Assemblées générales : quel bilan pour le climat ?

La saison des assemblées générales touche à sa fin, Reclaim Finance en dresse un premier bilan. C’est exclusivement sur les AG des acteurs financiers français eux-mêmes que nous décidons aujourd’hui de rendre notre premier verdict. Spoiler alert : si la récolte des bonnes nouvelles est assez maigre, tout n’est pas à jeter, avec tout de même quelques avancées notables qui redonneront aux optimistes que nous sommes assez d’énergie pour redoubler d’efforts dans la bataille pour la justice sociale et climatique. 

Reclaim Finance a participé à 6 assemblées générales : celles des 3 banques françaises, BNP Paribas le 16 mai, Crédit Agricole le 17 mai, Société Générale le 23 mai, des deux (ré)assureurs AXA le 27 avril et SCOR le 25 mai, et enfin du gestionnaire d’actifs Amundi le 12 mai. Souvent, nous étions accompagnés de représentants de communautés en lutte contre des projets développés par des majors pétrolières et gazières, comme TotalEnergies et Shell.

Globalement, l’accueil qui nous a été réservé a été particulièrement hostile. Nous ne nous attendions pas à un accueil chaleureux, mais la force et le nombre d’insultes lors de certaines AG, nous ont particulièrement choquées. Néanmoins, nous retiendrons trois faits marquants.

Crédit Agricole reconnaît la nécessité de ne plus développer de nouveaux projets d’énergies fossiles

Commençons par une bonne nouvelle : le directeur général du Crédit Agricole a reconnu la nécessité de s’en remettre aux recommandations des scientifiques et projections de l’Agence internationale de l’énergie pour identifier les impératifs à respecter pour tenir les objectifs climatiques. Philippe Brassac a ainsi reconnu que limiter le réchauffement à 1,5°C impliquait de ne plus “accroître les capacités fossiles”.

On peut regretter qu’il lui aura fallu deux ans pour le reconnaître (1) mais mieux vaut tard que jamais. Savourons donc ce que cela implique. Si tel est l’impératif à respecter, Philippe Brassac devra déployer dans les prochaines semaines les mesures qui lui permettront d’y répondre. Il lui faudra dépasser son engagement à ne plus financer directement de nouveaux champs pétroliers pour y ajouter les nouveaux projets de production et de transport du gaz et surtout engager des discussions musclées avec ses clients du secteur pétrolier et gazier, à commencer par TotalEnergies dont il est le premier financeur.

Dissonance cognitive au sein du groupe Crédit Agricole

Alors que le directeur général du Crédit Agricole affirmait son engagement derrière l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, sa filiale Amundi indiquait se satisfaire de plans de transition visant une limitation du réchauffement “bien en deçà de 2°C” (2), objectif bien loin du consensus politique et scientifique actuel. Si le premier affirmait la responsabilité du groupe à agir vis-à-vis des générations futures, il semblerait que la direction du gérant d’actifs fasse davantage allégeance aux dividendes des pollueurs. Espérons que Philippe Brassac, nouvellement nommé Président d’Amundi, apportera le rapport du GIEC de 2018 avec lui lors de leur prochaine réunion, au risque sinon de voir l’écart entre Amundi et Crédit Agricole devenir aussi béant que celui entre 1,5°C et 2°C.

BNP Paribas refuse de tracer “des lignes rouges” et d’entraver le “bon commerce”

La récente politique de BNP Paribas permet d’identifier assez nettement l’importance du détail des mesures à adopter pour réellement stopper les financements à l’expansion pétro-gazière. La banque de la rue d’Antin a arrêté les financements directs aux nouveaux champs pétroliers et gaziers et a aussi coupé plusieurs lignes de financements dirigés vers les entreprises pétrolières. Mais aucune mesure ne pourrait entraver les soutiens dirigés vers les majors pétrolières et gazières, ces entreprises qui comptent parmi les plus gros développeurs d’énergies fossiles au niveau international mais aussi parmi les premiers clients de BNP Paribas.

Interrogé sur cette faille de taille, Jean-Laurent Bonnafé a été catégorique : il est hors de question pour la première banque de France de mettre “des lignes rouges” – autrement dit des conditions – à ses financements aux majors. Le “bon commerce” auquel s’adonnent la banque et Shell, BP et consorts peut s’accommoder de “conversations” mais d’aucune entrave stricte, encore moins d’entrave limitant la poule aux œufs d’or : le développement de nouveaux projets pétroliers et gaziers.

Annonce ou pas annonce par BNP Paribas ?

Appelé par un prêtre philippin à ne plus financer le développement de terminaux de GNL, dont l’un est porté par Shell, aux Philippines, BNP Paribas a répondu ne pouvoir commenter par manque de connaissance sur le dossier, mais a toutefois indiqué que “financer des nouveaux projets gaziers aux Philippines ne fait pas partie de [sa] stratégie”. Il serait donc cohérent et désormais attendu de la part de BNP Paribas qu’elle n’accorde aucun financement de projet pour de tels projets aux Philippines. En revanche, rien ne laisse présager que BNP Paribas restreigne ses soutiens à Shell si l’entreprise ne renonce pas à son projet.

SCOR fait l’unique annonce de la saison et rappelle à AXA que le gaz n’est pas une énergie de transition

La seule véritable annonce est venue de SCOR qui s’est engagé à ne plus couvrir les risques de nouveaux champs gaziers. Si le réassureur n’est pas allé jusqu’à s’attaquer au développement de nouveaux terminaux de GNL, la mesure a tout de même de quoi faire pâlir AXA, désormais dernier des grands (ré)assureurs européens à encore soutenir les nouveaux champs gaziers. Loin de reconnaître leur stricte incompatibilité avec une trajectoire 1,5°C crédible, Thomas Buberl, le directeur général d’AXA a une fois de plus défendu ces soutiens au nom de la transition sous couvert de l’intégration, pourtant contestée, de certaines centrales à gaz dans la taxonomie européenne.

C’est donc beaucoup de mots, teintés de greenwashing, qui ont rythmé la saison des assemblées générales. Le pire affront fait à celles et ceux déjà impactés par les énergies fossiles et le dérèglement climatique est venu de Société Générale qui a promis d’agir mais en “prenant le temps”. Mais le tableau n’est pas aussi sombre que l’an passé. Nous veillerons à ce que les promesses soient tenues et pourrons aussi sans aucun doute compter sur la mobilisation croissante de la société civile à l’égard des acteurs financiers derrière TotalEnergies et consorts pour ne pas faiblir tant que de réelles mesures contre l’expansion pétrolière et gazière n’aient été adoptées. 

En plus de revenir prochainement sur les AG des entreprises de l’énergie et la manière dont ont voté leurs actionnaires, nous publierons au cours de l’été une analyse détaillée des réponses aux questions posées à l’écrit en amont des AG des 6 grands acteurs financiers français.

Notes :

  1. Le premier scénario 1,5°C de l’AIE projetant l’arrêt du développement de nouveaux champs pétroliers et gaziers au-delà de ceux déjà approuvés en 2021 et auparavant a été publié en mai 2022.
  2.  https://legroupe.amundi.com/assemblees-generales et AG d’Amundi : un plan climat déconnecté de l’urgence climatique

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2023-06-01T10:36:24+02:00