L’un des plus grands producteurs d’électricité au monde, ENGIE continue de produire la moitié de son électricité à partir de gaz fossile. C’est plus de 50% de ses 100 GW de capacité installée qui tourne à partir de ce combustible (1) dont il nous faut sortir d’ici 2035 pour les pays européens et de l’OCDE et en 2040 pour le reste du monde, d’après l’Agence internationale de l’énergie. Or non seulement ENGIE ne dispose pas de plan de transition visant à fermer progressivement ses centrales à gaz, mais l’entreprise prévoit toujours d’en développer. Comme elles l’ont fait pour le charbon, les banques françaises ont la responsabilité d’influencer l’énergéticien français en s’engageant à ne plus financer de nouvelles centrales à gaz et à exiger d’ENGIE l’arrêt de sa stratégie d’expansion dans le gaz.
Lors de la publication de ses résultats du premier semestre, le 2 août dernier, ENGIE a annoncé la validation par le régulateur chilien du projet de conversion de la centrale à charbon de Mejillones en centrale à gaz (2) alors que cette dernière a été construite il y a seulement 5 ans. Bien qu’ENGIE affiche dans son plan climat la volonté de se tourner vers les énergies renouvelables, ce passage du charbon au gaz est symptomatique de sa difficulté de se départir d’une stratégie centrée sur les énergies fossiles.
Cette nouvelle devrait aussi sonner la tirette d’alarme auprès des banques françaises désireuses de contribuer à limiter le réchauffement à 1,5°C et d’aligner leur portefeuille avec cet objectif sans avoir à renoncer à financer l’énergéticien français. La bonne nouvelle est que les banques françaises sont particulièrement bien placées pour influencer ENGIE et le pousser à engager la sortie du gaz, comme elles l’ont fait dans le passé pour le charbon. Avec 3,4 milliards de dollars accordés à ENGIE entre 2019 et 2023 (3), elles représentent un tiers des financements totaux à l’entreprise sur cette période.
Exclure les nouveaux projets de centrales à gaz
La première étape pour les banques françaises est de s’engager fermement à ne pas financer les nouveaux projets de centrales à gaz prévus par ENGIE, comme celle de Nimègue (4) aux Pays-Bas. Cette dernière représentera 500MW de capacité de gaz fossile supplémentaire. Or, les émissions provenant de l’ensemble de la chaîne de valeur du gaz demeurent trop importantes, et un système électrique mondial basé sur le gaz aurait un impact climatique aussi dévastateur qu’un système reposant sur le charbon (5). Les scénarios du GIEC compatibles avec un réchauffement limité à 1,5°C, avec pas ou peu de dépassement sans reposer sur des hypothèses irréalistes de déploiement de technologies de capture de carbone ou des émissions négatives, soulignent que la production de gaz devrait avoir déjà atteint un pic mondial et doit baisser de plus de 30% d’ici 2030 et 65% d’ici 2040 par rapport à 2030 (6). Il n’est pas souhaitable de développer des nouvelles centrales à gaz alors que l’on doit en sortir d’ici à 2035 dans les pays européens et de l’OCDE. Cela revient à commettre les mêmes erreurs qu’avec le charbon dans le passé : la centrale à charbon de Mejillones avait seulement été construite en 2019 et n’a donc été opérationnelle que 5 ans.
Les banques sont encore loin de cet objectif. Entre 2019 et 2023, 10 milliards de dollars (prêts et souscriptions) ont été accordés à ENGIE dont 3,4 milliards de dollars accordés par les banques françaises (7). Ces dernières n’ont pas adopté de politiques sectorielles robustes concernant la production d’électricité. Seule la Société Générale a une politique d’exclusion de certaines centrales à gaz mais celle-ci n’est pas contraignante et ne cible qu’une technologie spécifique de centrale à gaz, la Combined-Cycle Gas Turbine (CCGT). Cette politique permet, en réalité, le financement de toutes les nouvelles centrales à gaz car la CCGT émet aujourd’hui moins de 400gCO2e/kWh (8). Or, il s’agit d’un seuil d’émissions inférieur à celui proposé dans la politique d’exclusion de nouvelles centrales à gaz de la Société Générale, qui est à 420gCO2e/kWh.
| Banque | Montant accordé à ENGIE entre 2019 et 2023 inclus (en mn US$) | Politique sectorielle sur la production d’électricité |
|---|---|---|
| Société Générale | 906 | “Politique sectorielle – Centrales thermiques”, juin 2023 (9):
“Lors de l’évaluation E&S d’une transaction, d’un produit ou d’un service dédié dans ce secteur, le Groupe prend en compte les critères suivants: […]Pour les nouvelles turbines à gaz à cycle combiné (TGCC) de plus de 300 MW, vérifier que leur intensité d’émission ne dépasse pas 420 kg de CO2-eq/MWh.” |
| Crédit Agricole | 735 | Aucune politique d’exclusion ou d’engagement sur la production d’électricité |
| Groupe BPCE | 618 | Aucune politique d’exclusion ou d’engagement sur la production d’électricité |
| BNP Paribas | 608 | Aucune politique d’exclusion ou d’engagement sur la production d’électricité |
| Crédit Mutuel | 262 | Aucune politique d’exclusion ou d’engagement sur la production d’électricité |
| La Banque Postale | 236 | Aucune politique d’exclusion ou d’engagement sur la production d’électricité |
Exiger un engagement à sortir du gaz fossile
Si les banques doivent dès maintenant conditionner la provision de nouveaux services à ENGIE à un engagement à un arrêt des nouveaux projets de gaz fossile, et à renoncer à ceux dès à présent envisagés, elles doivent aussi dès maintenant questionner l’énergéticien sur son plan climat. A travers ce dernier, ENGIE affiche un objectif de doublement des capacités renouvelables d’ici à 2030 alors qu’il faudrait tripler les capacités existantes pour espérer s’aligner avec un scénario de réchauffement à 1,5°C.
En plus d’être insuffisant, cet objectif n’aura aucun effet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre si ENGIE poursuit son expansion du gaz. De plus, la stratégie dite « bas carbone » d’ENGIE, qui mise sur des technologies inadaptées à une transition énergétique rapide et équitable (comme le biogaz) ou encore sur des solutions immatures ou non viables commercialement (telles que l’hydrogène et le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (10)) favorise en réalité le maintien du gaz fossile dans le mix énergétique (11).
Les banques sont d’autant bien placées pour exiger d’ENGIE une réorientation des CAPEX vers les énergies soutenables que 99% de leurs financements à ENGIE sont fournis au niveau de l’entreprise et soutiennent donc l’ensemble de ses activités.
Reclaim finance appelle les banques françaises à stopper les financements des nouvelles centrales à gaz. Ces banques doivent également conditionner le financement aux entreprises productrices d’électricité à l’adoption d’un plan de transition aligné avec un scénario de limitation de la température globale à 1,5°C. La Société générale, plus gros financeur d’ENGIE entre 2019 et 2023, doit impérativement renforcer sa politique d’exclusion des nouveaux projets de centrales à gaz.
Par ailleurs, toute politique sectorielle doit inclure la diminution des financements à l’industrie gazière mais aussi un soutien massif aux énergies soutenables.