Depuis le 26 mars, le transbordement de gaz naturel liquéfié (GNL) (1) russe hors Union européenne est interdit dans les terminaux d’importations de GNL européens (2). Si cette interdiction, faisant partie du 14ème paquet de sanctions adopté par l’UE, vise à réduire une partie des recettes russes tirées de la vente de GNL, cela n’empêchera pas de nombreux terminaux européens de continuer d’importer du GNL russe pour le marché européen. Parmi eux, le terminal français Dunkerque LNG, première porte d’entrée du GNL russe en Europe, et détenu à 15 % par l’assureur-vie Crédit Agricole Assurances (CAA) depuis 2018 (3). Un investissement qui interroge au moment où Bercy souhaite solliciter les assureurs-vie pour financer la défense française face à la menace russe (4).
En 2024, l’Union européenne a importé pour près de 22 milliards d’euros de pétrole et gaz russe, un montant supérieur à l’aide financière européenne accordée à l’Ukraine (5). Une manne financière indispensable à la Russie dont 45 % du budget dépend de la vente de pétrole et de gaz, (6) lui permettant de continuer sa guerre coûteuse. Le GNL a représenté près d’un tiers de ces importations (7,5 mds€) dont près de 30 % était acheminé au seul terminal de Dunkerque LNG (7).
Dunkerque LNG, première porte d’entrée du GNL russe en Europe
Ces importations font de Dunkerque LNG la première destination du GNL russe sur le continent européen (8) en provenance de Yamal LNG (9). Les importations de GNL russe de Dunkerque LNG ont d’ailleurs plus que doublé entre 2022 et 2024 : Dunkerque LNG a acheté près de 4 milliards d’euros de GNL en provenance de Russie sur cette période.
Un terminal directement lié au premier assureur-vie français : Crédit Agricole Assurances. En 2018, CAA a acquis 15 % du terminal pour une valeur de plus de €350 millions. Au regard de la faible proportion des investissements en actions non cotées des assureurs-vie (environ 3 %) (10), cette transaction est un exemple rare d’un investissement en direct du fonds euro (11) d’un assureur-vie dans une infrastructure fossile d’une telle ampleur.
Le GNL, une fausse solution pour la transition
Qu’il provienne de Russie ou d’ailleurs, le GNL génère des émissions de gaz à effet de serre plus importantes que le charbon dans certains cas notamment à cause des fuites de méthane (12). A rebours d’une transition juste vers la neutralité carbone en 2050, son essor s’accompagne également d’impacts délétères sur la santé et les moyens de subsistance des communautés situées à proximité des terminaux (13). L’industrie du gaz prévoit un triplement des capacités de production de GNL dans les prochaines années (14) et plus de 60 nouveaux projets de terminaux d’exportation de GNL d’ici 2030. Un développement qui pourrait contribuer à émettre plus de 10 Gt de dioxyde de carbone équivalent (CO2e) d’ici la fin de la décennie.
Des plans d’expansion déconnectés des projections de l’Agence internationale de l’énergie dans son scénario Net Zero Emissions by 2050 : la production de pétrole et de gaz doit diminuer de près de 75 % d’ici à 2050 pour espérer atteindre la neutralité carbone en 2050 (15). Cette trajectoire inclut notamment un arrêt du développement de nouveaux champs de pétrole et de gaz ainsi que de nouveaux terminaux d’exportation de GNL.
Crédit Agricole Assurances, grand retardataire dans la lutte contre l’expansion pétro-gazière
Face aux plans d’expansion climaticides de l’industrie pétro-gazière, un groupe de dix assureurs-vie (16) s’est déjà engagé à ne plus fournir d’argent frais aux entreprises développant de nouveaux champs de pétrole et de gaz via l’achat de leurs nouvelles obligations. Dans le cadre de la mise en place de leur stratégie d’alignement sur l’Accord de Paris, ces entreprises n’entrent plus dans l’univers d’investissements de ces assureurs-vie.
Deux assureurs-vie, Suravenir et MACSF, vont plus loin et se sont également engagés à stopper leurs nouveaux investissements obligataires dans des entreprises développant de nouveaux projets de pétrole et de gaz midstream (17), dont de nouveaux terminaux de GNL.
De son côté, CAA a récemment indiqué ne plus investir dans de nouvelles infrastructures pétrolières et gazières, avec des exceptions. Plutôt que de prendre des engagements sur ses nouveaux investissements en obligations corporate (un tiers du fonds euro de CAA), cet engagement ne porte que sur ses investissements en infrastructures et private equity (7 % de son fonds euro) (18). L’assureur-vie continue donc de fournir de l’argent frais aux géants de l’expansion pétro-gazière pour le développement du GNL via l’achat de leurs nouvelles obligations.
CAA, premier assureur-vie français, ne peut pas ignorer les impacts climatiques et sociaux du GNL. Le développement massif du pétrole et du gaz, et particulièrement celui du GNL, réduit drastiquement nos chances de limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C. En ligne avec son engagement de neutralité carbone à 2050 (19), CAA doit de toute urgence s’aligner sur les meilleures pratiques de ses pairs en s’engageant à ne plus investir son fonds euro dans les nouvelles obligations des entreprises développant de nouveaux champs de pétrole et de gaz et nouveaux terminaux d’exportation de GNL. Proposer à ses clients de planter un arbre lorsqu’ils ouvrent un contrat d’assurance-vie ne sera pas suffisant (20).