GNL : ING va-t-elle changer la donne ?

La banque néerlandaise ING, l’un des plus gros soutiens mondiaux à l’expansion du gaz naturel liquéfié (GNL) d’après un récent rapport de Reclaim Finance, a été la première grande banque internationale à mettre fin au financement de projet des nouveaux terminaux d’exportation de GNL, à partir de 2026. Ce faisant, ING reconnait les problèmes posés par l’expansion du GNL, tant pour le climat, l’environnement que les communautés affectées. Cependant, en limitant son exclusion aux financements de projets et en faisant l’impasse sur les services financiers accordés aux entreprises qui les développent, ING introduit un double standard dans son rapport au secteur. Autrement dit, la banque continuera de soutenir indirectement ce qu’elle refuse de financer directement. Reclaim Finance appelle ING et ses pairs à adopter des politiques d’exclusion solides, incluant l’arrêt des nouveaux financements aux entreprises qui poursuivent l’expansion du GNL.

Dès son accession au pouvoir, Donald Trump a mis fin au moratoire sur les nouveaux projets d’exportation de GNL, dont le déploiement a explosé ces dernières années dans le pays (1). Les Etats-Unis sont aujourd’hui le premier exportateur mondial de GNL (2), et l’Union européenne son premier client (3). Au-delà des Etats-Unis, le boom du GNL est mondial : d’après un récent rapport de Reclaim Finance, les développeurs de GNL prévoient 156 nouveaux projets de terminaux. Les banques ont soutenu cet essor, à travers 213 milliards de dollars alloués entre 2021 et 2023. 

Dans ce contexte, se pose la question du positionnement des banques européennes vis-à-vis de l’expansion du GNL, qu’elles doivent s’abstenir de soutenir pour être cohérentes avec leurs engagements climatiques (4). Reclaim Finance dresse l’état des lieux de la portée des engagements d’ING, second plus gros financeur européen à l’expansion du GNL et première banque à avoir annoncé mettre fin au financement de projet des terminaux d’exportation de GNL 

ING, un soutien majeur au GNL malgré ses impacts dévastateurs

Le GNL est en plein essor, alimentant l’expansion gazière et risquant d’aggraver la crise climatique. Sur les 156 terminaux prévus, les 63 projets de terminaux d’exportation pourraient contribuer à émettre plus de 10 gigatonnes (Gt) de dioxyde de carbone équivalent (CO2e) d’ici 2030 (5), des émissions proches de celles générées chaque année par l’ensemble des centrales à charbon en activité dans le monde (6). Cela s’explique notamment parce que le GNL est une énergie fossile, composée de méthane, un gaz à effet de serre plus de 80 fois plus puissant que le CO2 sur 20 ans. Bien que le GNL soit souvent présenté comme une alternative au charbon, il peut en réalité s’avérer plus polluant (7). L’impact climatique du GNL est encore plus important lorsqu’il provient des États-Unis, où la majeure partie du gaz est extraite par fracturation hydraulique (8). 

A rebours de leurs engagements climatiques, les banques françaises, espagnoles, britanniques, allemandes, italiennes, néerlandaises et suisses ont soutenu cette expansion, à travers 57 milliards de dollars entre 2021 et 2023. C’est le cas en particulier d’ING, qui a octroyé plus de 5 milliards de dollars à l’expansion du GNL sur la période 2021-2023. Ces montants classent la banque néerlandaise à la deuxième place européenne (derrière Santander) et au quatorzième rang mondial pour son soutien à l’expansion du GNL– voir tableau 1 (9). 

Classement Pays Banque Montants alloués à l’expansion du GNL entre 2021 et 2023, en millions de dollars
1 Espagne Santander 6 014
2 Pays-Bas ING Group 5 181
3 France Crédit Agricole 4 601
4 Allemagne Deutsche Bank 3 883
5 Royaume-Uni HSBC 3 790
6 Italie Intesa Sanpaolo 3 754
7 France Groupe BPCE 3 739
8 Suisse UBS 3 133
9 France Société Générale 3 068
10 Royaume-Uni Barclays 2 843

Tableau 1 – Les 10 banques européennes qui ont octroyé les financements les plus importants à l’expansion du GNL (en millions de dollars, entre 2021 et 2023)

Des mesures insuffisantes pour freiner le soutien d’ING à l’expansion du GNL

ING a annoncé en septembre 2024 (10) exclure le financement direct des nouveaux terminaux d’exportation de GNL à partir de 2026. Bien que la mesure survienne tardivement par rapport aux préconisations des experts (11), ING est la première grande banque internationale à cesser les financements de projet de l’ensemble des nouveaux terminaux d’exportation (12).  

S’il s’agit là d’une reconnaissance des conséquences dévastatrices de l’expansion du GNL, il est regrettable que la mesure ne porte que sur les financements aux projets d’exportations de GNL – et pas sur ceux aux entreprises qui les développent. Une grande partie des soutiens qu’ING apporte aux développeurs de GNL ne sera pas affecté par la mesure, comme les financements suivants, qui ont été octroyés avant son adoption :  

  • Venture Global, le plus gros développeur mondial de GNL (13), est le plus gros client de la banque néerlandaise dans ce secteur, avec 3 milliards de dollars alloués aux plans d’expansion dans le GNL de l’entreprise étatsunienne sur la période 2021-2023 (14). ING est ainsi le plus gros pourvoyeur de fonds de l’entreprise, loin devant Bank of America. 
  • ING a été impliquée, aux côtés d’autres banques, dans l’émission de deux obligations d’un montant d’1,4 et d’1,5 milliard de dollars, en février et mars 2024, au profit de Cheniere Energy, des financements d’entreprise qui pourront se poursuivre avec la nouvelle politique. Cheniere Energy est en train de mettre en opération le projet Corpus Christi III (15) d’extension d’un terminal existant, d’ores et déjà responsable de pollutions qui affectent la santé des communautés alentours et les écosystèmes (16).

Ce soutien se poursuit en 2025, soit quelques mois après l’annonce sur la fin du financement de projet des terminaux d’exportation de GNL : ING a contribué, aux côtés d’autres grandes banques internationales, à l’introduction en bourse de Venture Global en janvier 2025 – un soutien loin d’être anodin puisqu’être cotée en bourse permet à l’entreprise de générer de l’argent frais pour développer de nouveaux projets.  

L’ampleur du soutien d’ING aux développeurs de GNL est d’autant plus problématique que les financements aux entreprises, qui ne sont pas couverts par les dernières mesures prises, représentent 96% des financements alloués à l’industrie des énergies fossiles (17). ING doit prendre des mesures d’exclusion portant sur les entreprises qui développent de nouveaux projets de terminaux de GNL pour avoir des engagements crédibles et cohérents sur l’expansion du GNL. 

ING se démarque de ses pairs européens en reconnaissant la problématique posée par l’essor des terminaux d’exportation de GNL dans leur ensemble. Même si elle constitue une première étape nécessaire, la mesure pourrait avoir un impact limité sur les activités de la banque et par conséquent sur la lutte contre le réchauffement planétaire et pour les droits des communautés affectées par l’expansion des énergies fossiles. Reclaim Finance appelle ING et l’ensemble des banques européennes à adopter des politiques solides visant à cesser de fournir tout soutien financier aux entreprises qui développent de nouveaux projets de GNL.

Notes :

  1. La capacité d’exportation de GNL de base des États-Unis est passée d’environ 1 milliard de pieds cubes par jour (Bcf/j) en 2016 à environ 11,44 Bcf/j à la fin de 2023.
    U.S. Energy Information Administration, Natural gas explained – Liquefied natural gas (consulté le 10/02/2025)
  2. U.S. Energy Information Administration, The United States was the world’s largest liquefied natural gas exporter in 2023, 1er avril 2024
  3. 55% du GNL exporté par les Etats-Unis en 2024 était destiné à l’Union européenne. Voir Euractiv, US LNG exports soar, Europe remaining the main destination, 3 janvier 2025 (consulté le 10/02/2025)
  4. 19 des 20 plus grandes banques européennes sont membres de la Net Zero Banking Alliance (NZBA), par laquelle elles ont adopté des engagements de neutralité carbone. Voir Reclaim Finance, EUROPEAN BANKS AND TRANSITION: Time for a reality check, novembre 2024
  5. L’estimation des émissions associées aux terminaux GNL est basée sur l’étude d’un chercheur de renommée internationale, Robert W. Howarth, évaluée par des pairs.
    Cependant, bien que l’étude de Howarth porte sur le cas du gaz naturel américain, ici, le périmètre géographique inclut tous les terminaux d’exportation existants ou dont l’entrée en opération est prévue d’ici 2030. Par conséquent, des hypothèses moyennes sont prises sur la plupart des segments de la chaîne de valeur pour calculer les émissions sur l’ensemble du cycle de vie, avec des estimations des taux de fuite en amont / intermédiaires calculées pour chaque pays exportateur. Il convient donc de noter que les chiffres d’émissions calculés ne peuvent en aucun cas constituer des projections précises et sont uniquement destinés à montrer des ordres de grandeur de l’impact climatique de ces infrastructures.
    Voir l’analyse de Robert W. Howarth, The greenhouse gas footprint of liquefied natural gas (LNG) exported from the United States, septembre 2024
  6. Les émissions annuelles de l’ensemble des centrales à charbon en activité dans le monde s’élèvent annuellement à 12 Gt de CO2e. Global Energy Monitor, Global Coal Plant Tracker, mis à jour de janvier 2025
  7. Voir l’analyse de Robert W. Howarth, The greenhouse gas footprint of liquefied natural gas (LNG) exported from the United States, septembre 2024
  8. U.S. Energy Information Administration, Frequently Asked Questions (FAQs) (consulté le 11/02/2025)
  9. Ce classement est le résultat de l’analyse des financements des 400 plus grandes banques aux plans d’expansion des 150 plus grands développeurs de GNL qui détiennent plus de 90% des capacités de GNL prévues. Voir ici la méthodologie détaillée et le rapport Frozen Gas, Boiling Planet: How the support of banks and investors to LNG fuels a climate disaster publié par Reclaim Finance.
  10. Dans son point d’étape « Climate Progress Update 2024 ». Voir ING, Climate Progress Update, 2024
  11. L’Agence internationale de l’énergie indique depuis 2022 dans son scénario Net Zero Emissions qu’aucune nouvelle infrastructure d’exportation de GNL n’est nécessaire pour répondre à la demande actuelle et future dans une trajectoire 1,5°C. Voir AIE, World Energy Outlook 2024, Octobre 2024.
  12. Voir l’Oil & Gas Policy Tracker sur le site de Reclaim Finance pour plus de détails sur les politiques des différentes banques.
  13. Voir la Global Oil & Gas Exit List d’Urgewald pour plus de détails sur les plus gros développeurs de GNL.
  14. Ce montant représente la part des financements alloués à l’expansion du GNL (sur le montant total octroyé par la banque à l’entreprise).
  15. Cheniere Energy, Cheniere Achieves First LNG at the Corpus Christi Stage 3 Project, 30/12/2024
  16. Sierra Club, Corpus Christi LNG Is An Environmental Injustice In Texas’ Coastal Bend, juin 2022
  17. Les financements aux entreprises ont représenté 96% des flux financiers à l’industrie des énergies fossiles sur la période 2016-2022, contre 4% de financements de projets. Voir Rainforest Action Network, BankTrack, Center for Energy, Ecology, and Development, Indigenous Environmental Network, Oil Change International, Reclaim Finance, the Sierra Club, and Urgewald, Banking on Climate Chaos, mai 2023

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2025-02-12T11:07:01+01:00