AG 2023 : Les premiers votes des investisseurs mettent de côté le climat

Alors que la saison des assemblées générales 2023 bat son plein, les majors de l’énergie et leurs actionnaires confirment que l’urgence climatique n’est pas une priorité à leurs yeux. Les assemblées générales de BP et d’Equinor ont rejeté toutes les résolutions climatiques actionnariales, et celles d’Eni et de ConocoPhillips n’avaient même pas inclus le climat dans les votes proposés. Ces premiers résultats sont en contradiction totale avec les recommandations scientifiques et les projections de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE). Heureusement, certains montrent la voie et indiquent déjà voter pour le climat lors des prochaines assemblées générales de Shell et TotalEnergies. Reclaim Finance appelle tous les investisseurs à les suivre et condamner fermement les stratégies climatiques insuffisantes. 

La responsabilité historique des majors dans la transition

Les majors de l’énergie ont le pouvoir de faire ou défaire l’accord de Paris.  Or, à ce stade, aucune d’entre elles n’est engagée vers une telle trajectoire et toutes continuent de développer des nouveaux projets de production et de transport pétroliers et gaziers. Par ailleurs, toutes ont des objectifs de production en pétrole et gaz d’ici 2030 qui sont bien plus élevés que ce qui est requis dans le scénario Net Zero Emissions by 2050 (NZE) de l’AIE. Par exemple, en prévoyant d’augmenter sa production d’hydrocarbures de 48% d’ici 2030, TotalEnergies produira en 2030 81% plus d’énergies fossiles que ce qui est permis pour s’aligner sur le scénario NZE [1]. Côté investissement, ces entreprises prévoient d’allouer dans les prochaines années moins d’un tiers de leurs investissements dans les énergies renouvelables [2]. 

Alors que les assemblées générales constituent le moment clé de l’année où les investisseurs peuvent incarner concrètement leurs promesses d’engagement actionnarial et inciter ces entreprises à engager véritablement leur transformation, les premiers votes font éclater l’écart béant entre les promesses et les actes, avec des votes de complaisance envers la direction des majors.  

Des premiers résultats décevants pour les résolutions climatiques actionnariales

L’assemblée générale de BP a ouvert le bal des assemblées générales des majors. Une résolution actionnariale demandant un alignement des émissions de gaz à effet de serre de scope 3 avec l’Accord de Paris y a été rejetée, recueillant seulement 16,75% des votes. De manière incompréhensible, même Legal & General Investment Management (LGIM) s’y est opposé. La même résolution a été déposée sous la coordination de l’ONG Follow This auprès de Shell, TotalEnergies, Chevron et ExxonMobil dont les assemblées générales se dérouleront dans les deux prochaines semaines. 

Plusieurs de ces entreprises, dont TotalEnergies, ont prétendu qu’elles ne peuvent pas être tenues pour responsables de la réduction des émissions liées à l’usage des produits utilisés par ses clients, correspondant à leurs émissions de scope 3.  Or, cet argumentaire est fallacieux : l’offre et la demande sont deux phénomènes corollaires sur lesquels il faut agir simultanément pour atteindre les objectifs de la transition. Les faux arguments qu’elles avancent ne cachent rien d’autre que leur volonté de faire oublier leur lourde responsabilité dans le dérèglement climatique et leur absence de transition. La tentative de TotalEnergies de faire oublier l’estimation par Greenpeace de ses émissions de scope 3 [3] ne dit rien d’autre. 

Réduire de manière significative les émissions de scope 3 d’ici 2030 est une mesure évidente encouragée par tous les cadres de référence en matière de reporting des émissions et d’alignement. L’agence de conseil en vote ISS recommande de voter en faveur de la même résolution à l’assemblée générale de TotalEnergies le 26 mai. Le gestionnaire d’actifs de l’Eglise d’Angleterre a déjà indiqué qu’il la soutiendrait à celle de Shell le 23 mai : la cohérence voudrait qu’il en fasse de même pour TotalEnergies, Chevron et ExxonMobil. En France, CNP Assurances a indiqué qu’il soutiendrait cette résolution à l’AG de TotalEnergies. Les yeux sont désormais rivés sur Amundi, BNP Paribas AM et AXA IM. 

La nécessité de s’opposer aux Say on Climate illusoires

Dans les prochaines semaines, Shell et TotalEnergies présenteront aussi un vote sur la mise en œuvre de leur stratégie climatique, dits « Say on Climate ». Ces dernières années, les investisseurs ont soutenu à une large majorité ces résolutions, en soulignant les efforts réalisés par les majors en matière de transparence et de dialogue actionnarial. A l’heure de l’urgence climatique, il est essentiel que les investissent changent d’approche et fondent leurs décisions de vote sur la complétude des plans climat présentés et leur alignement avec une trajectoire 1,5°C. Dans la mesure où aucune major n’est alignée avec un tel scénario, les investisseurs doivent massivement s’opposer à tous leurs Say on Climate. 188 scientifiques et experts appellent ainsi les actionnaires de TotalEnergies à voter contre son Say on Climate [4]. Ici encore, CNP Assurances, mais encore OFI Invest AM se sont engagés à voter contre celui de TotalEnergies, des votes en cohérence avec leurs propres engagements et politiques de vote.  

Sanctionner les majors par l’intermédiaire des votes de routine

Certaines majors ne soumettent aucune résolution portant sur le climat à leur assemblée générale. Ce fut le cas des assemblées générales de Eni et ConocoPhilipps. Les actionnaires peuvent toutefois intégrer le climat dans les votes de routine, afin que la stratégie et la gouvernance des majors fassent du climat une priorité absolue. Reclaim Finance appelle ainsi les gestionnaires d’actifs à voter contre le renouvellement des membres du conseil d’administration pour toutes les majors, ainsi que contre la rémunération de leurs dirigeants qui n’intègre pas suffisamment les enjeux climatiques.  

Le greenwashing et les doubles standards ont assez duré. Qu’ils soient membres de l’initiative Climate Action 100+ ou non, les investisseurs qui se disent engagés pour le climat doivent impérativement voter en cohérence avec leurs promesses lors des prochaines assemblées générales. Les prochains votes auront un impact important sur le devenir de CA100+ : alors que l’initiative tente de faire oublier ses faibles résultats sur les 5 premières années d’existence, et entend repartir sur de nouvelles bases sur les 5 prochaines années, elle est déjà attaquée par certains membres condamnant le torpillage de ces objectifs par certains de ses membres. Les assemblées générales à venir seront donc décisives. 

En savoir plus :

  1. Les recommandations de vote de Reclaim Finance. 
  2. Les analyses des plan climat des majors qui n’ont pas encore tenu leurs assemblées générales : Shell (23 mai), Repsol (25 mai), TotalEnergies (26 mai), Chevron et ExxonMobil (31 mai). 

Notes :

  1. Si TotalEnergies confirme son retrait de Russie, sa production d’hydrocarbures en 2030 sera 49% plus élevée que ce qui est permis pour s’aligner sur le scénario NZE.
  2. Le scénario NZE indique pourtant que pour chaque dollar investi dans les énergies fossiles d’ici 2030, 9 doivent l’être dans la transition énergétique pour pouvoir maintenir le réchauffement climatique à 1,5°C.
  3. For more information, you can read Greenpeace France’s reaction to TotalEnergies’ legal action: TotalEnergies attaque Greenpeace en justice – Greenpeace France
  4. Cet appel est l’objet d’un article dans Le Monde : « Nous, scientifiques et experts, appelons les actionnaires de TotalEnergies à voter contre la stratégie climat de la firme » (lemonde.fr) 

lire aussi

2023-05-19T15:11:36+02:00