les exceptions à son engagement sur le pétrole (5).

SCOR assure le pétrole et le gaz mais SCOR IP refuse d’y investir le moindre centime

Plus étonnant encore, les mesures d’exclusions applicables aux activités de (ré)assurance de SCOR sont moins ambitieuses que celles portées par SCOR côté investissements et à des lieux de la position de sa filiale dédiée à la gestion d’actif, SCOR IP. En effet, quand SCOR dit vouloir être vigilant concernant ses investissements dans les entreprises qui ouvrent de nouveaux projets pétroliers et gaziers (6), sa filiale de gestion d’actifs SCOR IP (7) refuse elle tout nettement de financer et d’investir dans toute entreprise (8) ou projet du secteur du pétrole et du gaz, sur l’ensemble de la chaîne de valeur pétrolière et gazière (e.g champs pétroliers et gaziers, pipelines, terminaux LNG, centrales à gaz). Le hic, c’est que 77% (9) des actifs gérés par SCOR IP appartiennent à SCOR et sont donc couverts par des règles moins ambitieuses.

Mais si on aimerait voir SCOR s’aligner sur l’ambition de sa filiale de gestion d’actifs, on note surtout l’écart entre l’ambition des critères appliqués côté investissement et la très forte faiblesse de ceux appliqués côté assurances. Cet écart interroge sur les motivations de SCOR. Investir dans les énergies fossiles devient sans aucun doute toujours plus risqué pour des investisseurs de long terme comme les (ré)assureurs. Ainsi, les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignaient dans leur dernier rapport le risque d’actifs échoués dans le secteur du pétrole et du gaz dans un scénario de réchauffement limité à 1,5°C. Ce risque pourrait se compter en trillions de dollars pour les entreprises et investisseurs (10). En réduisant ou stoppant leurs investissements dans les entreprises et projets de la chaîne de valeur, SCOR et SCOR IP se protègent. Mais en continuant de (ré)assurer de nouveaux champs gaziers et infrastructures nécessaires à l’exploitation du pétrole et du gaz, SCOR participe à l’intensification des évènements climatiques extrêmes qui impactent des millions de personnes.

Il est urgent que SCOR tienne pleinement son rôle de gestionnaire du risque, mette fin à ses incohérences entre les pratiques d’investissements et de (ré)assurance des différentes entités du groupe,  et adopte la seule position lucide face au dérèglement climatique : arrêter d’aggraver la situation.

Reprendre le leadership climatique au sein de l’industrie de la (ré)assurance

En tant que membre fondateur de la Net Zero Insurance Alliance et membre de la Net Zero Asset Owner Alliance, SCOR s’est engagé à s’appuyer sur les dernières conclusions scientifiques pour atteindre la neutralité carbone dans ses portefeuilles d’assurance et d’investissement à horizon 2050. Ne pas tenir promesse serait d’autant plus injustifiable que certains de ses concurrents comme Swiss Re, Hannover Re ou encore Allianz, (11) se sont eux tous engagés en 2022 à ne plus (ré)assurer les nouveaux champs de pétrole et de gaz, en accord avec les dernières conclusions de l’Agence Internationale de l’Energie (12).

SCOR connaît la marche à suivre pour se positionner en tant que (ré)assureur majeur de la transition. Le réassureur français doit ajouter à sa liste d’exclusion, en plus des nouveaux champs pétroliers, les nouveaux champs gaziers. SCOR peut également envoyer un message fort au milieu de l’assurance en devenant le premier à prendre certaines mesures qu’aucun n’autre (ré)assureur n’a osé prendre jusqu’à présent :

  • Refuser de fournir une couverture d’assurance et de réassurance à toute entreprise listée dans la Global Oil and Gas Exit List d’Urgewald (13) comme prévoyant de développer de nouvelles capacités de production pétrolière et gazière.
  • Refuser de fournir des contrats d’assurance et de réassurance facultative à tous les nouveaux projets pétroliers et gaziers, sur l’ensemble de la chaîne de valeur (upstream, midstream, downstream), en accord avec les mesures prises par sa filiale SCOR IP.

Alors que nous disposons de moins de 3 ans (14) pour inverser la tendance haussière des émissions de gaz à effet de serre mondiale pour espérer maintenir le réchauffement sous les 1,5°C d’ici à 2100, SCOR doit rapidement renforcer sa feuille de route climatique en prenant des mesures d’exclusions supplémentaires dans le secteur des énergies fossiles. Une occasion unique se présentera en novembre prochain à Laurent Rousseau, directeur général de SCOR, lors de l’annonce d’un nouveau plan stratégique, une occasion unique de replacer le climat au cœur de la stratégie du groupe.

Notes :

  1.  Étude du courtier en assurance AON au premier trimestre 2022
  2. Au premier trimestre 2022, le montant des dommages liés aux catastrophes naturelles dédommagés par SCOR représentait 10% des primes reçues par le réassureur sur cette même période.
  3.  Reclaim Finance, SCOR dévoile sa timide politique d’exclusion sur le pétrole, 2022
  4.  Avec des exceptions pour  les projets d’entreprises alignées sur une trajectoire de neutralité carbone à horizon 2050
  5. Exception pour les projets de nouveaux champs pétroliers développés par des entreprises considérées comme en transition
  6.  SCOR, Sustainable Investment Policy, 2021
  7.  SCOR IP, Handbook on Sustainable Investment, 2022
  8.  Reclaim Finance recommande l’utilisation de la base de données GOGEL recensant environ 700 entreprises du secteur pétrolier et gazier.
  9.  Au 31 décembre 2021, 54% des actifs de SCOR (17 mds€ sur les 31 mds€ d’actifs) sont gérés par SCOR IP. De son côté, SCOR IP gère 17 mds€ d’actifs pour SCOR, sur ses 22 mds€ gérés au total.
  10.  GIEC, 6ème rapport d’évaluation: “La limitation du réchauffement à 2°C ou 1,5°C entraînera l’immobilisation des actifs liés aux combustibles fossiles, notamment les infrastructures et les ressources en combustibles fossiles non brûlés. L’impact économique des actifs échoués pourrait s’élever à des milliers de milliards de dollars.”, 2022
  11.  Comparaison des politiques de ces 3 assureurs dans l’Oil & Gas Policy Tracker
  12.  AIE, Rapport sur la neutralité carbone en 2050: “Il n’est pas nécessaire d’investir dans de nouvelles sources d’approvisionnement en combustibles fossiles dans le cadre de notre approche « net zéro”. Au-delà des projets déjà engagés à partir de 2021, il n’y a pas de nouveaux champs pétroliers et gaziers dont l’exploitation a été approuvée dans le cadre de notre trajectoire…”, 2021
  13.  ONG allemande à l’initiative de la GOGEL, base de données la plus exhaustive sur le secteur du pétrole et du gaz
  14.  GIEC, 6ème rapport d’évaluation: “Les émissions mondiales de GES devraient atteindre un pic entre 2020 et au plus tard avant 2025 dans les trajectoires modélisées à l’échelle mondiale qui limitent le réchauffement à 1,5 °C (>50 %) sans dépassement ou avec un dépassement limité et dans ceux qui limitent le réchauffement à 2°C (>67 %) et supposent une action immédiate.”, 2022